Imaginez un instant : vous avez patiemment accumulé un portefeuille de cryptomonnaies conséquent au fil des années. Bitcoin, Ethereum, quelques altcoins prometteurs… Et puis, un jour, le pire arrive. Vos proches se retrouvent démunis, incapables d’accéder à ces actifs. Pas de trace bancaire, pas de contrat visible. Juste un vide numérique irréversible. Des millions d’euros partis en fumée parce que personne ne connaissait l’existence des clés privées.
Cette scénario n’est pas de la science-fiction. Il se produit déjà, silencieusement, à travers le monde. Avec près de 10 % des Français détenteurs de cryptos en 2025, la question de la transmission successorale devient urgente. Contrairement aux actifs traditionnels, les cryptomonnaies n’obéissent à aucun registre centralisé. Elles existent uniquement grâce à la blockchain et aux fameux mots de récupération. Sans anticipation, votre patrimoine numérique risque purement et simplement de disparaître.
La succession crypto : un enjeu majeur du patrimoine moderne
Le droit patrimonial traditionnel n’était pas préparé à cette révolution. Les notaires, conseillers en gestion de patrimoine et même les banques peinent parfois à intégrer ces nouveaux actifs dans leurs pratiques. Pourtant, la valeur totale des cryptomonnaies perdues à cause de décès non anticipés se chiffre déjà en milliards à l’échelle mondiale.
Le règlement européen MiCA a bien posé un cadre pour le développement du secteur, mais il reste muet sur les questions successorales. Résultat : c’est à chaque détenteur de prendre ses responsabilités. Heureusement, des solutions concrètes existent pour organiser sereinement cette transmission.
Pourquoi les cryptomonnaies posent un problème unique en matière de succession
Dans le système financier classique, un décès déclenche automatiquement des mécanismes de transmission. Les banques signalent les comptes, les assurances-vie désignent des bénéficiaires, les notaires recensent les biens immobiliers. Rien de tout cela n’existe pour les cryptos.
Les actifs numériques sont pseudonymes et décentralisés. Aucune institution ne sait que vous détenez du Bitcoin sauf si vous le déclarez. Et même alors, sans les clés privées ou les phrases de récupération, impossible d’y accéder. C’est la force de la blockchain : elle vous rend seul maître de vos fonds. Mais c’est aussi sa faiblesse en cas de disparition.
Les cryptomonnaies ne laissent aucune trace tangible. Sans accès aux clés privées, les avoirs peuvent littéralement s’effacer dans le néant numérique.
Des cas célèbres illustrent cette réalité. On estime que près de 4 millions de Bitcoins sont définitivement perdus, en partie à cause de décès sans transmission organisée. En France, des familles découvrent parfois trop tard l’existence d’un portefeuille important, mais sans moyen d’y accéder.
Étape 1 : Faire un inventaire précis et sécurisé de ses actifs numériques
La toute première mesure à prendre est simple mais essentielle : dresser une liste complète de tout ce que vous possédez en cryptomonnaies. Cela semble évident, mais beaucoup négligent cette étape.
Pour chaque actif, notez le type de cryptomonnaie, la quantité détenue, la plateforme ou le wallet utilisé, et éventuellement la valeur approximative. Incluez aussi les adresses publiques si nécessaire (sans jamais noter les clés privées au même endroit).
Contenu recommandé pour votre inventaire crypto :
- Plateformes d’échange utilisées (avec identifiants de connexion)
- Wallets non-custodial (type de wallet, emplacement du hardware)
- Quantités et types de tokens détenus
- Eventuels comptes de staking ou lending
- Clés API si utilisées pour du trading automatisé
- NFTs et collections associées
Cet inventaire doit être conservé dans un endroit sécurisé mais accessible à vos héritiers potentiels. Plusieurs options s’offrent à vous : coffre-fort numérique chiffré, dépôt chez un notaire, ou même un coffre bancaire contenant une version papier.
L’important est de mettre à jour régulièrement ce document. Les portefeuilles évoluent, les stratégies changent. Un inventaire datant de plusieurs années risque de devenir obsolète.
Étape 2 : Choisir le bon mode de conservation pour faciliter la transmission
La façon dont vous stockez vos cryptomonnaies influence directement la facilité de transmission. Il existe plusieurs approches, chacune avec ses avantages et inconvénients en matière de succession.
Les wallets matériels (hardware wallets) comme Ledger ou Trezor restent la solution la plus sécurisée pour la conservation à long terme. Ils offrent une matérialisation physique qui peut être transmise comme n’importe quel bien précieux.
- Avantages : Excellente protection contre le piratage, possibilité de dépôt en coffre bancaire ou chez notaire
- Inconvénients : Moins pratique pour les personnes mobiles, risque de perte physique
Pour ceux qui voyagent beaucoup ou préfèrent éviter les objets physiques, les solutions hybrides gagnent en popularité. Les wallets multi-signatures exigent plusieurs validations pour toute transaction, répartissant ainsi le risque.
Une configuration courante : 2-of-3, où trois clés existent mais deux suffisent pour accéder aux fonds. Vous en détenez une, un proche de confiance une autre, et la troisième est conservée chez un professionnel (notaire ou prestataire spécialisé).
Les solutions de custody : déléguer en toute sécurité
De plus en plus d’investisseurs choisissent de confier leurs actifs à des prestataires régulés offrant des services de custody. Ces plateformes enregistrées auprès de l’AMF proposent une conservation professionnelle avec des procédures claires en cas de décès.
Contrairement aux wallets personnels, ces solutions bénéficient d’une traçabilité institutionnelle. Les héritiers peuvent plus facilement prouver leur droit et récupérer les actifs via des démarches encadrées.
Avantages de la custody régulée pour la succession :
- Procédures successorales prédéfinies
- Protection juridique renforcée
- Pas besoin de gérer les clés privées personnellement
- Traçabilité pour les déclarations fiscales
- Accès facilité pour les héritiers légitimes
Cette approche convient particulièrement aux portefeuilles importants ou aux investisseurs qui préfèrent déléguer les aspects techniques.
Transmettre les clés privées sans compromettre sa sécurité de son vivant
Le cœur du problème réside dans la transmission des éléments d’accès. Comment partager les informations nécessaires sans risquer le vol ou l’utilisation frauduleuse pendant votre vie ?
Plusieurs techniques permettent de résoudre cette équation. La plus simple consiste à séparer les informations : une partie chez un notaire, une autre chez un proche de confiance, de sorte qu’aucune personne seule ne puisse accéder aux fonds.
Des services spécialisés proposent désormais des “coffres-forts numériques” avec accès différé. Les instructions ne deviennent accessibles qu’après déclaration de décès auprès des autorités compétentes.
L’objectif est clair : garantir une transmission fluide tout en préservant une sécurité absolue pendant toute la durée de vie du détenteur.
Certains utilisent aussi des testaments cryptés ou des smart contracts programmés pour libérer les accès sous certaines conditions vérifiables (preuve de décès par exemple).
Le rôle crucial des professionnels du patrimoine
Face à cette complexité croissante, s’entourer de professionnels formés aux actifs numériques devient indispensable. Notaires spécialisés, conseillers en gestion de patrimoine crypto-compétents, avocats fiscalistes : ces experts permettent d’intégrer vos cryptomonnaies dans une stratégie globale cohérente.
Ils vous aideront à coordonner les différents aspects : fiscalité (droits de succession sur les plus-values latentes), coordination entre héritiers, rédaction de clauses spécifiques dans votre testament.
- Évaluation précise de la valeur au jour du décès
- Optimisation fiscale de la transmission
- Rédaction de directives claires pour les accès
- Coordination avec les plateformes de custody
En 2025, de plus en plus de cabinets se forment à ces enjeux. Ne pas les consulter revient à prendre le risque que vos efforts d’investissement profitent… à personne.
Aspects fiscaux : ce qu’il faut anticiper
La transmission de cryptomonnaies déclenche des obligations fiscales spécifiques. En France, les héritiers doivent déclarer la valeur des actifs au jour du décès, avec taxation des plus-values latentes selon le régime applicable.
Une bonne anticipation permet d’optimiser cette charge. Certains choisissent de réaliser progressivement des plus-values de leur vivant pour lisser la fiscalité. D’autres structurent leur détention via des enveloppes spécifiques.
Le plus important reste la traçabilité. Sans preuve de l’existence et de la valeur des actifs, les héritiers risquent des redressements ou simplement de passer à côté d’une partie de l’héritage.
Erreurs courantes à éviter absolument
Malgré les solutions disponibles, certains pièges restent fréquents. Voici les erreurs les plus graves qui entraînent la perte définitive d’actifs numériques.
- Noter ses phrases de récupération dans un document non sécurisé
- Oublier de mettre à jour son inventaire après des transferts
- Confier toutes les clés à une seule personne
- Penser que les plateformes d’échange transmettront automatiquement
- Négliger de former ses proches aux bases de la crypto
Une erreur particulièrement répandue : croire que laisser son ordinateur ou son téléphone suffit. Les mots de passe seuls ne permettent pas toujours de récupérer un wallet, surtout s’il est chiffré ou utilise une seed phrase séparée.
Perspectives d’évolution : vers une normalisation de la succession crypto
À mesure que les cryptomonnaies se démocratisent, le cadre juridique évolue. Certains pays commencent à intégrer spécifiquement ces actifs dans leur droit successoral. Des standards internationaux pourraient émerger dans les prochaines années.
Les prestataires régulés développent des fonctionnalités dédiées : bénéficiaires désignés, procédures de récupération post-décès, intégration avec les études notariales. Le rôle du notaire pourrait s’étendre à la garde de certaines informations d’accès.
Cette normalisation rendra la transmission plus fluide pour les générations futures. Mais en attendant, l’initiative individuelle reste primordiale.
Organiser la succession de son patrimoine crypto n’est pas seulement une question technique. C’est un acte de responsabilité envers ses proches. Un moyen de s’assurer que les fruits de vos investissements leur reviennent pleinement. Dans un monde où la valeur se numérise toujours plus, anticiper devient non seulement prudent, mais nécessaire.
Prenez le temps aujourd’hui d’inventorier, de sécuriser, de planifier. Vos héritiers vous en seront reconnaissants demain.
