Imaginez un instant : vous avez bâti une fortune colossale dans le monde des cryptomonnaies, vous vivez dans une villa somptueuse de la Silicon Valley, et du jour au lendemain, l’État de Californie vous réclame 5% de votre patrimoine total… chaque année. Y compris sur les gains que vous n’avez jamais encaissés. Cette menace existe bel et bien, et elle provoque actuellement une véritable tempête dans l’écosystème crypto.
En cette fin d’année 2025, une proposition de loi ambitieuse fait trembler les grandes fortunes de l’État le plus riche des États-Unis. Baptisée 2026 Billionaire Tax Act, cette mesure portée par un puissant syndicat de soignants vise à instaurer une taxe annuelle de 5 % sur les patrimoines dépassant le milliard de dollars. Et contrairement à la plupart des impôts classiques, elle ne se contente pas de taxer les revenus ou les plus-values réalisées.
Une taxe qui vise bien plus que les revenus traditionnels
Le dispositif proposé est d’une ampleur rare. Il s’agit d’une taxation annuelle sur la valeur nette du patrimoine, évaluée selon un principe de marquage au marché (mark-to-market). Cela signifie que même les actifs non vendus – actions non cotées, parts de startups, œuvres d’art, immobilier de luxe… et bien sûr cryptomonnaies – sont pris en compte dans le calcul de l’impôt.
Le seuil d’entrée ? Un milliard de dollars de patrimoine net. Au-dessus de cette somme, c’est 5 % par an. Pour payer, deux options : régler la totalité en une fois ou étaler sur cinq ans… avec un intérêt de 7,5 % par an sur le solde restant dû. Autant dire que l’ardoise peut très vite devenir extrêmement lourde.
Les actifs concernés par cette taxe potentielle incluent :
- Actions et participations dans des entreprises
- Biens immobiliers
- Cryptomonnaies et tokens numériques
- Œuvres d’art et objets de collection
- Parts dans des fonds privés
- Autres actifs intangibles de grande valeur
En résumé, presque rien n’échappe à cette taxe si elle venait à être adoptée. Et c’est précisément cette exhaustivité qui fait bondir les représentants du monde crypto.
Pourquoi la communauté crypto est-elle particulièrement remontée ?
Dans l’univers des cryptomonnaies, la très grande majorité des fortunes se trouve encore sous forme d’actifs non liquides. Un fondateur de projet qui détient plusieurs milliards en tokens n’a pas forcément plusieurs milliards en cash sur son compte bancaire. Vendre massivement pour payer l’impôt ? Cela ferait chuter le prix du token et pourrait même être interprété comme un signal de défiance.
« Une taxe de 5 % sur la fortune, y compris sur des gains déjà imposés et non réalisés, est probablement l’idée la plus absurde que j’ai jamais entendue. Je vous le promets : ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Les milliardaires partiront avec tout leur argent, leurs dépenses, leurs loisirs, leur philanthropie et leurs emplois. »
Jesse Powell, co-fondateur de Kraken
Cette déclaration sans détour de Jesse Powell, l’un des pionniers de l’industrie crypto, résume parfaitement le sentiment général. Beaucoup estiment que la Californie, qui a longtemps été le berceau de l’innovation technologique et crypto, est en train de scier la branche sur laquelle elle est assise.
Double peine fiscale et liquidation forcée
Le problème ne s’arrête pas à la taxation des gains latents. Lorsqu’un contribuable décide (ou est forcé) de vendre des actifs pour payer cette nouvelle taxe, il déclenche immédiatement une plus-value imposable au niveau fédéral et étatique. Résultat : il doit parfois vendre encore plus pour couvrir cette seconde couche d’impôt.
David Sacks, qui occupe actuellement un rôle influent dans l’administration américaine sur les questions IA et crypto, n’a pas mâché ses mots :
« Soyons clairs : la Billionaire Tax Act de Californie n’est pas simplement une taxe sur les gains non réalisés. C’est une confiscation annuelle de 5 % de la valeur nette totale. Elle s’applique même si vous avez déjà réalisé et payé des impôts sur la totalité de ces montants auparavant. »
David Sacks
Ce mécanisme crée une spirale potentiellement destructrice pour les entrepreneurs dont la richesse est principalement « papier » (paper wealth).
La grande peur : l’exode des capitaux
Le spectre le plus redouté par les opposants est celui de la fuite des capitaux. La Californie a déjà vu plusieurs de ses plus grandes fortunes déménager ces dernières années vers des États plus cléments fiscalement : Texas, Floride, Nevada, Wyoming… Une nouvelle taxe aussi lourde pourrait accélérer dramatiquement ce mouvement.
Nic Carter, associé fondateur de Castle Island Ventures, n’hésite pas à comparer cette mesure à un signal de défaut souverain :
« Les taxes sur le patrimoine ponctuelles sont un signal envoyé au capital : comme un défaut souverain, elles indiquent que d’autres prélèvements peuvent être attendus à l’avenir. »
Nic Carter
Il pose d’ailleurs la question directement à Ro Khanna, le député démocrate plutôt favorable à l’écosystème crypto qui soutient pourtant cette proposition : « A-t-on seulement réalisé une étude sur la mobilité des capitaux en réponse à ce type de taxe ? »
L’exemple norvégien qui fait froid dans le dos
Pour illustrer le danger, plusieurs personnalités du secteur pointent du doigt l’expérience norvégienne. Ce pays nordique, longtemps présenté comme un modèle social-démocrate, a vu une partie importante de ses plus grandes fortunes quitter le territoire après l’instauration puis le durcissement de sa taxe sur la fortune.
Fredrik Haga, PDG et cofondateur de Dune Analytics, a vécu cette situation de l’intérieur :
« La taxation des gains en capital non réalisés a poussé plus de la moitié de la richesse détenue par les 400 plus gros contribuables norvégiens à quitter le pays. La Norvège est devenue plus égalitaire… et tout le monde s’est appauvri. C’est exactement ce à quoi on peut s’attendre avec des idées socialistes très marquées. »
Fredrik Haga
Ce précédent historique est brandi comme un avertissement par une large partie de la communauté crypto américaine.
Le point de vue des défenseurs : réduire les inégalités
De l’autre côté du débat, les partisans de la mesure, dont le représentant Ro Khanna, défendent une vision très différente. Selon eux, la concentration extrême des richesses menace le rêve américain lui-même.
Ro Khanna déclarait récemment sur les réseaux sociaux :
« Nous ne pouvons pas avoir une nation où la richesse est extrêmement concentrée en quelques endroits pendant que 70 % des Américains pensent que le rêve américain est mort et que les soins de santé, la garde d’enfants, le logement et l’éducation sont devenus inabordables. »
Ro Khanna
Pour les défenseurs, la taxe permettrait de dégager des fonds substantiels pour combler le déficit chronique du programme Medi-Cal (l’équivalent californien de Medicaid) et financer des services publics essentiels.
Un parcours semé d’embûches pour devenir réalité
Il est important de rappeler que cette proposition reste pour l’instant au stade de projet de loi d’initiative populaire. Pour être soumise au vote des Californiens en 2026, elle devra recueillir plus de 874 000 signatures valides. Ensuite, même en cas d’adoption par référendum, elle devra probablement affronter de multiples recours judiciaires, notamment sur sa constitutionnalité.
Les prochaines étapes clés :
- Collecte des 874 000+ signatures avant la date butoir
- Validation des signatures par les autorités électorales
- Inscription au scrutin de novembre 2026 (si succès)
- Campagne intense des deux camps
- Très probable bataille judiciaire post-référendum
En clair, le chemin est encore long et parsemé d’obstacles majeurs.
Quel impact potentiel sur l’écosystème crypto mondial ?
Si la Californie adoptait une telle mesure, elle deviendrait le premier grand État américain à instaurer une taxe annuelle sur les patrimoines incluant explicitement les cryptomonnaies et les gains latents. Cela créerait un précédent majeur susceptible d’influencer d’autres juridictions.
Plusieurs conséquences possibles :
- Accélération des délocalisations vers des États crypto-friendly (Texas, Wyoming, Floride)
- Augmentation de l’intérêt pour les solutions de préservation de patrimoine décentralisées
- Renforcement du narratif « Bitcoin comme assurance contre l’État »
- Possible migration de projets blockchain vers des juridictions étrangères
- Impact négatif sur l’attractivité de la Silicon Valley pour les startups crypto
Ces différents éléments pourraient redessiner la géographie du capital crypto aux États-Unis, voire au-delà.
Et si c’était le début d’un mouvement plus large ?
Certains observateurs estiment que cette proposition californienne n’est qu’un symptôme d’un mouvement plus profond aux États-Unis et dans le monde : la volonté de nombreux gouvernements de taxer davantage les ultra-riches pour financer des dépenses sociales croissantes dans un contexte de dette publique élevée.
Si la Californie ouvrait la voie, d’autres États pourraient suivre, voire le gouvernement fédéral lui-même, qui étudie depuis plusieurs années différentes formes de taxation du patrimoine des milliardaires.
Pour la communauté crypto, qui a toujours défendu l’idée d’une souveraineté financière individuelle, cette évolution représente un défi existentiel majeur.
Conclusion : un bras de fer historique en perspective
Le débat autour de la Billionaire Tax Act dépasse largement la simple question fiscale. Il cristallise deux visions du monde qui s’opposent : d’un côté, ceux qui considèrent que la concentration extrême des richesses est une menace pour la société et qu’il faut absolument la corriger par la fiscalité ; de l’autre, ceux qui pensent que taxer lourdement les patrimoines, surtout de façon récurrente et sur des gains non réalisés, finira par détruire l’innovation, faire fuir les talents et finalement appauvrir tout le monde.
Entre ces deux camps, le dialogue semble pour l’instant très difficile. Et pendant ce temps, les regards du monde entier sont braqués sur la Californie, cet État qui a vu naître les plus grandes fortunes technologiques et crypto de l’histoire, et qui pourrait demain les voir partir en masse.
L’avenir nous dira si la Californie choisit de rester le paradis de l’innovation technologique et crypto… ou si elle devient le symbole d’une rupture historique entre les ultra-riches et les pouvoirs publics.
Une chose est sûre : l’année 2026 s’annonce explosive sur le front fiscal pour les plus grandes fortunes du numérique.
