Le roi est mort, vive… Manfred ? Cette saga n’a rien à envier aux meilleures tragédies shakespeariennes, si ce n’est peut-être un dénouement moins pitoyable. Sam Bankman-Fried, l’ancien crypto-milliardaire, purge désormais une peine de 25 ans au Metropolitan Detention Center de Brooklyn. Et comme tout magnat déchu qui se respecte, il vient de livrer au monde un journal intime où se mêlent réflexions existentielles, bricolages douteux et nostalgie d’une peluche. Oui, une peluche. Prenons une grande respiration et plongeons dans l’univers kafkaïen d’un homme qui a perdu des milliards – mais surtout son oreiller.
Manfred, muffins et misère
Il faut dire que SBF, comme l’appellent les initiés (ou les détracteurs), ne fait rien à moitié. Depuis son costume bleu marine froissé en guise d’oreiller lors de sa première nuit d’incarcération, jusqu’à son troc ingénieux de muffins contre un oreiller de fortune, son quotidien dans cette prison qui a aussi servi de maison à Bernard Madoff, Jeffrey Epstein et R. Kelly, semble tiré d’un mauvais épisode de MacGyver en détention.
La peluche Manfred, son fidèle compagnon depuis ses deux ans, manque cruellement à l’appel, et cela semble peser davantage sur ses nuits que le poids de ses malversations financières. Sam, l’homme qui jonglait avec des milliards comme d’autres jouent aux dominos, découvre maintenant le troc à la petite semaine. Muffins contre oreiller. Serviettes contre un semblant de confort. Ironique, pour quelqu’un qui a manipulé le destin financier de millions de personnes.
Les confessions nostalgiques de Sam :
- Manfred, son doudou, l’accompagne depuis l’âge de 2 ans
- Il l’utilisait comme oreiller, son cou s’y était habitué
- La peluche a voyagé avec lui de Stanford à Hong Kong en passant par New York
- Son absence en prison est plus dure que la perte de sa fortune
Anthropologie pénitentiaire : SBF parmi les hommes
Mais ce journal, ce n’est pas juste le cri du cœur en 3 chapitres d’un escroc privé de son doudou. C’est aussi une plongée dans le microcosme carcéral, décrite avec une pointe d’arrogance savoureuse. Entre Harry, le codétenu homophobe fan de Bohemian Rhapsody, et les parieurs compulsifs qui redéfinissent les erreurs statistiques à chaque match, SBF se pose en observateur quasi-anthropologique.
Pour lui, la prison n’est pas seulement une punition ; c’est une expérience sociale où chacun, dit-il, devient un prisonnier au sens philosophique. Sauf lui, bien sûr. Lui, il observe, analyse, juge. Les autres se battent pour des bananes ou se zombifient à coups de “deuce”, cette mystérieuse drogue imbibée dans du papier. Sam, lui, rédige des journaux et fait des parallèles entre les détenus et la société qu’il a, littéralement, volée.
25 ans de prison : le temps est déjà long
S’il y a bien une chose qui obsède notre héros déchu autant que l’absence d’oreillers, c’est le temps – ou plutôt son absence. Les jours passent sans repères, comme si le monde extérieur n’avait jamais existé. Cette absence de temporalité est pour lui la métaphore ultime de sa désintégration sociale : un homme jadis maître des flux financiers mondiaux réduit à compter les secondes sur une montre achetée pour 42,25 dollars à l’économat. Une montre, donc, plus précieuse que tous les donuts du monde carcéral.
On pourrait croire à une tentative d’humanisation. À travers ses journaux, SBF semble vouloir se positionner en intellectuel incompris, en analyste aiguisé d’un système brisé. Mais ne nous y trompons pas. Publier ses mémoires – via papa donc – et se plaindre de l’absence de son doudou, c’est jouer la carte du storytelling, de l’homme complexe, victime de son propre génie.
Pourtant, les victimes de FTX n’oublieront pas. Et elles dorment probablement mieux sans oreiller que Sam dans sa cellule. Une chose est sûre : ce journal est un témoignage de plus de la chute spectaculaire d’un homme qui voulait tout contrôler et se retrouve aujourd’hui à contempler un mur. Avec ou sans Manfred.