Depuis plusieurs mois, l’administration du président américain Joe Biden multiplie les initiatives visant à compliquer l’accès des entreprises de cryptomonnaies aux services bancaires traditionnels. Baptisée officieusement “Choke Point 2.0”, en référence à un programme controversé lancé sous Barack Obama, cette stratégie inquiète de nombreux acteurs de l’industrie. Décryptage d’un bras de fer qui pourrait peser lourd sur l’avenir des cryptos aux États-Unis.
Aux origines du “Choke Point” : la lutte contre la fraude version Obama
Pour bien comprendre les enjeux actuels, il faut remonter à 2013 et au lancement par l’administration Obama de l'”Operation Choke Point”. L’objectif affiché était alors de lutter contre les activités frauduleuses et illégales en privant les criminels d’accès au système bancaire. En forçant les institutions financières à couper les ponts avec les entreprises jugées à haut risque, les régulateurs espéraient “étouffer” les sources de financement des acteurs malveillants.
Si les intentions semblaient louables, des inquiétudes se sont rapidement fait jour quant aux dommages collatéraux potentiels pour des entreprises parfaitement légitimes. Accusé de nuire plus que de raison aux affaires, le programme a finalement été officiellement abandonné en août 2017 sous la présidence de Donald Trump. Mais tel un phénix, l’idée d’utiliser le levier bancaire pour réguler par contournement semble renaître de ses cendres sous Biden, avec les cryptomonnaies dans le viseur cette fois.
Le Choke Point 2.0 : une guerre contre les cryptos qui ne dit pas son nom ?
C’est le capital-risqueur Nic Carter qui a le premier tiré la sonnette d’alarme début 2023 sur ce qu’il a appelé le “Choke Point 2.0”, dénonçant une série de manœuvres de l’administration Biden visant à isoler l’industrie crypto du secteur bancaire. Dans un article très remarqué publié le 8 février, Carter détaille comment des actions éparses sont en train de s’agréger en un véritable plan coordonné à l’échelle de plusieurs agences gouvernementales pour décourager les banques de travailler avec des entreprises crypto.
Rejet de demandes de licences bancaires, pressions réglementaires, menaces voilées… Les efforts de l’exécutif ciblent à la fois les banques traditionnelles qui acceptent des clients crypto et les sociétés crypto cherchant à obtenir elles-mêmes un statut bancaire. Une stratégie jugée hypocrite par Carter, pour qui les régulateurs cherchent ainsi à marginaliser une industrie qu’ils ne peuvent pas contrôler directement, sans avoir à en payer le coût politique.
Les banques lâchent les cryptos les unes après les autres
Depuis la publication de l’article de Carter, les signaux inquiétants se sont multipliés, donnant corps à sa théorie. On peut notamment citer :
- La décision de Signature Bank de réduire de moitié ses dépôts clients crypto
- La fermeture du département crypto de Metropolitan Commercial Bank
- L’enquête sur Silvergate pour ses liens avec FTX et Alameda Research
- La suspension par Binance des transferts en dollars pour ses clients particuliers
Autant d’exemples qui illustrent la pression croissante mise sur les institutions financières pour qu’elles prennent leurs distances avec les cryptoactifs, au risque de fragiliser tout un écosystème. Si l’onde de choc de l’affaire FTX a clairement servi d’accélérateur, Carter y voit surtout un prétexte commode pour justifier un tour de vis qui couvait depuis longtemps.
Un coup d’arrêt pour l’innovation made in USA ?
Au-delà des conséquences immédiates pour les entreprises concernées, c’est tout le dynamisme du secteur crypto américain qui pourrait être remis en cause par cette offensive réglementaire. En compliquant l’accès aux rails de la finance traditionnelle, indispensables à la convertibilité des cryptomonnaies et à leur adoption par le grand public, Washington prend le risque d’inciter les acteurs les plus innovants à s’exiler sous des cieux plus cléments.
Les experts s’inquiètent pour la compétitivité des États-Unis dans les technologies décentralisées :
- Freiner le développement des cryptos reviendrait à “trahir les idéaux américains pour des gains à court terme” selon Max Sultanov de Yona Network
- Le candidat à la présidentielle Donald Trump promet d’arrêter immédiatement le Choke Point 2.0 s’il est élu pour “assurer des règles du jeu équitables”
- Son engagement à limoger le patron de la SEC Gary Gensler, héraut de la ligne dure, a été particulièrement applaudi
Alors que les signaux positifs envoyés récemment par l’Union Européenne et le Royaume-Uni laissent entrevoir l’émergence de pôles concurrents, la pression monte sur les États-Unis pour ne pas se laisser distancer. Le débat promet d’être animé dans les mois à venir, à l’approche de l’élection présidentielle de 2024 où les cryptos pourraient bien s’inviter dans la campagne. En attendant, le Choke Point 2.0 continue de plus belle, au grand dam d’une industrie qui se sent injustement prise pour cible.