Imaginez un instant : les géants de l’assurance, ces institutions traditionnelles et prudentes, qui commencent à placer une partie de leurs immenses réserves dans des actifs aussi volatils que le Bitcoin ou l’Ethereum. Cela semble encore improbable pour beaucoup, pourtant à Hong Kong, cette idée est en train de prendre forme. La ville, déjà connue pour son ambition de devenir un hub mondial des actifs numériques, franchit une nouvelle étape qui pourrait marquer un tournant.
Le 22 décembre 2025, l’Autorité de l’assurance de Hong Kong a dévoilé une proposition qui, si elle est adoptée, permettra pour la première fois aux compagnies d’assurance d’investir directement dans les cryptomonnaies. Bien sûr, rien n’est gratuit dans le monde de la finance : ces investissements seront soumis à des contraintes strictes. Mais cette annonce n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large visant à attirer les capitaux institutionnels vers le secteur crypto, tout en préservant la stabilité financière.
Une ouverture prudente pour les assureurs hongkongais
Le cœur de la proposition repose sur un cadre risque-based capital qui intègre explicitement les actifs numériques. Concrètement, toute exposition aux cryptomonnaies volatiles serait assortie d’une charge de risque de 100 %. Cela signifie que pour chaque dollar investi en Bitcoin ou en altcoins, l’assureur devra immobiliser un dollar supplémentaire en capital. Une mesure dissuasive ? Certainement. Mais elle rend néanmoins l’investissement possible, là où il était jusqu’à présent implicitement interdit.
Les stablecoins, eux, bénéficient d’un traitement plus favorable. Leur charge de risque sera alignée sur celle de la monnaie fiat à laquelle ils sont adossés, à condition que l’émetteur soit régulé à Hong Kong. Cette distinction montre clairement la volonté des autorités : encourager les actifs numériques stables et utiles, tout en décourageant les paris spéculatifs purs.
Cette proposition ne sort pas de nulle part. Elle fait partie d’une révision globale du régime de capital basé sur le risque. Une consultation publique est prévue de février à avril prochain, avant une soumission législative. Les assureurs et les acteurs du marché auront donc l’occasion de faire entendre leur voix.
« Cette évolution marque la première fois que le régulateur définit formellement comment les assureurs peuvent détenir des cryptomonnaies dans leurs bilans. »
Extrait du rapport de l’Autorité de l’assurance
Pourquoi Hong Kong avance-t-elle sur ce terrain ?
Hong Kong ne cache pas son ambition : devenir le principal centre financier asiatique pour les actifs numériques. Depuis plusieurs années, la ville multiplie les initiatives pour attirer les entreprises crypto tout en maintenant un cadre réglementaire solide. La licence pour les exchanges en 2023, le régime pour les stablecoins entré en vigueur en août 2025, et maintenant cette ouverture aux assureurs.
Le contexte économique joue aussi. La région fait face à des pressions budgétaires croissantes et cherche des sources de financement privées pour ses grands projets d’infrastructure. La proposition inclut d’ailleurs des incitations capital pour les investissements dans des projets liés à Hong Kong ou à la Chine continentale, comme le développement de la Northern Metropolis près de la frontière.
Même si l’Autorité de l’assurance insiste sur son indépendance, il est clair que cette mesure s’aligne avec les priorités gouvernementales. Attirer des capitaux institutionnels dans le crypto tout en finançant les infrastructures : deux objectifs servis par une même pierre.
Les chiffres clés du secteur assurance à Hong Kong
- 158 assureurs autorisés en juin 2025
- Primes brutes totales : environ 635 milliards HK$ (82 milliards USD) en 2024
- Même une allocation minuscule en crypto pourrait représenter des flux significatifs
- Charge de risque crypto : 100 % (capital égal à l’exposition)
Les stablecoins : un traitement à part
Contrairement aux cryptomonnaies volatiles, les stablecoins sont vus comme des outils potentiellement utiles pour le système financier. La proposition reflète cette vision : leur charge de risque dépendra de la monnaie fiat sous-jacente. Un stablecoin adossé au dollar hongkongais ou au dollar américain sera traité presque comme une détention de devise traditionnelle.
Cette approche coïncide parfaitement avec le nouveau régime de licence pour les émetteurs de stablecoins, effectif depuis août 2025. Les exigences sont strictes : capital minimum de 25 millions HK$, réserves liquides couvrant 100 % des tokens en circulation. Les premières licences sont attendues début 2026.
Pour les assureurs, cela ouvre une porte : ils pourront détenir des stablecoins régulés sans pénalité excessive. Un moyen indirect d’exposition au monde crypto, plus stable et moins risqué.
Les réactions du secteur et les obstacles potentiels
Déjà, plusieurs acteurs du secteur assurance ont exprimé des réserves. Pour les investissements infrastructure, par exemple, beaucoup estiment que trop peu de projets qualifient actuellement. Les critères pourraient être assouplis lors des discussions.
Pour la partie crypto, la charge de 100 % est vue comme un frein majeur. Elle rend les investissements possibles mais peu attractifs économiquement. Certains y voient une simple reconnaissance formelle plutôt qu’une véritable incitation.
Cependant, même une petite allocation pourrait avoir un impact. Avec 82 milliards de dollars de primes annuelles, une exposition de 0,1 % représenterait déjà 82 millions de dollars. Multipliée par plusieurs assureurs, cela pourrait apporter une liquidité institutionnelle bienvenue.
Le paysage crypto hongkongais en pleine évolution
Cette proposition s’inscrit dans un mouvement plus large. HashKey, le plus grand exchange licencié de la ville, vient d’entrer en bourse ce mois-ci. Les volumes de trading régulés augmentent, les pilotes de tokenisation d’actifs réels se multiplient, et même les obligations vertes blockchain reviennent pour une troisième édition.
Hong Kong se positionne clairement en concurrent direct de Singapour et des Émirats arabes unis. La différence ? Une proximité unique avec la Chine continentale et une réglementation qui avance vite, mais de manière mesurée.
- Régime stablecoins : en vigueur depuis août 2025
- Licences exchanges : cadre solide depuis 2023
- Tokenisation : pilotes actifs avec institutions financières
- Obligations vertes blockchain : troisième émission prévue
- Assureurs et crypto : proposition en consultation 2026
Quelles implications pour le marché global ?
Si Hong Kong réussit à attirer les assureurs dans le crypto, même marginalement, cela pourrait créer un précédent. D’autres juridictions asiatiques pourraient suivre. Et à terme, l’arrivée progressive de capitaux institutionnels très prudents pourrait contribuer à maturer le marché.
À l’inverse, la charge de 100 % envoie un signal clair : les régulateurs ne sont pas prêts à prendre des risques systémiques. La volatilité reste vue comme un danger, pas comme une opportunité.
Pour les investisseurs individuels, cette nouvelle pourrait passer inaperçue. Pourtant, elle participe à la légitimation progressive des actifs numériques. Chaque étape réglementaire positive renforce la confiance à long terme.
« Hong Kong continue de construire son cadre pour les actifs numériques avec prudence et détermination. »
Et la concurrence internationale ?
Les États-Unis restent englués dans leurs débats réglementaires. L’Europe avance avec MiCA, mais lentement. Pendant ce temps, Hong Kong agit concrètement. La ville bénéficie aussi de son statut particulier : suffisamment indépendante pour innover, suffisamment liée à la Chine pour attirer les flux asiatiques.
Les grands gestionnaires d’actifs mondiaux regardent attentivement. Si les assureurs locaux commencent à allouer ne serait-ce que de petites sommes, cela pourrait inciter d’autres institutions à revoir leur politique d’investissement.
Mais rien n’est acquis. La consultation publique sera décisive. Les retours du secteur pourraient modifier sensiblement le texte final.
Vers une adoption institutionnelle mesurée
En conclusion, cette proposition hongkongaise illustre parfaitement l’approche asiatique du crypto : progressive, encadrée, pragmatique. Pas de révolution brutale, mais des pas mesurés qui construisent un écosystème durable.
Les assureurs ne vont pas soudainement convertir des milliards en Bitcoin. Mais la porte est désormais entrouverte. Et dans le monde de la finance, c’est souvent ainsi que commencent les grandes transformations.
2026 pourrait bien marquer l’année où Hong Kong confirme son statut de hub crypto asiatique. Avec les premières licences stablecoins, l’entrée en bourse d’exchanges locaux, et peut-être cette nouvelle ouverture aux assureurs. Le chemin est tracé, reste à voir à quelle vitesse le secteur l’empruntera.
