Imaginez un instant : une application qui suit vos cycles menstruels, mais qui ne revend jamais vos données, même sous la menace d’une subpoena. Dans un monde où les informations personnelles sont devenues une monnaie d’échange, un projet audacieux nommé PrivyCycle émerge pour redéfinir la confidentialité des applications de santé sur la blockchain Ethereum. Né dans le feu des débats à Berlin et affiné lors d’un hackathon à Cannes, ce projet soulève une question brûlante : la blockchain peut-elle vraiment protéger nos données les plus intimes ?
PrivyCycle : Une Réponse à un Problème Urgent
L’idée de PrivyCycle n’est pas née dans le calme d’un bureau, mais dans l’effervescence d’une confrontation publique. Lors de l’événement d/acc Berlin en juin 2025, Migle Rakitaite, fondatrice de Wxmen Web3Privacy Now, a interpellé Vitalik Buterin, figure emblématique d’Ethereum. Face à une salle comble, elle a pointé du doigt un oubli criant : pourquoi la Fondation Ethereum n’a-t-elle pas investi davantage dans des solutions natives pour protéger les données de santé sensibles, comme celles des applications de suivi menstruel ? Cette question, posée avec audace, a marqué le point de départ d’un projet ambitieux.
Le jour où ma fille aura ses premières règles, je veux lui offrir une application qui protège ses données, tout en simplifiant le suivi de sa fertilité.
Migle Rakitaite
Ce défi n’était pas théorique. Aux États-Unis, la criminalisation de l’avortement dans plusieurs États a transformé les applications de suivi menstruel en outils à double tranchant. Des services comme Flo ou Clue, bien que populaires, ont été critiqués pour leurs pratiques de monétisation des données, parfois transmises à des tiers sans consentement clair. PrivyCycle veut changer la donne en s’appuyant sur la blockchain Ethereum et des technologies de pointe pour garantir une confidentialité sans faille.
Un Prototype Prometteur Né d’un Hackathon
Lors du hackathon ETHGlobal CannesCC en 2025, Migle Rakitaite s’est associée à des développeurs de TACo.build, Vialabs.io, 0g.ai et Waku/Logos. Ensemble, ils ont créé PrivyCycle, un prototype qui a brillé parmi 334 projets, se classant dans le top 10 et remportant trois prix de sponsors. Ce n’est pas une application prête à l’emploi, mais une preuve de concept qui pose des questions essentielles sur la capacité d’Ethereum à soutenir des applications axées sur la confidentialité, au-delà des traditionnels échanges DeFi.
Les éléments clés de PrivyCycle
- Chiffrement local des données sur l’appareil de l’utilisateur.
- Stockage décentralisé via IPFS pour une sécurité accrue.
- Partage sélectif des données avec des médecins grâce à des clés de seuil.
- Intégration de suggestions basées sur l’IA, anonymisées.
Ce prototype utilise des technologies comme Privy.io pour l’abstraction d’identité, Zurcuit pour les preuves à connaissance nulle (ZK), et TACo pour un contrôle d’accès par seuil. Ces outils permettent aux utilisateurs de consigner leurs symptômes localement, de chiffrer leurs données, de les stocker sur IPFS, et de partager uniquement ce qui est nécessaire avec des tiers, comme des professionnels de santé.
La Cryptographie ZK : Une Solution d’Avenir ?
La cryptographie à connaissance nulle (ZK) est au cœur de PrivyCycle. Elle permet de prouver qu’une information est vraie sans révéler son contenu. Par exemple, une utilisatrice pourrait démontrer à un médecin que son cycle est régulier depuis six mois sans partager les détails précis. Mais en 2025, cette technologie reste immature pour des données complexes comme les dossiers médicaux ou les journaux menstruels.
La cryptographie ZK est prometteuse, mais son application aux données de santé non standardisées est un défi technique majeur.
Un développeur anonym
Les circuits ZK-SNARK sont coûteux à déployer, les solutions de couche 2 fragmentent l’accès aux données, et le stockage hors chaîne introduit de nouvelles vulnérabilités. Aucun protocole ZK open-source, audité et prêt pour un usage médical n’existe à ce jour. PrivyCycle, en combinant des outils existants, tente de combler ce vide, mais le chemin vers une adoption massive reste long.
Les Défis de l’IA dans la Confidentialité
PrivyCycle intègre des fonctionnalités d’intelligence artificielle, comme des suggestions anonymisées pour améliorer l’expérience utilisateur. Lors de la présentation à Cannes, Rakitaite a plaisanté sur des conseils relationnels basés sur les données agrégées : « Pendant cette période, apportez-lui du chocolat et des fleurs ! » Mais même ces fonctionnalités soulèvent des questions. Toute IA personnalisée implique une certaine analyse des données, et sans modèles open-source ou audits publics, la promesse d’anonymat reste fragile.
Problèmes potentiels des fonctionnalités IA
- Risques d’inférence à partir des données agrégées.
- Manque de transparence sur les modèles d’IA utilisés.
- Nécessité d’audits pour garantir l’anonymat des suggestions.
De plus, l’exportation de données sous forme de PDF ou CSV chiffrés pour les médecins est une idée séduisante, mais peu pratique pour l’instant. La plupart des professionnels de santé ne sont pas équipés pour gérer des dossiers protégés par ZK. Cela limite l’utilité immédiate de PrivyCycle dans les contextes médicaux traditionnels.
Un Marché à Haut Risque
Le marché des applications de suivi menstruel est en pleine expansion. Certaines estimations prévoient que le secteur de la femtech atteindra 10 milliards de dollars d’ici 2034. Cependant, ces chiffres englobent des wearables, des services de fertilité et des plateformes de télésanté, et non uniquement les applications de suivi. Les revenus réels des applications comme Flo ou Clue restent opaques, souvent liés à la monétisation des données.
Dans un monde post-Dobbs, les données de santé reproductive peuvent devenir une arme juridique.
Un analyste du secteur
En 2021, Flo a été épinglé pour avoir partagé des données sensibles avec des tiers, ce qui a conduit à un règlement avec la FTC. Dans un contexte où les données de santé reproductive peuvent être utilisées dans des affaires judiciaires, la confidentialité n’est plus seulement une question technique, mais aussi politique. PrivyCycle répond à ce défi en proposant une alternative décentralisée, mais son modèle économique reste flou.
Pourquoi Ethereum Doit Aller Plus Loin
PrivyCycle n’est pas une solution aboutie, mais une provocation. Il met en lumière les lacunes d’Ethereum en matière d’outils de confidentialité pour les données non financières. Alors que des solutions comme Tornado Cash ont été sanctionnées et que les couches 2 se concentrent sur la finance décentralisée, les applications pour les données médicales ou sociales restent à la traîne.
Les prochaines étapes pour PrivyCycle
- Améliorer le contrôle d’accès avec un chiffrement de bout en bout.
- Développer des outils ZK adaptés aux données médicales.
- Collaborer avec des professionnels de santé pour une adoption réelle.
Pour que PrivyCycle passe du prototype à une solution viable, Ethereum doit investir dans des outils de confidentialité robustes. Cela inclut des protocoles ZK audités, des solutions de stockage décentralisées fiables et des interfaces utilisateur simplifiées pour les non-initiés à la blockchain.
Un Pas Vers l’Avenir
PrivyCycle n’est pas seulement un projet technique ; c’est un appel à repenser la manière dont nous protégeons nos données les plus intimes. En combinant la cryptographie ZK, le stockage décentralisé et une vision centrée sur l’utilisateur, il ouvre la voie à une nouvelle génération d’applications de santé. Mais pour que cette vision devienne réalité, l’écosystème Ethereum doit relever le défi de la confidentialité avec la même énergie qu’il a consacrée à la finance décentralisée.
Si Ethereum veut devenir une infrastructure sociale, il doit prendre la confidentialité au sérieux, pas seulement dans les hackathons, mais au niveau des protocoles.
Migle Rakitaite
En attendant, PrivyCycle reste un symbole d’espoir et d’innovation. Il rappelle que la blockchain peut faire plus que des transactions financières : elle peut protéger ce qui compte vraiment. Pour les femmes, pour les patients, pour nous tous, ce n’est qu’un début.
