Imaginez payer votre street-food à Busan avec votre téléphone, comme d’habitude, mais que derrière l’écran, ce soit un stablecoin local qui circule, garanti 1:1 par la mairie et intégré à l’application que 80 % des Coréens utilisent déjà. Ce n’est plus de la science-fiction : Naver Financial vient de boucler les tests. Le lancement est prévu dans quelques semaines… si Séoul donne enfin son feu vert.
Ce projet cristallise tout ce qui fait la spécificité de la Corée du Sud dans la crypto : vitesse d’exécution folle, alliances inattendues entre géants du web et collectivités locales, et une régulation qui court derrière l’innovation à 200 km/h.
Busan, le laboratoire coréen du stablecoin territorial
Depuis 2021, Busan se rêve en “Blockchain Special City”. La métropole portuaire a déjà sa propre bourse d’actifs numériques et accueille des projets pilotes que Tokyo ou Singapour observent de très près. Le dernier en date ? Le Dongbaek-jeon tokenisé.
Le Dongbaek-jeon, c’est la monnaie locale papier que la ville distribue depuis des années pour dynamiser le commerce de proximité. Problème : gestion lourde, fraude, et une adoption limitée. Solution : le transformer en stablecoin, avec Naver Financial aux manettes.
Concrètement, comment ça marche ?
- Vous ouvrez Naver Pay (l’app que vous utilisez déjà pour tout)
- Vous convertissez des wons en Dongbaek-jeon tokenisé en 3 clics
- Vous payez chez les 40 000 commerçants partenaires (restaurants, taxis, supérettes…)
- La mairie voit en temps réel où circule chaque won d’aide sociale
- Le tout reste 100 % traçable et impossible à sortir de Busan… pour l’instant
Le partenariat réunit trois acteurs clés : Naver Financial pour l’interface et les 70 millions d’utilisateurs potentiels, Hashed (le plus gros fonds crypto coréen) pour la partie technique blockchain, et la Busan Digital Asset Exchange pour la conformité locale.
Pourquoi c’est une révolution discrète mais énorme
Les stablecoins, on connaît : USDT, USDC, PYUSD… Mais un stablecoin municipal, adossé à une monnaie locale et intégré dans le wallet numéro 1 du pays ? C’est du jamais-vu à cette échelle.
“On ne crée pas juste un token, on modernise toute la politique économique locale avec la blockchain.”
Un responsable de la mairie de Busan, novembre 2025
Les avantages sont évidents :
- Transparence totale : chaque won d’aide sociale est suivi à la seconde
- Inclusion : même les touristes convertissent leurs devises en Dongbaek-jeon instantanément
- Stimulus ciblé : la mairie peut programmer des tokens qui expirent si non dépensés dans certains quartiers
- Réduction des coûts : plus d’impression de billets physiques, moins d’intermédiaires
Le frein réglementaire qui peut tout bloquer
Il y a un énorme “mais”. La Corée du Sud n’a toujours pas de cadre clair pour les stablecoins liés aux monnaies locales. Résultat : le Dongbaek-jeon tokenisé reste pour l’instant cantonné à Busan. Impossible de le transférer à Séoul ou de l’utiliser sur Upbit.
La Banque de Corée et le FSC (le gendarme financier) planchent sur trois scénarios :
- Autoriser la circulation nationale avec réserves 100 % en wons
- Limiter aux frontières municipales (solution actuelle)
- Interdire purement et simplement et forcer le retour au papier
La décision est attendue avant la fin du premier trimestre 2026. En attendant, Naver garde le projet en beta fermée.
Naver + Upbit : le mariage qui change tout
Le timing n’est pas anodin. Naver Financial est en train de finaliser sa fusion avec Dunamu, la maison-mère d’Upbit, numéro 1 des exchanges en Corée avec plus de 80 % de parts de marché.
Le deal ? Un échange d’actions qui fera d’Upbit une filiale à 100 % de Naver Financial. Et derrière, plusieurs sources parlent déjà d’une introduction au Nasdaq du nouvel ensemble dès 2026 ou 2027.
Ce que ça change pour l’utilisateur final
- Un seul compte pour payer son café, acheter des actions coréennes et trader du Bitcoin
- Possibilité (future) de passer du Dongbaek-jeon stablecoin à du BTC en deux clics
- Frais quasi nuls grâce aux synergies entre Naver Pay et Upbit
- Accès à des produits d’investissement crypto directement dans l’app de tous les jours
En clair, Naver veut devenir le WeChat coréen de la finance : une super-app où tout se passe, du paiement de parking au staking de cryptos.
Les autres projets de monnaies locales tokenisées en Corée
Busan n’est pas seul. Plusieurs villes testent des versions similaires :
- Incheon : e-Won en partenariat avec Kookmin Bank
- Gyeonggi Province : Gyeonggi Token avec Kakao Pay
- Jeju : Tamna-jeon sur blockchain privée
- Séoul : Seoul Coin (projet pilote avec Shinhan Bank)
Mais aucun n’a l’envergure du projet de Busan, ni l’intégration native à Naver Pay.
Ce que ça nous dit sur l’avenir des stablecoins
Le cas coréen est fascinant parce qu’il montre une troisième voie entre :
- Les stablecoins privés globaux (USDT, USDC)
- Les CBDC centralisées (le futur won numérique de la BOK)
- Et ces stablecoins hybrides public-privé territorialisés
Cette troisième voie pourrait inspirer l’Europe (pensez aux monnaies locales françaises comme l’Eusko ou la Gonette) ou les villes américaines qui cherchent à relancer leurs centres-villes post-Covid.
Conclusion : un domino qui peut tout faire tomber
Si le régulateur donne son accord sans trop de restrictions, le Dongbaek-jeon pourrait devenir le premier stablecoin local à succès mondial. Et servir de modèle pour des centaines de villes.
Si au contraire Séoul serre la vis, le projet restera une belle expérimentation… et la Corée perdra peut-être son avance sur le reste du monde en matière d’adoption massive.
Une chose est sûre : dans les prochains mois, tous les regards seront tournés vers Busan. Et vers ce petit portefeuille dans Naver Pay qui pourrait bien changer la façon dont on pense l’argent public à l’ère blockchain.
À suivre de très très près.
