Imaginez-vous connecter votre wallet un matin ordinaire et découvrir que rien ne fonctionne plus. Coinbase down. MetaMask inactif. Votre exchange décentralisé préféré affiche une erreur 503. Pas d’attaque russe, pas de hack massif : juste une ligne de code mal placée dans un enregistrement DNS chez Amazon Web Services. En deux heures, plus d’un milliard de dollars se sont évaporés et 14 000 sites sont tombés. Bienvenue dans le monde de 2025 où même les géants du web3 restent enchaînés à la centralisation.
Cette panne n’est pas un accident. C’est un symptôme. Le symptôme d’un internet devenu si concentré que la chute d’un seul acteur peut paralyser des continents entiers. Et le plus terrifiant ? Les gouvernements construisent actuellement nos futures identités numériques nationales sur exactement les mêmes fondations.
Quand une erreur DNS fait trembler tout l’écosystème crypto
Le 28 novembre 2025, vers 10 h 40 UTC, une modification apparemment anodine dans une table DNS de la région US-East-1 a déclenché l’enfer. Les requêtes ont commencé à boucler, les load balancers ont perdu la tête, et des milliers de services ont basculé en mode dégradé. Coinbase a affiché un bandeau rouge pendant plus de trois heures. MetaMask a renvoyé des erreurs RPC sur l’ensemble des réseaux. Même des blockchains réputées « décentralisées » ont vu leurs explorateurs et leurs bridges devenir inaccessibles.
Pourquoi ? Parce que derrière les belles promesses de décentralisation, la majorité des projets web3 continuent de s’appuyer massivement sur les infrastructures d’Amazon, Google et Microsoft. Trois acteurs contrôlent près de 70 % du marché cloud mondial. Un éternuement d’AWS, et c’est tout l’écosystème qui attrape la grippe.
« Nous avons conçu des systèmes qui tolèrent zéro interruption. Le paradoxe, c’est que plus on vise la perfection, plus la chute est brutale quand ça casse. »
Un ingénieur SRE ayant requis l’anonymat, ex-AWS
Les chiffres qui font mal
Ce que la panne du 28 novembre nous a réellement coûté :
- Plus de 14 000 domaines impactés en moins de 30 minutes
- 1,2 milliard de dollars de pertes estimées (trading interrompu, liquidations forcées, opportunités manquées)
- 3 h 42 min d’indisponibilité moyenne pour les services crypto majeurs
- 42 % des dApps les plus utilisées temporairement inaccessibles
- Des gouvernements (dont deux pays européens) ont vu leurs portails d’identité numérique nationaux planter simultanément
La centralisation n’est pas un bug, c’est une feature
On nous a vendu la centralisation comme la solution ultime : économies d’échelle, maintenance simplifiée, mises à jour transparentes. Et pendant longtemps, ça a fonctionné. Mais plus les systèmes deviennent critiques, plus le prix de l’erreur devient insoutenable.
AWS n’a pas « oublié » de mettre des garde-fous. Ils en ont des centaines. Le problème, c’est que tous ces garde-fous reposent sur la même hypothèse : qu’une erreur humaine ou une mauvaise configuration ne touchera jamais un point aussi sensible. Or c’est exactement ce qui s’est passé. Une seule ligne modifiée par un administrateur, validée automatiquement, propagée mondialement en quelques secondes.
Résultat ? Même les redondances multi-régions n’ont rien pu faire. Quand le DNS régional plante, peu importe que vos serveurs soient à Singapour ou à São Paulo : ils deviennent sourds et aveugles.
Le mythe du « cloud décentralisé »
Combien de projets web3 se vantent d’être « fully decentralized » tout en faisant tourner 90 % de leur infra sur AWS ? La réponse vous ferait rougir. Les RPC publics ? AWS. Les indexeurs ? AWS. Les frontends ? Hébergés sur S3 derrière CloudFront. Même certains layer 2 réputés « trustless » utilisent des séquenceurs centralisés… sur AWS.
La vérité brutale : la décentralisation s’arrête souvent là où commence le budget infra. Louer des milliers de nœuds répartis dans le monde coûte cher. Très cher. Alors on se dit « juste pour le lancement », « juste pour les RPC », « on migrera plus tard ». Et puis un jour, AWS tousse.
Et les gouvernements dans tout ça ?
Le plus effrayant n’est pas que Coinbase ait été down trois heures. C’est que plusieurs gouvernements européens testent actuellement leurs systèmes d’identité numérique nationale… sur AWS. Le même AWS. La même région US-East-1.
Imaginez le scénario : vous voulez prendre le train, vous connecter à votre banque, voter en ligne, ou simplement prouver votre identité. Tout repose sur un wallet gouvernemental qui, lui-même, dépend d’un service cloud américain. Une erreur DNS, et c’est tout un pays qui perd son identité numérique pendant plusieurs heures.
« Construire l’identité numérique d’un État sur l’infrastructure d’une entreprise privée étrangère, c’est comme confier les clés de votre maison à un voisin que vous ne connaissez pas. »
La résilience véritable ne passe pas par plus de redondance
Ajouter plus de régions AWS ne résout rien. Multiplier les providers non plus (ils partagent souvent les mêmes backbone réseau). La vraie résilience, c’est retirer le point unique de défaillance. Pas l’atténuer. Le supprimer.
Et c’est exactement ce que permettent les technologies qu’on appelle parfois, à tort, « web3 » : des systèmes où la vérification ne nécessite pas de passer par un serveur central. Où les données restent là où elles doivent être (chez l’utilisateur ou dans les silos existants) mais où leur authenticité peut être prouvée instantanément, n’importe où, n’importe quand.
Comment fonctionne la décentralisation qui marche vraiment
Oubliez l’image du mineur chinois avec 50 GPU. La décentralisation utile aujourd’hui, c’est celle des credentials vérifiables et des registres de confiance décentralisés.
- Vous présentez votre diplôme ? Il a été émis sous forme de credential vérifiable, signé cryptographiquement par votre université.
- Un employeur veut le vérifier ? Il scanne le QR code, vérifie la signature sur un registre décentralisé. Aucun serveur central consulté.
- L’université ferme ? Le registre continue de fonctionner. Votre diplôme reste valide.
C’est déjà déployé dans plusieurs pays. En Estonie (ironiquement l’un des plus digitalisés au monde), en Colombie, dans certains Länder allemands. Et ça ne nécessite pas de tout reconstruire : les données restent dans les bases existantes, seule la vérification devient décentralisée.
Le coût caché de la centralisation
On parle beaucoup du coût financier des pannes. Mais il y a pire : le coût politique. Quand votre identité, vos paiements, votre accès aux services publics dépendent d’une entreprise américaine soumise au CLOUD Act, vous avez perdu votre souveraineté numérique.
Une administration Trump ou Biden peut demain exiger l’accès à vos données. Une erreur technique peut vous priver de vos droits fondamentaux. Une guerre commerciale peut couper l’accès à tout un continent. C’est déjà arrivé avec TikTok, ça peut arriver avec vos papiers d’identité.
Vers un internet qui sait tomber sans se casser
Les systèmes centralisés sont conçus pour ne jamais tomber. Les systèmes décentralisés sont conçus pour tomber proprement. Un nœud down ? Les autres prennent le relais. Un registre temporairement injoignable ? La vérification fonctionne grâce au cache local et aux preuves ZK.
C’est contre-intuitif, mais c’est exactement ce qui rend robuste : accepter que les pannes arrivent, et faire en sorte qu’elles n’aient jamais d’impact catastrophique.
La panne AWS du 28 novembre 2025 ne doit pas être vue comme un incident technique. Elle doit être le catalyseur. Le moment où l’on comprend enfin que l’avenir ne passe pas par plus de cloud, mais par moins de dépendance.
Parce que la prochaine fois, ce ne sera peut-être pas juste votre wallet qui sera inaccessible. Ce sera votre vie entière.
