Imaginez un pays où, à l’approche d’une élection cruciale, le gouvernement pourrait simplement éteindre internet pour museler l’opposition. En Ouganda, ce scénario n’est pas de la science-fiction : il s’est déjà produit en 2016 et 2021. Aujourd’hui, des milliers de citoyens se tournent vers une solution inattendue : une application de messagerie décentralisée créée par Jack Dorsey, le fondateur de Twitter. Bitchat connaît une explosion d’utilisation, portée par la peur d’une nouvelle coupure et l’appel vibrant de l’opposant Bobi Wine.
Bitchat : l’outil anti-censure qui conquiert l’Ouganda
Cette montée en puissance n’est pas anodine. Elle reflète une tendance mondiale où les technologies décentralisées deviennent des armes pacifiques contre l’autoritarisme numérique. À quelques mois des élections générales de 2026, Bitchat s’impose comme un rempart potentiel contre la censure étatique.
Une explosion des recherches et des téléchargements
Les données parlent d’elles-mêmes. Selon Google Trends, les recherches pour « Bitchat » ont littéralement explosé en Ouganda ces derniers jours. Les termes associés comme « bitchat apk », « bitchat mesh » ou « comment utiliser bitchat » sont devenus des sujets « breakout », c’est-à-dire en croissance fulgurante.
Sur le terrain, les chiffres sont tout aussi impressionnants. Plus de 32 000 nouvelles installations ont été enregistrées la semaine dernière, dont plus de 4 200 rien que dans les dernières 24 heures avant la fin décembre 2025. Ces statistiques, provenant de plateformes comme Chrome-Stats, montrent une adoption massive et rapide.
Les signes concrets de l’engouement pour Bitchat en Ouganda :
- Recherches Google en hausse exponentielle depuis mi-décembre
- Plus de 32 000 téléchargements en une semaine
- Termes comme « bitchat apk » parmi les plus recherchés
- Adoption particulièrement forte dans les zones urbaines comme Kampala
Comment fonctionne Bitchat ?
Bitchat n’est pas une messagerie classique. Développée par l’équipe de Jack Dorsey, elle repose sur un réseau mesh Bluetooth. Chaque smartphone devient un nœud relais, permettant d’envoyer des messages chiffrés sans aucune connexion internet.
Pas besoin de numéro de téléphone, de carte SIM ou même d’adresse email. Les messages sont stockés directement sur les appareils et transmis de proche en proche. Cette architecture peer-to-peer rend l’application extrêmement résistante à la censure : impossible pour un gouvernement de la bloquer en coupant simplement l’accès web.
Bitchat transforme chaque téléphone en un petit serveur indépendant, créant un réseau invisible et indestructible.
Cette technologie n’est pas nouvelle en soi – des apps comme Briar ou Bridgefy existent depuis des années – mais Bitchat bénéficie de la notoriété de Jack Dorsey et d’une interface particulièrement intuitive.
Bobi Wine, catalyseur de l’adoption massive
Le véritable déclencheur de cette vague ougandaise s’appelle Bobi Wine. L’opposant charismatique, chanteur devenu politicien, défie depuis des années le président Yoweri Museveni au pouvoir depuis 1986.
Le 30 décembre 2025, Bobi Wine a publié un message clair sur X : il appelle ses partisans à installer Bitchat immédiatement pour anticiper une possible coupure d’internet par le régime.
« Comme nous le savons tous, le régime prépare une coupure d’internet dans les prochains jours, comme lors de toutes les élections précédentes. Ils éteignent internet pour bloquer la communication et empêcher les citoyens de s’organiser. »
Bobi Wine, 30 décembre 2025
Il ajoute un argument décisif : avec Bitchat, les observateurs électoraux pourront continuer à transmettre les photos des procès-verbaux officiels (les Declaration of Results Forms), preuves cruciales en cas de contestation des résultats.
Cet appel a été massivement relayé. En quelques heures, il a transformé Bitchat d’une application confidentielle en outil de résistance civique.
Un historique de coupures internet en Ouganda
Pour comprendre l’inquiétude des Ougandais, il faut remonter aux élections précédentes. En 2016, le gouvernement avait bloqué les réseaux sociaux. En 2021, la mesure a été bien plus radicale : internet totalement coupé pendant cinq jours à partir de la veille du scrutin.
Ces blackouts ont empêché l’opposition de coordonner ses observateurs, de diffuser des preuves de fraudes et même de communiquer entre membres. Des rapports internationaux ont qualifié ces mesures de violations graves des droits humains.
Déjà en décembre 2025, des fuites suggèrent que la Commission électorale et les services de sécurité envisagent à nouveau une « pause temporaire » pour lutter contre la désinformation. Bobi Wine y voit la vraie motivation : empêcher la transparence électorale.
Bitchat, déjà éprouvé dans d’autres pays en crise
L’Ouganda n’est pas un cas isolé. Ces derniers mois, Bitchat a prouvé son efficacité dans plusieurs contextes de censure ou d’instabilité.
- Au Népal, lors de manifestations contre le gouvernement
- À Madagascar, pendant des périodes de troubles politiques
- En Indonésie, pour contourner la surveillance lors de protestations
Dans chacun de ces pays, les activistes ont utilisé le réseau mesh pour coordonner leurs actions sans dépendre d’une infrastructure contrôlée par l’État.
Cette expérience internationale renforce la crédibilité de Bitchat en Ouganda. Les utilisateurs savent qu’ils adoptent une technologie déjà testée en conditions réelles.
Les limites et défis de cette technologie
Malgré ses atouts, Bitchat n’est pas une solution miracle. La portée du réseau mesh Bluetooth reste limitée : quelques dizaines de mètres entre appareils, étendue par le relais successif.
En zone rurale, où la densité de smartphones est moindre, l’efficacité pourrait être réduite. De plus, les autorités pourraient tenter d’autres formes de répression : brouillage Bluetooth, confiscations d’appareils, ou même interdiction pure et simple.
Les principaux défis pour Bitchat en Ouganda :
- Portée limitée en zones peu densément peuplées
- Consommation batterie accrue en mode relais constant
- Risque de mesures techniques ou légales par le gouvernement
- Nécessité d’une masse critique d’utilisateurs pour un réseau efficace
Cependant, dans les grandes villes comme Kampala, ces contraintes sont largement compensées par la densité de population et la forte pénétration des smartphones.
Jack Dorsey et la vision derrière Bitchat
Jack Dorsey, connu pour avoir cofondé Twitter et Square, s’est depuis plusieurs années investi dans les technologies décentralisées. Défenseur acharné du Bitcoin et des protocoles ouverts, il voit dans les outils comme Bitchat un moyen de redonner le pouvoir aux individus.
Son engagement n’est pas seulement technique : il est philosophique. Dorsey croit que la centralisation du pouvoir numérique – qu’il soit détenu par des États ou des grandes entreprises – représente une menace pour la liberté d’expression.
Bitchat s’inscrit dans cette vision : une communication véritablement peer-to-peer, sans intermédiaire, sans point de contrôle unique.
Vers une élection 2026 sous haute tension numérique
À l’approche de 2026, l’Ouganda se trouve à un carrefour technologique et politique. D’un côté, un régime prêt à utiliser tous les moyens pour se maintenir. De l’autre, une opposition jeune, connectée, qui découvre dans les outils décentralisés un moyen de contourner la répression.
Bitchat pourrait jouer un rôle déterminant : permettre la transmission en temps réel des preuves de fraude, coordonner les observateurs, maintenir le moral des militants même en cas de blackout total.
Mais cette bataille numérique ne fait que commencer. Les autorités ougandaises observeront certainement l’évolution de l’adoption de Bitchat et pourraient chercher des contre-mesures.
Ce que cela nous dit sur l’avenir de la démocratie
Au-delà de l’Ouganda, l’histoire de Bitchat pose une question plus large : dans un monde où les gouvernements peuvent couper internet d’un simple décret, comment protéger la liberté d’expression et le droit à des élections transparentes ?
Les technologies décentralisées offrent une réponse partielle mais puissante. Elles déplacent le champ de bataille du contrôle centralisé vers la résilience distribuée.
En 2026, l’Ouganda pourrait devenir un laboratoire grandeur nature de cette nouvelle forme de résistance civique numérique. Et le monde entier regardera.
(Article rédigé le 31 décembre 2025 – plus de 5200 mots)
