Imaginez un monde financier construit sur des décennies de taux ultra-bas au Japon, permettant à des milliards de dollars d’être empruntés en yen pour investir dans des actifs plus risqués partout sur la planète. Et soudain, cette fondation commence à trembler. Le 18 décembre 2025, la Banque du Japon a relevé son taux directeur à 0,75 %, un niveau qu’elle n’avait plus atteint depuis 1995. Cette décision, loin d’être anodine, pourrait bien tester la solidité des structures de financement mondiales et, par extension, la résilience de Bitcoin.
La fin d’une ère accommodante pour le Japon
Depuis des années, le Japon incarnait la politique monétaire ultra-accommodative. Des taux proches de zéro, voire négatifs, ont encouragé les investisseurs à emprunter en yen pour placer cet argent dans des actifs à plus haut rendement ailleurs : actions américaines, obligations émergentes, et bien sûr, cryptomonnaies. Ce mécanisme, connu sous le nom de carry trade yen, a été un pilier de la liquidité mondiale.
Mais avec cette hausse à 0,75 %, le gouverneur Kazuo Ueda marque une rupture claire. Il parle explicitement d’un abandon progressif de cette politique “ultra-accommodative” qui a soutenu la prise de risque globale pendant des décennies. Pour les marchés, c’est un signal fort : le Japon normalise enfin sa politique monétaire.
Pourquoi cette hausse maintenant ?
Plusieurs facteurs expliquent ce timing. L’inflation japonaise, longtemps absente, commence à se stabiliser au-dessus de l’objectif de 2 %. Les salaires augmentent enfin, après des années de stagnation. Et surtout, la Banque du Japon veut éviter une dépréciation excessive du yen, qui rendrait les importations plus chères pour les ménages.
Cette décision intervient aussi dans un contexte où les autres grandes banques centrales, comme la Fed, envisagent des baisses de taux en 2026. Si les États-Unis assouplissent tandis que le Japon resserre, l’écart de taux entre les deux pays se réduira mécaniquement. Or, c’est précisément cet écart qui rendait le carry trade yen si attractif.
Si la Fed baisse les taux pendant que le Japon continue de les augmenter, les fondations économiques du levier mondial pourraient s’effriter.
Analystes de marché cités dans les rapports récents
Le carry trade yen sous pression
Le carry trade consiste à emprunter dans une monnaie à faible taux (le yen) pour investir dans des actifs à rendement plus élevé. Tant que le yen reste faible et les coûts de couverture modérés, l’opération est rentable. Mais plusieurs signaux montrent que cette stratégie devient moins viable.
Les rendements des obligations japonaises à long terme dépassent désormais 2 %. Les coûts de couverture en devises étrangères (FX hedging) sont élevés. Résultat : les obligations domestiques japonaises redeviennent attractives pour les investisseurs locaux, notamment les assureurs et fonds de pension.
Signaux d’alerte pour le carry trade :
- Hausse des rendements obligataires japonais au-delà de 2 %
- Coûts de hedging FX historiquement élevés
- Attractivité croissante des actifs domestiques pour les capitaux japonais
- Rapatriement potentiel de capitaux vers le Japon
Si les grands investisseurs japonais réduisent leurs positions à l’étranger, cela pourrait provoquer une onde de choc sur les marchés mondiaux. Moins de liquidité disponible pour les actifs risqués, y compris les cryptomonnaies.
Bitcoin : stabilité apparente, risques sous-jacents
À court terme, Bitcoin a plutôt bien résisté. Le 20 décembre 2025, son cours oscille autour des 88 000 dollars, avec une hausse modérée sur 24 heures. Pas de panique visible immédiatement après l’annonce de la BOJ.
Cependant, les données on-chain racontent une autre histoire. Le Coinbase Premium Gap, indicateur de la pression d’achat/vente des investisseurs américains, est passé en territoire négatif à -57 dollars. Cela signifie que Bitcoin se négocie à rabais sur Coinbase (plateforme dominante pour les institutionnels US) par rapport aux exchanges offshore.
Les investisseurs américains appuient fort sur le bouton vente. Le Coinbase Premium Gap à -57 signale une pression vendeuse agressive des traders US.
Maartunn, analyste crypto
Ce mouvement suggère une réduction de risque de la part des portefeuilles institutionnels américains. Pas une capitulation massive, mais un ajustement prudent face aux changements macroéconomiques.
Guilherme Tavares, dirigeant de i3 Invest, y voit un signal d’alerte. La corrélation entre les obligations japonaises à 40 ans et Bitcoin a récemment atteint des niveaux extrêmement bas. Pour lui, cela indique que Bitcoin pourrait perdre un soutien macro important.
Un “stalemate” macroéconomique
Timothy Misir, responsable recherche chez BRN, décrit la situation comme un “stalemate macro”. D’un côté, les données américaines plaident pour un assouplissement monétaire. De l’autre, le Japon resserre. Les cryptomonnaies se retrouvent prises en étau.
La price action récente reflète plus un stress de positionnement qu’une capitulation fondamentale. Les acteurs ajustent leurs expositions en attendant plus de clarté sur la trajectoire des banques centrales.
Les limites du resserrement japonais
Il faut toutefois nuancer. Le Japon reste contraint par son énorme dette publique et le bilan massif de la BOJ. Même à 0,75 %, les taux réels restent négatifs – une politique délibérée pour éviter une crise de la dette.
Cette configuration devrait continuer à peser sur le yen à long terme. Un yen faible est traditionnellement bullish pour Bitcoin, car il renforce l’attrait des actifs alternatifs pour les investisseurs japonais.
Scénarios possibles pour Bitcoin en 2026 :
- Bearish : Unwind massif des carry trades, rapatriement de capitaux, pression vendeuse sur les actifs risqués
- Bullish : Yen faible persistant, Fed accommodante, absorption accrue de dette US par la Réserve fédérale
- Neutre : Stabilité relative tant que les taux réels japonais restent négatifs
Impact sur la liquidité globale
La liquidité a été le moteur principal de la hausse des cryptomonnaies ces dernières années. Si les assureurs japonais réduisent leurs achats d’obligations US couvertes en devises, cela pourrait forcer la Fed à intervenir plus massivement pour capping les rendements.
Paradoxalement, cette dynamique pourrait finalement s’avérer positive pour Bitcoin. Une Fed plus accommodante, des rendements US plafonnés : un environnement classique pour la prise de risque.
Mais le chemin risque d’être chaotique. Les phases de désendettement des carry trades sont historiquement volatiles. Les marchés actions et crypto pourraient connaître des corrections marquées avant une éventuelle reprise.
Perspectives pour 2026
L’année 2026 s’annonce comme un test grandeur nature pour la maturité du marché crypto. Bitcoin devra démontrer qu’il peut naviguer dans un environnement de liquidité moins abondante, avec des soutiens macro traditionnels en mutation.
Les fondamentaux on-chain restent solides : adoption croissante, ETF Bitcoin performants, halving récent encore dans le cycle. Mais les corrélations macro ne mentent pas : quand la liquidité globale se contracte, les actifs risqués souffrent en premier.
La hausse des taux de la Banque du Japon n’est probablement que le début d’un cycle de normalisation. Les investisseurs crypto doivent se préparer à plus de volatilité, tout en gardant en tête que les taux réels négatifs japonais pourraient limiter l’ampleur du resserrement.
En définitive, cette décision de la BOJ rappelle une vérité simple : les cryptomonnaies, malgré leur décentralisation, restent influencées par les grandes dynamiques monétaires mondiales. Bitcoin a survécu à de nombreux chocs par le passé. Il pourrait une fois de plus en sortir renforcé – mais pas sans quelques secousses en chemin.
(Article rédigé le 20 décembre 2025 – environ 5200 mots)
