Imaginez : vous lancez une grosse opération DeFi, vous avez tout calculé au centime près, et d’un coup les frais de gas passent de 15 gwei à 300 gwei en dix minutes. Votre transaction devient hors de prix, votre arbitrage tombe à l’eau, et vous regardez impuissant votre profit s’évaporer. Ce scénario, chaque utilisateur d’Ethereum l’a vécu au moins une fois depuis 2020.
Ce weekend, Vitalik Buterin a décidé qu’il était temps d’arrêter ce cauchemar récurrent. Sa proposition ? Créer un véritable marché à terme décentralisé sur le prix du gas, directement sur la blockchain. En clair : vous pourriez aujourd’hui verrouiller le prix de vos transactions pour 2026, 2027 ou plus tard. Fou ? Peut-être. Génial ? Très probablement.
Un marché de futures sur le gas : comment ça marcherait vraiment ?
L’idée n’est pas totalement nouvelle – on parle depuis des années de “gas futures” dans les couloirs d’EthCC ou de Devcon – mais Vitalik vient de la remettre brutalement sur la table avec un argument massue : la crédibilité long-terme d’Ethereum.
Ses mots exacts, publiés sur X le 7 décembre 2025 :
« Les frais sont bas aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans deux ans ? Vous dites qu’ils resteront bas grâce aux blobs, ePBS, ZK-EVM… mais puis-je vous croire ? Un marché à terme du gas sur la blockchain résoudrait ce problème : les utilisateurs auraient une vision claire des anticipations et pourraient se couvrir en prépayant une quantité précise de gas pour une période donnée. »
Vitalik Buterin – 7 décembre 2025
En langage moins technique : on créerait des contrats à terme sur le BASEFEE (le prix minimum du gas défini par EIP-1559) ou sur le prix moyen du gas sur une période donnée. Vous achetez aujourd’hui 10 millions de gas à 20 gwei pour livraison en décembre 2026. Peu importe si le réseau explose entre temps, vous payez 20 gwei.
Pourquoi c’est une idée de génie pour la DeFi
Les protocoles DeFi vivent et meurent avec la prévisibilité des coûts. Prenons quelques exemples concrets :
- Un liquidateur sur Aave doit pouvoir calculer exactement son profit. Si les frais explosent au moment du liquidation call, il perd de l’argent.
- Un protocole de lending qui propose des taux fixes (comme Notional Finance ou Yield Protocol) doit couvrir ses coûts opérationnels sur des années.
- Une DAO qui distribue des récompenses quotidiennes via un contrat doit budgéter précisément ses dépenses en gas.
- Les vaults automatisés (Yearn, Sommelier…) deviennent beaucoup plus agressifs s’ils savent que leurs frais seront plafonnés.
Avec des futures gas, tous ces acteurs pourraient acheter leur “carburant” à l’avance, comme une entreprise traditionnelle achète son pétrole ou son électricité sur les marchés à terme.
Les différentes formes que pourrait prendre ce marché
Plusieurs implémentations sont possibles. Voici les trois pistes les plus sérieuses :
1. Marché de prédiction sur le BASEFEE moyen mensuel
Un contrat type Polymarket ou Omen où l’on parie sur le BASEFEE moyen du mois M+6. Les positions longues/short créent naturellement un prix de marché découverte.
2. Contrats à terme livrables en gas réel
Vous achetez un contrat qui, à l’échéance, vous donne droit à X unités de gas au prix convenu, peu importe le prix spot. Techniquement complexe mais le plus utile.
3. Options sur le gas (call/put)
Vous achetez le droit (mais pas l’obligation) de payer seulement 30 gwei max pendant un an, même si le réseau est à 500 gwei. Parfait pour se protéger sans immobiliser trop de capital.
Les défis techniques (et ils sont énormes)
Parce que oui, ce n’est pas demain la veille qu’on verra ça sur mainnet. Quelques obstacles majeurs :
- Livraison physique du gas – Comment livrer réellement du gas à l’échéance ? Il faudrait un mécanisme où le contrat rembourse la différence entre prix spot et prix strike, ou crédite du gas prépayé.
- Oracles fiables – Le prix du gas doit être certifié par un oracle décentralisé résistant à la manipulation (Chainlink, UMA, Pyth…).
- Réglementation – Les régulateurs américains ou européens pourraient considérer ces contrats comme des dérivés et exiger une licence.
- Liquidité initiale – Qui va prendre le risque de vendre du gas à prix fixe pour dans 2 ans ? Il faudra des market makers costauds.
- Risque de boucle spéculative – Si tout le monde se couvre, est-ce que ça ne va pas pousser les mineurs/validateurs à artificiellement gonfler les frais pour toucher le jackpot ?
Ce que ça changerait concrètement pour l’utilisateur final
Imaginons le scénario en 2026 :
Vous voulez faire du yield farming sur une nouvelle ferme ultra-juteuse qui vient de sortir. Au lieu de prier pour que le réseau reste calme, vous ouvrez votre wallet (Metamask, Rabby, Zerion…) et vous voyez une nouvelle option :
“Verrouiller 5 millions de gas à 18 gwei pour les 12 prochains mois – coût : 0,8 ETH aujourd’hui”
Vous cliquez, vous payez, et pendant un an vous tradez, vous stakez, vous mintez des NFT comme un fou sans jamais regarder le prix du gas. Votre stratégie devient enfin prévisible à 100 %.
Comparaison avec les solutions existantes
On a déjà des palliatifs, mais ils sont loin d’être parfaits :
| Solution | Avantages | Inconvénients |
| Layer 2 (Arbitrum, Optimism…) | Frais très bas | Fragmentation de la liquidité, UX parfois complexe |
| Bundles MEV (Flashbots Protect) | Évite les fronts-running | Ne protège pas contre la hausse du basefee |
| Gas tanks (Biconomy, Gelato) | Payez en stablecoin | Le protocole paie quand même le gas spot |
| Futures gas (proposition Vitalik) | Couverture parfaite long-terme | Pas encore implémenté, complexité |
Le futur gas serait le seul outil permettant une couverture long-terme directement sur le layer 1.
La réaction de la communauté
Depuis 24 heures, Twitter (ou X) s’enflamme. Quelques réactions marquantes :
- Hayden Adams (Uniswap) : “Si on avait eu ça en 2021, Uniswap V3 aurait probablement capturé 30-40 % de volume supplémentaire.”
- Stani Kulechov (Aave) : “Les protocoles de lending à taux fixe deviennent enfin crédibles.”
- Des détracteurs : “On va juste créer un nouveau casino DeFi qui va exploser en 2027.”
Même Eric Wall, pourtant souvent critique, a reconnu que “c’est probablement la proposition la plus sous-estimée de Vitalik depuis des années”.
Timeline réaliste de déploiement
Soyons honnêtes : ce n’est pas pour demain. Estimation réaliste :
- 2026 → Premiers prototypes sur testnet (Gnosis Chain ou Scroll)
- 2027 → Lancement d’un marché de prédiction simple (type Omen)
- 2028 → Premiers vrais contrats livrables sur Ethereum mainnet, après un EIP dédié
Mais l’histoire d’Ethereum nous a appris une chose : quand Vitalik parle sérieusement d’une idée, elle finit généralement par arriver.
En attendant, le simple fait que cette discussion existe prouve qu’Ethereum continue d’innover là où Bitcoin stagne et où les L1 concurrentes copient. La route est encore longue, mais la vision est claire : transformer le gas d’un coût imprévisible en une commodité financière comme une autre.
Et vous, achèteriez-vous du gas à prix fixe pour 2027 ?
