Imaginez-vous devant le guichet d’une mairie suisse, une amende de stationnement en main, et demander tranquillement : « Je peux payer en Bitcoin ? ». Dans la plupart des villes du monde, on vous regarderait comme un extraterrestre. À Lugano, la réponse est un simple « Oui, bien sûr ». Cette petite révolution quotidienne n’est pas un coup de pub : elle est devenue réalité grâce à une initiative ambitieuse qui place la cryptomonnaie au cœur des paiements du quotidien.
Depuis plusieurs années, cette ville au bord du lac Léman s’est lancée dans un pari audacieux : transformer Bitcoin et les stablecoins en moyens de paiement acceptés par l’administration et les commerçants locaux. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet avance à grands pas.
Lugano, laboratoire vivant de l’adoption Bitcoin
Le programme s’appelle Plan ₿. Lancé il y a quelques années en partenariat avec Tether et Bitcoin Suisse, il vise à faire de Lugano un hub européen pour les technologies blockchain et surtout pour Bitcoin comme monnaie d’usage réel. Oubliez les discours théoriques : ici, on parle factures concrètes.
Les résidents peuvent désormais régler presque toutes leurs obligations envers la ville en Bitcoin (BTC) ou en Tether (USDT). Impôts sur le revenu, taxes d’entreprise, amendes de circulation, frais de crèche, factures de collecte des déchets… tout y passe. Il n’y a même pas de limite de montant. Un millionnaire peut solder son avis d’imposition à sept chiffres en BTC sans problème.
« Toute facture émise par la Ville de Lugano peut être réglée en BTC, Bitcoin sur Lightning Network ou USDT. »
Site officiel de la municipalité
Techniquement, le système est bien rodé. Les paiements passent soit directement via le Lightning Network pour les petits montants rapides, soit via Bitcoin Suisse qui gère la conversion instantanée en francs suisses. La ville ne conserve aucun crypto-actif : tout est immédiatement échangé contre la monnaie nationale. Pas de trésorerie Bitcoin pour Lugano, juste un canal de paiement moderne.
Le coût ? Environ 1 % intégré dans le taux de change. C’est largement inférieur aux 2,5 à 3,4 % que prélèvent les terminaux cartes classiques. Pour un commerçant qui vend des cafés ou des montres vintage, la différence se compte en milliers de francs par an. Pas besoin d’être un maximaliste pour comprendre l’intérêt.
Une économie circulaire qui boucle la boucle
Mais le vrai génie du projet ne s’arrête pas à l’acceptation passive. Lugano a mis en place un système de cashback via son application MyLugano. Quand vous payez en crypto chez un commerçant partenaire, vous recevez jusqu’à 10 % en tokens LVGA. Et ces tokens peuvent ensuite être utilisés pour… payer les services municipaux !
Le circuit est ainsi fermé : vous achetez votre gelato avec Bitcoin, vous gagnez des LVGA, puis vous réglez votre place de parking ou vos frais de garderie avec ces mêmes LVGA. C’est une véritable économie circulaire fonctionnelle, pas un concept PowerPoint.
Exemples concrets observés sur place :
- Un habitant paie son café du matin en Lightning et reçoit du cashback LVGA.
- Le soir, il utilise ces LVGA pour régler sa facture de crèche.
- Un commerçant économise des milliers de francs par an en frais bancaires.
- La ville perçoit ses taxes sans friction, converties immédiatement en CHF.
Plus de 350 commerçants affichent désormais les autocollants Lightning sur leur vitrine. Des glaciers aux bijoutiers haut de gamme, en passant par les restaurants de la Via Nassa, la célèbre rue commerçante. Un patron de boutique l’a résumé simplement : « Je n’ai pas besoin d’un doctorat en philosophie pour choisir entre 1 % et 3,4 % de frais. »
Le Plan ₿ Forum, vitrine internationale
Chaque année, le Plan ₿ Forum rassemble la communauté Bitcoin mondiale. L’édition 2025, qui s’est tenue les 24 et 25 octobre, a accueilli plus de 4 000 participants venus de 64 pays. Une croissance de 140 % depuis le lancement en 2022 et de 38 % par rapport à l’année précédente.
Paolo Ardoino, PDG de Tether, y a déclaré : « Lugano évolue vers un modèle fonctionnel d’adoption Bitcoin et de technologie ouverte. Les gens utilisent réellement Bitcoin pour payer… et cette dynamique continue de croître chaque année. »
Le forum n’est pas qu’une conférence. Il sert de catalyseur pour attirer entreprises, développeurs et investisseurs dans la région. Lugano ne veut plus être une simple destination touristique : elle ambitionne de devenir la capitale européenne du Bitcoin pratique.
Ce que cela signifie pour le marché Bitcoin
À l’heure où Bitcoin oscille autour des 88 000-90 000 dollars, avec une liquidité de fin d’année plutôt faible, cette adoption réelle arrive à un moment charnière. D’un côté, chaque paiement municipal converti immédiatement en francs suisses exerce une légère pression vendeuse. Ce n’est pas négligeable à l’échelle d’une ville.
Mais de l’autre côté, chaque nouveau terminal Lightning installé crée une demande récurrente. Les habitants doivent garder un peu de BTC ou USDT dans leur portefeuille chaud pour leurs dépenses quotidiennes. C’est une source d’achat régulière, organique, qui résiste aux paniques de marché.
Pour les traders, l’impact immédiat n’est pas explosif. Le prix reste sensible aux flux ETF et aux niveaux techniques autour de 85 000-86 000 dollars. Mais à plus long terme, chaque ville comme Lugano renforce l’idée que Bitcoin n’est pas seulement un actif spéculatif macro. Il devient progressivement une monnaie utilisée dans des flux de trésorerie réels.
« Une mairie suisse au bord d’un lac est plus à l’aise avec l’argent on-chain que la plupart des trésors du G20. »
Cette phrase résume bien le paradoxe actuel. Pendant que les États-nations débattent encore de régulation, une petite ville alpine passe à l’action et démontre que la technologie fonctionne déjà à l’échelle locale.
Pourquoi Lugano réussit là où d’autres échouent
Plusieurs facteurs expliquent ce succès. D’abord, la Suisse possède déjà une longue tradition de neutralité financière et d’innovation bancaire. Le canton du Tessin, italophone, est particulièrement ouvert aux initiatives privées.
Ensuite, les partenariats solides : Tether apporte les stablecoins et la visibilité, Bitcoin Suisse gère l’infrastructure de conversion, et la ville fournit le cadre légal et l’appui politique.
Enfin, l’approche pragmatique. Lugano ne force personne à devenir maximaliste. Elle propose simplement une option moins chère et plus rapide pour les uns, et un canal d’utilisation réel pour ceux qui détiennent déjà des cryptos.
Les clés du succès de Lugano :
- Partenariats public-privé forts (Tether, Bitcoin Suisse).
- Conversion instantanée en CHF pour limiter le risque.
- Cashback LVGA pour stimuler l’usage circulaire.
- Frais bien inférieurs aux cartes bancaires traditionnelles.
- Pas d’idéologie imposée, juste de la praticité.
Et demain ? Perspectives d’élargissement
Le modèle luganais fait déjà des émules. D’autres villes suisses observent attentivement les résultats. Au niveau européen, plusieurs municipalités étudient des projets similaires, même si la régulation reste plus stricte hors de la Confédération.
Pour Bitcoin, chaque initiative locale compte. Elle ajoute des points d’entrée dans l’économie réelle, des raisons concrètes de détenir et d’utiliser la cryptomonnaie. À terme, ces micro-adoptions pourraient constituer un socle solide quand les cycles spéculatifs se calmeront.
Lugano ne va pas faire exploser le cours du BTC demain matin. Mais elle pose une question embarrassante aux sceptiques : si une ville alpine de 60 000 habitants peut intégrer Bitcoin dans ses finances publiques sans drame, pourquoi pas les autres ?
Le test est lancé. Et pour l’instant, les habitants de Lugano semblent avoir tranché : payer en Bitcoin, ce n’est plus de la science-fiction. C’est juste une option parmi d’autres, plus rapide et moins chère. Et ça fonctionne.
(Article mis à jour le 26 décembre 2025 – sources : municipalité de Lugano, Plan ₿ Forum, déclarations officielles)
