Imaginez un instant : le Bitcoin, cette invention rebelle née des décombres de la crise financière de 2008, se retrouvant un jour à mendier l’aide de l’État qu’il voulait justement contourner. Ironique, non ? Pourtant, en cette fin d’année 2025, cette hypothèse ne semble plus si farfelue. Avec Donald Trump de retour à la Maison-Blanche et profondément impliqué dans l’écosystème crypto, les lignes entre rébellion décentralisée et establishment se brouillent comme jamais.
Le marché des cryptomonnaies a explosé en taille et en influence. Des millions d’Américains y ont investi, et les stablecoins comme Tether dominent la liquidité mondiale. Mais cette croissance vertigineuse cache des fragilités systémiques. Et si un krach survenait, pourrait-on vraiment laisser tout s’effondrer sans intervention ? C’est la question que soulève une analyse prospective récente, et les réponses pourraient surprendre même les plus cyniques.
L’ironie historique : Bitcoin face à un possible bailout
L’histoire du Bitcoin est intimement liée à la défiance envers le système financier traditionnel. Son génésis block fait référence directe à la crise des subprimes et aux sauvetages massifs des banques “too big to fail”. Satoshi Nakamoto voulait un monde sans intermédiaires centraux, sans bailouts étatiques. Pourtant, en 2026, ce même Bitcoin pourrait bénéficier d’un soutien gouvernemental américain. La roue tourne vite dans la crypto.
Ce revirement s’explique par l’évolution fulgurante du secteur. Ce qui était marginal est devenu systémique. Les cryptos ne sont plus un jeu d’initiés ; elles influencent l’économie réelle, les marchés traditionnels et même la politique. Donald Trump, autrefois sceptique, est aujourd’hui l’un des plus fervents défenseurs du secteur. Son implication personnelle change radicalement la donne en cas de crise.
Trump, de critique à champion de la crypto
Retour en arrière : pendant son premier mandat, Trump qualifiait le Bitcoin de “scam”. Mais les temps changent. Sa campagne 2024 a été massivement financée par l’industrie crypto, et il a promis une régulation favorable. Une fois réélu, il a tenu parole. La création d’une Réserve Stratégique de Bitcoin début 2025 en est la preuve concrète.
Mais l’engagement va plus loin. La famille Trump s’est lancée directement dans le Web3 avec le projet World Liberty Financial. Cette plateforme DeFi, portée par les fils du président, a généré des centaines de millions de dollars de revenus en quelques mois seulement. Selon des estimations, plus de 800 millions de dollars auraient été engrangés au premier semestre 2025 via diverses activités crypto liées à la Trump Organization.
La crypto, jadis rebelle et marginale, est entrée dans l’establishment par la grande porte.
Cette implication familiale n’est pas anodine. Elle crée un lien direct entre la Maison-Blanche et l’écosystème. En cas de crise majeure, ignorer les pertes des investisseurs crypto reviendrait à ignorer une partie de son propre camp politique et financier.
Howard Lutnick : le pont entre Tether et le gouvernement
Un autre élément clé est la nomination de Howard Lutnick au poste de Secrétaire au Commerce. L’ancien patron de Cantor Fitzgerald n’est pas n’importe qui dans la crypto. Sa firme gère une part importante des réserves de Tether, principalement composées de bons du Trésor américain.
Cette position stratégique place Lutnick au cœur d’un potentiel conflit d’intérêts, mais aussi d’une alliance puissante. Tether, avec ses 180 milliards de dollars en circulation, est adossé en grande partie à la dette américaine. Si Tether vacille, ce sont les marchés des Treasuries qui pourraient en pâtir. Et vice versa.
Les liens étroits entre Tether et l’État américain :
- Cantor Fitzgerald custodie une large portion des réserves de Tether
- Ces réserves sont majoritairement composées de bons du Trésor US
- Howard Lutnick, ex-PDG de Cantor, est désormais Secrétaire au Commerce
- Un problème chez Tether pourrait directement impacter la dette américaine
Ce lien crée une interdépendance inédite. Un “depeg” de l’USDT ne serait pas qu’un problème crypto ; il pourrait déclencher une crise de liquidité sur les marchés traditionnels.
Tether : la bombe à retardement du marché crypto
Parlons franchement de Tether. L’USDT est le roi des stablecoins, avec une capitalisation dépassant les 180 milliards de dollars fin 2025. Il représente la colonne vertébrale de la liquidité crypto mondiale. La majorité des trades passent par des paires en USDT.
Mais cette domination cache une vulnérabilité majeure : la qualité et la liquidité de ses réserves. Malgré les attestations régulières, le coussin de sécurité reste mince. Environ 4% seulement séparent les actifs des passifs en cas de stress majeur. Si les bons du Trésor perdaient brutalement de la valeur, ou si une panique provoquait des retraits massifs, le peg à 1 dollar pourrait céder.
Les conséquences seraient catastrophiques. Un gel des échanges, une spirale de liquidations, une contagion aux marchés traditionnels. Le Conseil européen du risque systémique a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme sur ces risques systémiques posés par les stablecoins non régulés.
Les outils d’un sauvetage potentiel
Si une crise survient, quels moyens le gouvernement Trump pourrait-il mobiliser ? Plusieurs options existent, certaines discrètes et rapides.
Le premier est l’Exchange Stabilization Fund. Ce fonds d’urgence, géré par le Trésor, dispose de dizaines de milliards et ne nécessite pas l’approbation du Congrès. Il a été utilisé par le passé pour stabiliser le dollar ou intervenir sur les marchés.
- Exchange Stabilization Fund : intervention rapide sans vote du Congrès
- Réserve Stratégique de Bitcoin : ventes ou achats pour stabiliser les prix
- Support indirect aux exchanges : garanties de liquidité en cas de panique
- Régulation d’urgence : mesures pour restaurer la confiance
La Réserve Stratégique de Bitcoin, créée début 2025, pourrait aussi jouer un rôle. En injectant ou retirant des BTC du marché, le gouvernement pourrait influencer les prix et calmer les paniques.
Ces outils existent déjà. La question n’est pas technique, mais politique : aura-t-on la volonté d’agir ?
La dimension politique : l’électeur crypto
Au-delà des aspects financiers, il y a une réalité électorale brute. Un Américain sur sept détient désormais des cryptomonnaies. Cela représente des dizaines de millions de votants, souvent jeunes, engagés et généreux en dons de campagne.
À l’approche des midterms de 2026, laisser ces électeurs subir des pertes massives serait suicidaire politiquement. Surtout quand une grande partie d’entre eux a soutenu Trump précisément pour ses promesses pro-crypto.
Un nouveau “cygne noir” crypto pourrait rincer des millions d’électeurs et contributeurs de campagne.
La comparaison avec 2008 est frappante. À l’époque, sauver les banques était impopulaire mais jugé nécessaire. Aujourd’hui, sauver la crypto serait controversé mais peut-être tout aussi inévitable pour des raisons systémiques et politiques.
Comparaison avec les crises passées
Regardons les précédents. Lors de la faillite de FTX en 2022, l’administration Biden a observé avec distance. Pas d’intervention directe, juste des enquêtes et des régulations renforcées. Le contexte était différent : Trump n’était pas au pouvoir, et l’industrie crypto était vue comme opposée au gouvernement.
Aujourd’hui, tout a changé. La crypto est intégrée à l’establishment. Des figures comme Howard Lutnick sont au gouvernement. La famille présidentielle est impliquée. Les stablecoins sont liés à la dette US. Un krach ne serait plus un problème isolé.
Évolution du traitement des crises crypto :
- 2022 (FTX) : observation distante, pas de bailout
- 2025 : implication directe du gouvernement et de la famille présidentielle
- 2026 potentiel : intervention possible pour éviter contagion systémique
Les risques d’une non-intervention
Que se passerait-il si Trump choisissait de ne pas intervenir ? Les conséquences pourraient être dévastatrices, bien au-delà de la crypto.
Une perte de confiance dans Tether gèlerait les échanges mondiaux. Les exchanges centralisés, qui concentrent plus de 70% des volumes, pourraient entrer en crise de liquidité. Une contagion aux marchés traditionnels via les Treasuries serait probable.
Politiquement, ce serait un désastre. Des millions d’électeurs perdant leurs économies, accusant le président de les avoir abandonnés malgré ses promesses. La crédibilité pro-crypto de Trump s’effondrerait.
Vers une régulation inévitable ?
Cette situation pourrait paradoxalement accélérer la régulation du secteur. Un sauvetage d’urgence serait suivi de mesures strictes pour éviter que cela se reproduise. Plus de transparence sur les réserves des stablecoins, des exigences de capital, une supervision renforcée des exchanges.
Ironie du sort : le mouvement libertarien qu’est la crypto pourrait finir par demander – et obtenir – plus d’État. Pas pour contrôler, mais pour protéger. La maturité du secteur passe peut-être par là.
En conclusion, 2026 pourrait marquer un tournant historique. Le Bitcoin, symbole de la décentralisation absolue, pourrait devenir “too big to fail” aux yeux de l’État américain. Sous Donald Trump, un sauvetage crypto n’est plus une hypothèse folle, mais une possibilité sérieuse. L’ironie est totale : la créature pourrait bien avoir besoin de son créateur pour survivre. Le secteur a grandi, et avec la croissance viennent les responsabilités – et les interdépendances.
Le débat est ouvert : sauvetage légitime face à un risque systémique, ou trahison des principes fondateurs ? Une chose est sûre : la crypto n’est plus à la marge. Elle est au centre, et les décisions prises en haut lieu nous concerneront tous.
