Imaginez un instant : l’internet d’aujourd’hui sans le protocole TCP/IP. Des réseaux isolés, des ordinateurs qui peinent à communiquer au-delà de leur petit cercle, un monde numérique morcelé. C’est un peu ce que vit le Web3 en ce moment. Malgré les avancées folles en matière de blockchains, de DeFi ou d’IA décentralisée, quelque chose de fondamental manque encore pour passer à l’échelle planétaire.
Et si le vrai “moment TCP/IP” du Web3 n’avait tout simplement pas encore eu lieu ? Cette idée, défendue par des experts comme Muriel Médard, professeure au MIT, remet en question tout ce qu’on croit savoir sur le scaling des blockchains. Plongeons ensemble dans cette analyse qui pourrait redéfinir l’avenir des cryptomonnaies et de la décentralisation.
Pourquoi le Web3 est coincé dans les années 80
L’internet tel qu’on le connaît doit son explosion à un protocole universel : TCP/IP. Avant lui, les réseaux étaient des îles. Après, ils sont devenus un continent connecté. Le Web3, lui, n’a jamais bénéficié d’un tel standard partagé. Chaque blockchain a bricolé sa propre couche réseau : gossip protocols, Turbine chez Solana, Narwhal, mempools… Résultat ? Une fragmentation massive qui freine tout.
On optimise les blocs, on multiplie les rollups, on parallélise l’exécution. Mais on oublie l’essentiel : la manière dont les données circulent entre les nœuds reste archaïque. Dès qu’on dépasse l’échelle locale, ça congestionne, ça ralentit, ça centralise même parfois via des RPC surchargés.
Le Web3 ne peut pas scaler avec un réseau fragmenté et obsolète. Il lui faut son propre TCP/IP : un protocole universel, décentralisé, qui préserve la confiance zéro tout en offrant une performance globale.
Les leçons oubliées de l’histoire d’internet
Revenons en arrière. Avant TCP/IP, les réseaux ARPANET, Bitnet ou autres fonctionnaient en silos. L’innovation majeure a été de créer un standard unique pour router les paquets de données n’importe où sur la planète. Cela a permis à des applications imprévues d’émerger : email, web, streaming…
Dans le Web3, on répète exactement la même erreur. Chaque L1, chaque L2 invente sa roue. On parle de “block propagation”, de “data availability sampling”, mais rien n’est interopérable de manière optimale. Le réseau ne devient pas plus fort en grandissant ; il devient plus chaotique.
Pourtant, les besoins explosent : tokenisation d’actifs réels, DeFi à l’échelle des trillions, réseaux DePIN avec des millions de devices, flottes d’agents IA autonomes. Tous ces cas d’usage butent sur le même mur : la circulation des données.
La percée mathématique qui change tout
Depuis plus de vingt ans, des chercheurs au MIT explorent une question fondamentale : les systèmes décentralisés peuvent-ils transmettre des informations aussi vite et fiablement que les systèmes centralisés ? La réponse est oui, mais à une condition : repenser complètement la façon dont les données voyagent.
C’est là qu’intervient le Random Linear Network Coding (RLNC), une approche où les nœuds ne relaient pas simplement des paquets intacts, mais les combinent linéairement de manière aléatoire. Mathématiquement, cela maximise l’utilisation de toutes les paths disponibles, tolère les pannes et les attaques, et atteint des performances proches du théorique.
Avantages clés du RLNC pour les réseaux décentralisés :
- Performance tirée des mathématiques, pas du hardware
- Résistance native aux fautes byzantines et aux attaques
- Utilisation optimale de toute la bande passante disponible
- Coordination par le code, sans serveurs centraux
- Le réseau gagne en robustesse en se décentralisant davantage
Cette technologie n’est pas théorique. Elle a été prouvée en laboratoire, puis appliquée dans des contextes réels. Appliquée aux blockchains, elle pourrait créer cette fameuse “couche de données codées” universelle dont le Web3 a désespérément besoin.
La fragmentation des blockchains : un frein invisible
Aujourd’hui, on compte des centaines de blockchains. Chacune excelle localement : Solana pour la vitesse, Ethereum pour la sécurité, etc. Mais dès qu’il s’agit de coordonner globalement – bridges, messages cross-chain, settlement final – tout ralentit.
Le problème n’est pas l’exécution. C’est le transport des données. Sans un “grid” partagé, chaque réseau doit tout gérer seul. Imaginez l’électricité sans réseau national : chaque maison avec son propre générateur. Ça marche à petite échelle, mais pas pour une économie moderne.
Un protocole universel codé offrirait cet équivalent décentralisé du grid électrique : les données seraient routées dynamiquement là où il y a de la bande passante, absorbant les pics sans congestion.
DeFi : vers des trillions, mais bloqué par le réseau
La finance décentralisée rêve de gérer des trillions de dollars. Pourtant, dès que le volume augmente, les réseaux saturent. Les frais explosent, les transactions ralentissent, les utilisateurs fuient vers des solutions centralisées.
Avec un réseau codé partagé, les pics de charge seraient redistribués automatiquement. Pas besoin de mégacentres vulnérables. La capacité s’adapterait organiquement à la demande, comme un vrai marché décentralisé.
Dans les systèmes traditionnels, on construit des data centers plus gros. Dans les systèmes décentralisés, on doit compter sur une distribution codée.
Tokeniser des actions, des obligations, de l’immobilier à l’échelle mondiale demande une fiabilité absolue. Un seul point de défaillance peut tout faire basculer. Le coding réseau élimine ces points uniques en rendant chaque chemin redondant et utile.
DePIN : quand des millions de devices doivent communiquer
Les réseaux d’infrastructure physique décentralisée (DePIN) promettent de connecter capteurs, machines, véhicules autonomes dans un mesh global. Mais comment faire quand chaque nœud attend des données via des chemins uniques et lents ?
Le RLNC permet à ces devices de fonctionner comme un organisme unique. Les données sont encodées en mouvement, stockées en fragments, récupérées depuis le chemin le plus rapide du moment. Pas de dépendance à des gateways centralisées.
C’est la différence entre un réseau rigide et un réseau fluide, capable d’absorber aussi bien un pic de mining qu’une simple requête d’un capteur domestique.
L’intelligence artificielle décentralisée a besoin de data logistics
L’IA décentralisée émerge : entraînement sur données chiffrées, agents autonomes qui négocient, inférence distribuée. Mais aujourd’hui, stockage et compute sont séparés, accès lent, gateways centralisés.
Ce dont l’IA a vraiment besoin, c’est de logistique de données : encodage en vol, stockage codé, récupération multichemins, recombinaison instantanée. Exactement ce que propose une couche réseau universelle basée sur le coding.
Comparaison : réseau classique vs réseau codé décentralisé
- Réseau classique : chemins fixes, single point of failure, performance limitée par le lien le plus faible
- Réseau codé : tous les chemins utiles, tolérance aux pertes, performance proche du maximum théorique
- Réseau classique : plus de nœuds = plus de congestion potentielle
- Réseau codé : plus de nœuds = plus de capacité et robustesse
Vers un nouveau saut évolutif pour le Web3
Toutes les grandes révolutions internet ont commencé par une amélioration du transport des données : IP pour la connectivité globale, broadband pour le streaming, 5G pour le mobile en temps réel, GPU pour le deep learning.
Le Web3 attend son propre saut. Une couche de données codées universelle ne remplacerait pas les blockchains existantes. Elle les rendrait enfin viables à l’échelle planétaire, ouvrant la porte à des applications qu’on n’imagine même pas encore.
Des startups comme Optimum, fondées par des pionniers du network coding, travaillent déjà à concrétiser cette vision. Le jour où ce protocole sera déployé, le Web3 passera d’expérimental à inévitable.
En attendant, la question reste posée : serons-nous capables de reconnaître ce moment TCP/IP quand il arrivera ? Ou continuerons-nous à optimiser localement pendant que le vrai bottleneck nous échappe ? L’histoire nous dira bientôt si le Web3 a appris des erreurs du passé.
Une chose est sûre : quand cette infrastructure réseau décentralisée verra le jour, elle ne changera pas seulement les blockchains. Elle changera la manière dont le monde numérique fonctionne, une fois pour toutes.
