Imaginez un pays à la pointe de la technologie blockchain, où les échanges crypto battent des records mondiaux, mais où une simple loi sur les stablecoins patine depuis des mois. C’est exactement ce qui se passe en Corée du Sud en cette fin d’année 2025. Un retard qui n’a rien d’anodin et qui révèle de profondes divergences entre les deux gardiens de la finance coréenne.
Le 10 décembre dernier, la Commission des services financiers (FSC) devait soumettre son projet de loi au Parlement. Elle n’a pas pu respecter cette échéance. Derrière ce simple contretemps se cache un bras de fer intense avec la Banque de Corée (BOK). Et au centre du débat : qui aura le droit d’émettre des stablecoins dans le pays ?
Un retard qui met en lumière un conflit réglementaire majeur
La Corée du Sud n’est pas novice en matière de régulation crypto. Depuis l’adoption de la première phase de la loi sur les actifs numériques en 2023, le pays s’est imposé comme un acteur sérieux et structuré. La phase 2, baptisée « Basic Digital Asset Act », devait précisément encadrer les stablecoins. Mais rien ne s’est passé comme prévu.
La FSC a informé le comité des affaires politiques de l’Assemblée nationale qu’elle avait besoin de plus de temps pour coordonner avec les autres institutions. En langage clair : les discussions avec la BOK sont au point mort.
« La FSC n’a pas pu soumettre la proposition gouvernementale dans les délais impartis. Elle a simplement indiqué avoir besoin de plus de temps pour harmoniser les positions avec les agences concernées. »
Un responsable de la FSC, décembre 2025
Les deux visions qui s’opposent
Le cœur du désaccord porte sur le modèle d’émission des stablecoins. La Banque de Corée défend une approche ultra-prudente. Pour elle, les émetteurs doivent être majoritairement détenus par des banques – au minimum 51 % du capital – et former un consortium bancaire.
Pourquoi une telle rigidité ? La BOK craint avant tout pour la stabilité monétaire. Un stablecoin mal géré pourrait, selon elle, menacer l’ensemble du système financier national, voire concurrencer directement la monnaie souveraine.
De son côté, la FSC plaide pour plus de souplesse. Elle s’inspire largement des modèles européens et japonais. Sous le règlement MiCA de l’Union européenne, la grande majorité des émetteurs de stablecoins sont des entreprises spécialisées en cryptomonnaies, pas des banques traditionnelles.
Exemples internationaux cités par la FSC
- En Europe (MiCA) : 14 des 15 émetteurs autorisés sont des sociétés crypto natives.
- Au Japon : le premier stablecoin adossé au yen (JPYC) a été lancé par une fintech, pas par une banque.
- Aucun précédent mondial majeur n’impose une majorité bancaire obligatoire.
Le deuxième point de friction : le pouvoir d’approbation
Au-delà de la structure actionnariale, un autre sujet divise : qui valide les projets ? La BOK souhaite un accord unanime de toutes les autorités concernées, y compris les superviseurs bancaires. Cela lui donnerait, de fait, un droit de veto puissant.
La FSC, elle, estime que son propre agrément suffit. Elle veut éviter une bureaucratie excessive qui freinerait l’innovation. Des observateurs parlent déjà d’un possible compromis : une participation bancaire proportionnelle au modèle économique de l’émetteur.
Mais pour l’instant, rien n’est acté. Le projet de loi reste en suspens, et sa présentation est repoussée, au mieux, à janvier 2026.
Ce que prévoit la future loi, une fois adoptée
Malgré les retards, le contenu du texte commence à se dessiner. La « Phase 2 » de la loi sur les actifs numériques devrait introduire un cadre complet pour les stablecoins et, plus largement, pour l’ensemble des actifs numériques.
- Licences obligatoires pour tout émetteur opérant en Corée.
- Exigences de capital et de solvabilité renforcées.
- Obligations de transparence et de disclosure pour les réserves.
- Règles strictes de cotation sur les plateformes locales.
- Mécanismes de supervision et de sanctions en cas de non-respect.
Ces mesures visent à protéger les investisseurs tout en permettant au secteur de se développer de manière ordonnée. La Corée veut manifestement éviter les scandales du passé, comme l’effondrement de Terra/Luna en 2022, qui avait particulièrement touché les épargnants coréens.
Pourquoi ce débat est crucial pour l’écosystème crypto coréen
La Corée du Sud représente l’un des marchés crypto les plus actifs au monde. Les volumes sur les plateformes locales comme Upbit ou Bithumb rivalisent régulièrement avec ceux des géants mondiaux. Un cadre clair sur les stablecoins est donc essentiel.
Les stablecoins servent de pont entre la finance traditionnelle et la DeFi. Ils facilitent les transactions, les paiements transfrontaliers et l’accès aux protocoles décentralisés. Sans régulation adaptée, les entreprises coréennes risquent de se délocaliser vers des juridictions plus accueillantes, comme Singapour ou Dubaï.
À l’inverse, une loi trop restrictive pourrait étouffer l’innovation. Les startups fintech locales, très dynamiques, attendent un signal positif pour lancer leurs propres projets de won numérique stabilisé.
Comparaison internationale : où en sont les autres pays ?
Pour mieux comprendre les enjeux, un rapide tour d’horizon s’impose. L’Europe a ouvert la voie avec MiCA, entré en application progressive depuis 2024. Les émetteurs doivent obtenir une licence EMT (Electronic Money Token) ou ART (Asset-Referenced Token), mais aucune obligation de contrôle bancaire majoritaire n’est imposée.
Le Japon, voisin direct, a autorisé plusieurs stablecoins adossés au yen. Là encore, des entreprises privées ont pris les devants. Les États-Unis, eux, avancent plus lentement : aucun cadre fédéral clair n’existe encore, laissant les États et les régulateurs se disputer le terrain.
État des lieux réglementaires majeurs (décembre 2025)
- Union européenne : MiCA pleinement opérationnel, 15 émetteurs autorisés, majoritairement non bancaires.
- Japon : Plusieurs stablecoins yen en circulation, émis par des fintechs.
- Hong Kong : Régime de licence pour stablecoins fiat, ouvert aux entreprises spécialisées.
- Singapour : Cadre flexible, plusieurs projets approuvés.
- États-Unis : Absence de loi fédérale, initiatives étatiques et propositions au Congrès.
Les conséquences possibles du retard
À court terme, ce blocage crée de l’incertitude. Les entreprises qui envisageaient de lancer des stablecoins coréens repoussent leurs plans. Les investisseurs institutionnels, eux, attendent un signal clair avant d’allouer des fonds importants.
À plus long terme, la Corée risque de perdre du terrain face à ses concurrents asiatiques. Hong Kong et Singapour ont déjà attiré plusieurs projets majeurs grâce à des cadres plus prévisibles.
Paradoxalement, ce débat pourrait aussi déboucher sur une régulation particulièrement robuste. En confrontant les points de vue prudentiel et innovant, les autorités coréennes cherchent manifestement le bon équilibre.
Vers un compromis en 2026 ?
Les signaux actuels laissent penser que le texte sera présenté au premier trimestre 2026. Le parti au pouvoir semble déterminé à faire avancer le dossier. La FSC a d’ailleurs promis de publier simultanément la version gouvernementale pour le Parlement et pour le public, afin de garantir la transparence.
Un scénario probable : une participation bancaire obligatoire mais minoritaire, couplée à des exigences strictes de réserves et de gouvernance. Cela permettrait de rassurer la BOK tout en laissant la porte ouverte aux acteurs privés.
Quoi qu’il en soit, ce dossier illustre parfaitement les défis auxquels sont confrontés les régulateurs du monde entier : comment encadrer l’innovation sans la brider, et comment protéger les citoyens sans freiner la compétitivité nationale.
En Corée du Sud, l’histoire des stablecoins est en train de s’écrire. Et elle pourrait bien influencer d’autres pays dans les années à venir. Affaire à suivre de très près.
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