Imaginez : vous vous réveillez un matin et votre exchange crypto préféré vous annonce qu’il doit désormais être régulé comme une banque traditionnelle. Plus de retraits illimités sans garde-fous, plus de custody à l’infini sans contrôle. C’est exactement ce qui vient d’arriver en Australie, et ça risque de faire trembler tout le secteur mondial.
Le 27 novembre 2025, le gouvernement Albanese Government a déposé au Parlement le Corporations Amendment (Digital Assets Framework) Bill 2025. Un nom barbare pour une révolution douce : placer les plateformes d’actifs numériques sous le même régime que les établissements financiers classiques.
L’Australie dit stop au Far West crypto
Depuis des années, l’Australie observait, attentive mais prudente. Le pays comptait déjà plus de 5 millions d’utilisateurs crypto (presque 25 % de la population adulte), mais aucune règle claire pour protéger leurs fonds en cas de faillite d’une plateforme. Les effondrements de FTX, Celsius ou Voyager ont servi de détonateur.
Le message du gouvernement est limpide : on ne peut plus laisser des entreprises détenir des milliards de dollars d’actifs clients sans aucun garde-fou.
« Des millions d’Australiens interagissent chaque année avec des actifs numériques, mais nos lois n’ont pas suivi le rythme. Il est temps de protéger les consommateurs tout en permettant à l’innovation de prospérer. »
Gouvernement Albanese, communiqué officiel du 27 novembre 2025
Qu’est-ce qui change concrètement ?
Le projet de loi crée deux nouvelles catégories de produits financiers régulés :
- Digital Asset Platforms (les exchanges centralisés type Binance, Coinbase, Kraken…)
- Tokenized Custody Platforms (les services de custody pour actifs tokenisés : RWA, stablecoins, NFT, etc.)
Toutes ces entités devront désormais :
- Obtenir une Australian Financial Services Licence (AFSL)
- Être supervisées par l’ASIC (le gendarme financier australien)
- Respecter les obligations de conduite : honnêteté, transparence, gestion des conflits d’intérêt
- Mettre en place des procédures de résolution des litiges
- Fournir des disclosures claires sur la garde des actifs et les droits des clients
Un régime proportionné : les petits sont épargnés
Le gouvernement a voulu éviter l’effet « bulldozer ». Des seuils d’exemption ont été prévus :
Exemptions pour les petites structures
- Moins de 5 000 $ d’actifs par client
- ET moins de 10 millions $ de volume annuel traité
- = Pas d’obligation d’AFSL (comme pour les moyens de paiement non-cash)
Concrètement, une petite plateforme locale ou un wallet non-custodial reste libre. Par contre, dès qu’on dépasse ces seuils, c’est le grand jeu de la régulation financière traditionnelle.
Pourquoi maintenant ? Les chiffres qui ont fait bouger Canberra
Le gouvernement s’appuie sur une étude du Digital Finance Cooperative Research Centre : si l’Australie développe pleinement ses infrastructures de finance numérique, elle pourrait gagner ou économiser jusqu’à 24 milliards de dollars par an. Un argument économique massif.
Mais il y a aussi l’argument sécurité. Les autorités rappellent que, sous l’ancien régime, une plateforme pouvait :
- Détenir des actifs clients sans limite
- Les prêter ou les réhypothéquer sans accord explicite
- Faire faillite en laissant les utilisateurs sans recours
Avec la nouvelle loi, ces pratiques deviennent illégales ou extrêmement encadrées.
Comparaison internationale : l’Australie se place où ?
Petit tour d’horizon rapide pour situer le mouvement australien :
Positionnement de l’Australie face aux grands acteurs
| Pays | Régime | Niveau de sévérité |
| Singapour | Licence MAS obligatoire | Élevé mais attractif |
| Hong Kong | Licence SFC pour institutions | Très élevé |
| Europe (MiCA) | Règles harmonisées 2025-2026 | Moyen à élevé |
| États-Unis | Approche par enforcement (SEC) | Très hostile |
| Australie 2025 | AFSL + seuils | Moyen, proportionné, clair |
Beaucoup d’observateurs estiment que l’Australie vient de se placer dans le peloton de tête des juridictions attractives mais sérieuses, juste derrière Singapour.
Réactions du secteur : entre applaudissements et inquiétudes
Les grandes plateformes déjà présentes en Australie (Coinbase, Kraken, Independent Reserve) ont plutôt bien accueilli la nouvelle. Elles possèdent déjà des structures conformes et estiment que la clarté réglementaire va chassera les acteurs douteux.
En revanche, certaines petites exchanges ou projets DeFi custodiaux s’inquiètent du coût de mise en conformité. Obtenir et maintenir une AFSL représente plusieurs centaines de milliers de dollars par an.
« Cette loi est un signal fort : l’Australie veut être un hub crypto sérieux. Ceux qui jouent le jeu y gagneront, les cowboys partiront ailleurs. »
Caroline Bowler, CEO de BTC Markets
Et pour les utilisateurs ? Ce qui change vraiment pour vous
À court terme : presque rien. Vos comptes Binance ou Swyftx continuent de fonctionner normalement.
Mais à moyen terme :
- Meilleure protection en cas de faillite de la plateforme
- Informations plus claires sur l’utilisation de vos fonds
- Possibilité de recours auprès de l’AFCA (médiateur financier)
- Probablement des frais légèrement plus élevés (conformité = coût)
En résumé, vous payez un peu plus cher pour dormir beaucoup plus tranquille.
Les actifs tokenisés (RWA) dans le viseur
Le projet de loi ne parle pas que de Bitcoin et d’Ethereum. Il cible explicitement les tokenized real-world assets : immobilier tokenisé, obligations d’État, matières premières, etc.
L’Australie voit là une opportunité énorme. En encadrant clairement la custody de ces actifs, elle espère attirer les grands émetteurs mondiaux (BlackRock, Tether, Circle, etc.) qui cherchent des juridictions stables pour leurs produits tokenisés.
Prochaines étapes : calendrier prévisionnel
- Novembre-Décembre 2025 : débats au Parlement
- 1er semestre 2026 : adoption probable de la loi
- 2026-2027 : période de transition de 12 à 18 mois pour les acteurs existants
- Fin 2027 : régime pleinement en vigueur
Les plateformes ont donc encore un peu de temps pour se préparer, mais le compte à rebours est lancé.
Conclusion : un modèle pour le reste du monde ?
L’Australie ne fait pas la révolution. Elle fait mieux : elle pose des règles claires, proportionnées et modernes, exactement ce que le secteur réclamait depuis des années.
Si le texte est adopté en l’état, le pays pourrait devenir, avec Singapour et les Émirats, l’une des trois juridictions les plus attractives pour les entreprises crypto sérieuses.
Et pour les utilisateurs ? La fin d’une ère d’insouciance, mais le début d’une adoption massive et sereine. Parce qu’au final, la meilleure façon de protéger la révolution, c’est parfois de l’encadrer avec intelligence.
Le Far West crypto australien ferme ses portes. Un nouveau chapitre, plus mature, vient de s’ouvrir.
