Dans les arcanes du pouvoir à Washington, une bataille feutrée mais intense s’est jouée ces dernières années autour d’un projet aussi ambitieux que controversé : la création par Facebook de sa propre cryptomonnaie, initialement baptisée Libra avant d’être renommée Diem. Cet épisode méconnu vient de faire l’objet de révélations fracassantes de la part de David Marcus, ancien responsable de ce projet chez le géant des réseaux sociaux. Selon lui, le stablecoin de Facebook aurait été victime d’une “élimination 100% politique”, sous la pression de Janet Yellen, Secrétaire au Trésor des États-Unis.
De Libra à Diem, une aventure crypto semée d’embûches
Lorsque Facebook annonce en grande pompe en juin 2019 son projet Libra, le monde de la finance s’emballe. L’idée est d’adosser cette cryptomonnaie à un panier d’actifs pour en faire un stablecoin utilisable à grande échelle pour les paiements sur les différentes plateformes du groupe. Un véritable réseau monétaire global en perspective. Mark Zuckerberg affirme alors vouloir “donner du pouvoir à des milliards de personnes” avec ce nouvel instrument financier décentralisé.
Mais rapidement, les régulateurs et les politiques montent au créneau, à commencer par les États-Unis. Facebook doit venir s’expliquer devant le Congrès. Les mois passent et le projet est recadré, renommé Diem. Malgré de multiples changements pour tenter de rassurer sur les risques liés au blanchiment d’argent ou à la stabilité financière, rien n’y fait. Diem semble condamné.
David Marcus lève le voile sur les coulisses de l’affaire
Deux ans après le lancement en fanfare de Libra, David Marcus jette l’éponge et quitte Facebook. Mais visiblement, cette histoire lui reste en travers de la gorge. Dans une série de messages publiés ce weekend sur le réseau social X (ex-Twitter), il accuse sans détour Janet Yellen, la Secrétaire au Trésor, d’avoir torpillé le projet Diem. Lors d’une réunion privée avec Jerome Powell, le président de la Fed, elle lui aurait asséné que laisser avancer ce projet crypto serait “un suicide politique”. Selon David Marcus, Jerome Powell était pourtant prêt à autoriser un lancement de Diem à échelle réduite. Mais après son entrevue avec Janet Yellen, il aurait fait machine arrière et signifié à toutes les banques impliquées dans le projet que les autorités n’étaient plus à l’aise avec cette initiative.
Cet épisode laisse un goût amer à David Marcus qui souligne qu’à ce stade, le gouvernement et les régulateurs n’avaient pourtant plus d’arguments légaux ou réglementaires pour bloquer Diem. Il dénonce une “élimination 100% politique, exécutée par l’intimidation des institutions bancaires”. Une méthode qui le choque venant des États-Unis, pays qui prône l’État de droit.
Les principales étapes du feuilleton Diem-Libra de Facebook:
- Juin 2019: Annonce du projet de stablecoin Libra avec 28 partenaires
- Octobre 2019: David Marcus auditionné par le Congrès américain
- Avril 2020: Libra devient Diem, le projet est revu pour rassurer les autorités
- Mai 2021: La Fed et Janet Yellen auraient eu une discussion en coulisses pour tuer le projet
- Décembre 2021: Diem jette l’éponge, les actifs sont vendus à Silvergate Capital
Leçon de l’échec de Diem : miser sur les réseaux décentralisés
Malgré la déception, David Marcus tire un enseignement majeur de cette mésaventure avec Diem : pour construire un réseau de paiement d’envergure mondiale, mieux vaut s’appuyer sur un actif “neutre, décentralisé et inattaquable” comme le Bitcoin plutôt que sur un projet privé, aussi puissant soit le groupe qui le porte. C’est le sens de son nouveau combat avec sa startup Lightspark qui mise sur le Lightning Network et les paiements en bitcoins.
L’histoire tourmentée du projet crypto de Facebook illustre à quel point les stablecoins, même portés par des géants de la tech, restent sous haute surveillance des autorités, en particulier aux États-Unis. Elle montre aussi les limites des projets centralisés dans un écosystème qui prône justement la décentralisation comme horizon ultime. Enfin, le témoignage de David Marcus met en lumière l’influence considérable du politique dans le destin de ces initiatives disruptives liées aux cryptomonnaies.
Entre auditions au Congrès, changements de noms et pression réglementaire, Diem-Libra aura connu un parcours chaotique avant de rendre les armes. Un cas d’école qui ne manquera pas d’alimenter les réflexions sur l’avenir des monnaies numériques privées à l’heure où les États planchent sur leurs propres projets de CBDC. Pour Facebook, c’est la fin d’un chapitre agité mais sûrement pas la fin de l’histoire crypto.
Résilience du Bitcoin, fragilité des initiatives privées
La disparition forcée du projet Diem démontre aussi en creux la résilience du Bitcoin. La plus célèbre des cryptomonnaies a en effet résisté à maints assauts et tentatives de déstabilisation depuis sa création en 2009. Son caractère décentralisé et son absence de leader identifié la rendent beaucoup plus difficile à attaquer, y compris par des gouvernements puissants.
A contrario, des initiatives plus centralisées comme les stablecoins émis par des acteurs privés identifiés restent vulnérables aux pressions réglementaires et politiques, comme le cas Diem vient de le montrer de manière spectaculaire. Même le mastodonte Facebook n’a pas réussi à passer entre les mailles du filet.
En définitive, l’avenir semble donc plutôt se jouer du côté des réseaux et protocoles ouverts, neutres et décentralisés s’il s’agit de bâtir les infrastructures de paiement planétaires de demain. C’est tout le sens du pari de David Marcus et de son équipe avec Lightspark. Reste à savoir si leurs efforts pour démocratiser l’usage des paiements en bitcoins via le Lightning Network porteront leurs fruits. En tout cas, ils ne risquent plus de se faire torpiller en coulisses par une décision “100% politique” comme ce fut visiblement le cas pour le projet Diem. Cruel retour de bâton pour Facebook.