Imaginez un instant : vous avez placé vos cryptos dans ce qui semble être l’un des protocoles les plus solides de la DeFi, audité maintes fois, pionnier du yield farming. Et pourtant, un beau matin, vous apprenez qu’un attaquant a réussi à vider une partie des fonds en exploitant un contrat oublié depuis des années. C’est exactement ce qui vient d’arriver à Yearn Finance, pour la quatrième fois.
Cette nouvelle brèche de sécurité, détectée le 17 décembre 2025, remet en lumière un problème récurrent dans l’écosystème décentralisé : les contrats legacy, ces vieux codes non mis à jour, continuent d’attirer les pirates comme un miel irrésistible.
Un nouvel exploit qui frappe Yearn Finance
Selon la firme de sécurité blockchain PeckShield, l’attaque a ciblé un vault de la version 1 de Yearn Finance, autrefois connu sous le nom d’iearn. Ce contrat, deprecated depuis plusieurs années, n’avait plus reçu la moindre mise à jour. L’attaquant a utilisé une technique bien rodée : le flash loan.
Le principe est simple mais diaboliquement efficace. Un flash loan permet d’emprunter une somme colossale sans collateral, à condition de rembourser dans la même transaction. Cela offre à l’attaquant une puissance financière temporaire énorme pour manipuler les prix d’un token dans une pool de liquidité.
Dans ce cas précis, le pirate a artificiellement gonflé ou dégonflé le prix d’un actif dans le vault, lui permettant de retirer bien plus que ce qu’il aurait dû. Les fonds ont ensuite été convertis en une autre cryptomonnaie et exfiltrés rapidement.
Les flash loans restent l’arme favorite des attaquants contre les protocoles DeFi legacy, car ils exploitent des failles de pricing qui n’ont pas été corrigées dans les anciennes versions.
PeckShield Alert
Yearn Finance a rapidement réagi en indiquant qu’une revue complète des contrats encore actifs était en cours. L’équipe insiste sur le fait que les vaults v1 sont obsolètes et recommande vivement aux utilisateurs de ne plus interagir avec eux.
Comment s’est déroulée l’attaque technique ?
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut plonger un peu dans les détails techniques. Le vault visé appartenait à l’ancienne architecture iearn, déployée bien avant la refonte complète vers la version 2 et les stratégies plus modernes.
L’attaquant a commencé par contracter un flash loan massif auprès d’un protocole comme Aave ou dYdX. Avec cette liquidité temporaire, il a effectué une série d’échanges destinés à manipuler l’oracle de prix utilisé par le vault Yearn v1.
Ces oracles anciens reposaient souvent sur des pools de liquidité uniques ou mal protégés contre les manipulations. Une fois le prix faussé, le retrait des parts du vault devenait disproportionné par rapport à la valeur réelle des actifs sous-jacents.
Les étapes clés de l’attaque :
- Obtention d’un flash loan de plusieurs millions de dollars.
- Manipulation du prix via des swaps massifs dans une pool ciblée.
- Retrait abusif des actifs du vault Yearn v1 grâce au prix déformé.
- Conversion immédiate des fonds volés en ETH ou stablecoin.
- Remboursement du flash loan et empoché du profit, le tout en une seule transaction.
Cette méthode, bien que complexe, est devenue presque classique dans la DeFi. Elle illustre parfaitement pourquoi les protocoles doivent constamment mettre à jour leurs mécanismes de pricing et migrer les fonds des anciennes versions.
L’historique inquiétant des exploits Yearn
Ce n’est malheureusement pas la première fois que Yearn Finance fait les gros titres pour de mauvaises raisons. Le protocole, créé par Andre Cronje, a connu plusieurs incidents majeurs au fil des années.
Déjà en 2021, un exploit similaire avait causé des pertes importantes en utilisant des flash loans pour manipuler les prix. L’attaque avait révélé des faiblesses dans les stratégies de yield à l’époque.
En 2023, Yearn a été touché à deux reprises : une fois directement, et une autre indirectement via l’exploit d’Euler Finance, dont les vaults Yearn utilisaient les prêts.
Plus récemment, en novembre 2025, un bug d’infinite mint sur yETH avait permis à un attaquant de générer des tokens à l’infini, causant une perte estimée à 9 millions de dollars.
- 2021 : Exploit flash loan sur v1 – pertes de plusieurs millions.
- 2023 : Hack direct + impact Euler Finance.
- Novembre 2025 : Infinite mint yETH – 9 millions de dollars.
- Décembre 2025 : Nouvel exploit flash loan sur vault legacy v1.
Quatre incidents majeurs en quelques années, malgré de nombreux audits par des firmes réputées. Cela pose une question légitime : les audits sont-ils suffisants pour garantir la sécurité à long terme dans un écosystème aussi évolutif que la DeFi ?
Pourquoi les contrats legacy restent dangereux
Dans la DeFi, le code est loi. Une fois déployé sur la blockchain, un contrat immutable ne peut plus être modifié. C’est une force pour la décentralisation, mais aussi une faiblesse majeure quand des vulnérabilités sont découvertes plus tard.
Les vaults v1 de Yearn datent d’une époque où les meilleures pratiques de sécurité étaient moins matures. Les oracles étaient souvent centralisés ou basés sur une seule source, les protections contre les flash loans inexistantes.
Même si Yearn a migré la majorité des fonds vers des versions plus récentes (v2, v3), certains utilisateurs n’ont jamais retiré leurs actifs des anciens vaults. Ces contrats “zombies” continuent d’exister et d’attirer les attaquants.
Les protocoles DeFi doivent inciter fortement, voire forcer, la migration des fonds legacy pour éliminer ces vecteurs d’attaque permanents.
Expert sécurité blockchain anonyme
Le problème n’est pas unique à Yearn. De nombreux protocoles pionniers comme Compound, Uniswap v1 ou Aave v1 ont laissé derrière eux des contrats obsolètes qui représentent encore des risques aujourd’hui.
La communauté DeFi commence à prendre conscience que la sécurité n’est pas un événement ponctuel (l’audit), mais un processus continu : monitoring, mise à jour des stratégies, migration forcée si nécessaire.
Les réactions de la communauté et de Yearn
Dès la détection de l’attaque par PeckShield, les alertes ont fusé sur les réseaux. Les développeurs Yearn ont confirmé l’incident et annoncé une revue approfondie de tous les contrats encore actifs.
L’équipe a également renforcé ses procédures de sécurité : audits plus fréquents, tests adversariaux plus poussés, et surtout une communication plus claire sur les risques des anciennes versions.
Certains membres influents de la communauté, comme banteg ou d’autres contributeurs historiques, ont rappelé que les vaults v1 avaient été marqués comme deprecated depuis longtemps et que les utilisateurs avaient été avertis à plusieurs reprises.
Recommandations officielles de Yearn Finance :
- Vérifier immédiatement si vous avez encore des fonds dans un vault v1.
- Retirer tous les actifs des contrats iearn/legacy.
- Privilégier les vaults v3 et les stratégies les plus récentes.
- Activer les notifications des outils de monitoring comme Tenderly ou EigenPhi.
Malgré la frustration légitime de certains utilisateurs ayant perdu des fonds, la majorité reconnaît que le risque était connu. Cela n’empêche pas les critiques sur la gestion à long terme de ces contrats abandonnés.
Les leçons à tirer pour toute la DeFi
Cet exploit n’est pas seulement un problème pour Yearn. Il concerne l’ensemble de l’écosystème décentralisé. Chaque protocole majeur a ses squelettes dans le placard sous forme de vieux contrats.
La première leçon est claire : il faut accélérer la migration des fonds legacy. Certains proposent même des mécanismes automatiques ou des incitations fortes (airdrop, bonus) pour vider définitivement ces anciens vaults.
La deuxième concerne les oracles. Les solutions décentralisées comme Chainlink ou Pyth sont désormais la norme, mais les anciens contrats restent vulnérables aux manipulations de prix spot.
Enfin, la sécurité DeFi doit évoluer vers un modèle proactif : bug bounties plus généreux, audits continus, simulations d’attaques avancées avec des outils comme Foundry ou Echinda.
Les flash loans, bien qu’utiles pour l’arbitrage et la liquidité, restent une arme à double tranchant. Certains appellent même à des restrictions plus strictes sur leur utilisation dans certains contextes.
Quel avenir pour Yearn Finance ?
Malgré ces incidents répétés, Yearn reste l’un des piliers de la DeFi avec des milliards en TVL et des stratégies de yield parmi les plus sophistiquées. La v3 et les vaults actuels bénéficient des leçons tirées des erreurs passées.
L’équipe continue d’innover avec des produits comme yETH ou des intégrations cross-chain. La gouvernance YFI reste active et les contributeurs nombreux.
Cet exploit, bien que douloureux, pourrait être le catalyseur d’une grande nettoyage définitif des anciennes versions. Une fois les contrats legacy vidés ou neutralisés, Yearn pourrait retrouver une réputation de sécurité renforcée.
Dans un marché aussi compétitif, la confiance des utilisateurs est primordiale. Yearn a déjà prouvé par le passé sa capacité à rebondir après chaque incident. Reste à voir si cette fois sera la dernière.
En attendant, la prudence reste de mise. La DeFi offre des rendements attractifs, mais elle exige aussi une vigilance constante. Vérifiez vos positions, migrez vos fonds, et n’oubliez jamais : dans ce monde, le code est roi, mais il peut aussi être votre pire ennemi s’il est oublié dans un coin de la blockchain.
(Article mis à jour le 17 décembre 2025 – plus de 5200 mots)
