Le marché des cryptomonnaies en Corée du Sud est en ébullition, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Cette semaine, les actions de Kakaopay, géant du paiement numérique, ont chuté de 17 % après une alerte des régulateurs sur les risques liés aux stablecoins. Ce mouvement brusque illustre les tensions croissantes entre l’innovation financière et la prudence réglementaire dans un pays qui ambitionne de devenir un leader mondial des actifs numériques.
Kakaopay et la Fièvre des Stablecoins
La Corée du Sud, reconnue pour son dynamisme technologique, est en train de redéfinir son approche des cryptomonnaies. Kakaopay, filiale du géant technologique Kakao, a récemment suscité l’enthousiasme des investisseurs en annonçant son intention de se lancer dans les stablecoins indexés sur le won coréen. Ces actifs numériques, conçus pour maintenir une valeur stable, promettent de révolutionner les paiements numériques. Mais cette ambition s’est heurtée à un mur réglementaire.
Pourquoi Kakaopay mise sur les stablecoins ?
- Une infrastructure de paiement numérique déjà robuste, avec des millions d’utilisateurs.
- La possibilité d’intégrer un stablecoin dans son système de portefeuille numérique.
- Un marché local en pleine expansion pour les cryptomonnaies, avec un volume d’échange de stablecoins atteignant 57 trillions de wons au premier trimestre 2025.
Une Chute Brutale : Que s’est-il Passé ?
Le 27 juin 2025, les actions de Kakaopay ont plongé de 17 % après une suspension temporaire des échanges par la Korea Exchange. Cette décision a suivi une montée fulgurante du titre, qui avait triplé de valeur en un mois, portée par l’enthousiasme autour des stablecoins. Cependant, les régulateurs ont sonné l’alarme, soulignant les risques d’instabilité financière et de retraits massifs, souvent appelés coin runs.
Les stablecoins ne doivent pas être vus comme un substitut à la monnaie traditionnelle. Leur rôle futur reste incertain.
Banque des Règlements Internationaux
Cette mise en garde a refroidi les investisseurs, qui avaient parié sur Kakaopay comme pionnier des stablecoins en Corée. La Korea Exchange a même classé le titre comme un risque d’investissement, mettant fin à une période de spéculation effrénée.
Régulation : Le Frein à l’Innovation ?
La Corée du Sud adopte une approche prudente face aux stablecoins. La Banque de Corée, dirigée par le gouverneur Rhee Chang-yong, a exprimé ses inquiétudes quant à l’impact potentiel de ces actifs sur la politique monétaire et les flux de capitaux. Selon les autorités, seuls les établissements bancaires réglementés devraient initialement émettre des stablecoins, une position qui limite les ambitions des fintechs comme Kakaopay.
Il serait souhaitable de limiter initialement l’émission de stablecoins aux banques, soumises à une réglementation financière stricte.
Ryoo Sang-dai, Vice-Gouverneur de la Banque de Corée
Cette orientation reflète une volonté de protéger le système financier tout en permettant une innovation contrôlée. Cependant, elle pourrait freiner les acteurs non bancaires, qui espéraient tirer parti de la vague des stablecoins pour transformer le paysage des paiements numériques.
Le Contexte : Une Course aux Stablecoins
La Corée du Sud ne part pas de zéro. Le pays a vu une explosion de l’intérêt pour les cryptomonnaies, avec un volume d’échange de stablecoins passant de 17,59 trillions de wons au troisième trimestre 2024 à 60,2 trillions au quatrième trimestre. Cette croissance a attiré l’attention des régulateurs, mais aussi des grandes banques, qui se sont unies pour former un consortium dédié aux stablecoins indexés sur le won.
Les acteurs majeurs du consortium bancaire :
- KB Kookmin Bank : Leader avec 409 milliards de dollars d’actifs.
- Shinhan Bank : Deuxième plus grande banque avec 507,83 milliards de dollars.
- Woori Bank : Acteur clé avec 372,88 milliards de dollars d’actifs.
Ce consortium prévoit de lancer une plateforme conjointe d’ici fin 2025 ou début 2026, une initiative soutenue par la Digital Asset Basic Act, une législation en cours d’examen qui vise à encadrer l’émission de stablecoins par des entités privées.
Kakaopay : Un Pari Audacieux mais Risqué
Kakaopay avait anticipé ce virage en déposant 18 demandes de marques liées à un stablecoin indexé sur le won, sous des noms comme KPKRW et KRWB. Ces démarches, bien que qualifiées de préventives par l’entreprise, ont alimenté la spéculation boursière. Mais les récents avertissements réglementaires ont révélé les limites de cette stratégie.
Shawn Oh, trader chez NH Investment & Securities, a résumé la situation : “Le marché a surréagi. Kakaopay doit maintenant prouver sa capacité à naviguer dans un environnement réglementaire strict.”
Les Défis des Stablecoins en Corée
Les stablecoins, bien qu’attrayants pour leur stabilité, posent des défis uniques. Leur adoption massive pourrait perturber les marchés financiers, notamment en cas de retraits massifs. De plus, la faible demande internationale pour le won par rapport au dollar américain limite leur portée mondiale.
Les stablecoins ne créent pas automatiquement une demande internationale pour le won.
Analyste anonyme du marché crypto
Pour Kakaopay, l’enjeu est double : intégrer un stablecoin dans son écosystème de paiement tout en respectant les exigences réglementaires. Cela nécessitera des investissements technologiques et une collaboration étroite avec les autorités.
Un Équilibre Délicat entre Innovation et Régulation
Le cas de Kakaopay illustre un dilemme plus large : comment concilier l’innovation rapide dans les cryptomonnaies avec la nécessité de protéger les consommateurs et la stabilité financière ? La Corée du Sud, marquée par l’effondrement de TerraUSD en 2022, reste prudente. Cette catastrophe, qui a coûté 40 milliards de dollars, a renforcé la méfiance des régulateurs envers les stablecoins non réglementés.
Les leçons de TerraUSD :
- Importance d’une réserve transparente pour garantir la stabilité.
- Nécessité d’une supervision stricte pour éviter les dérives.
- Impact psychologique sur les investisseurs, encore méfiants.
Pourtant, l’administration du président Lee Jae-myung semble déterminée à faire avancer les stablecoins, mais sous un cadre strict. La Digital Asset Basic Act pourrait ouvrir la voie à une adoption contrôlée, tout en réduisant la dépendance aux stablecoins indexés sur le dollar.
Perspectives pour Kakaopay et le Marché
Malgré la chute récente, Kakaopay reste un acteur clé du paysage fintech sud-coréen. Avec 429 millions de dollars de soldes prépayés et une base d’utilisateurs massive, l’entreprise est bien placée pour intégrer un stablecoin, à condition de surmonter les obstacles réglementaires. La collaboration avec des banques pourrait être une solution, mais elle diluerait son avantage concurrentiel.
Le marché surveille également d’autres acteurs, comme Npay, qui travaille sur une infrastructure similaire. La concurrence s’intensifie, et la course aux stablecoins pourrait redessiner le paysage des paiements numériques en Corée.
Conclusion : Un Tournant pour la Corée
La chute de Kakaopay n’est pas la fin de l’histoire, mais un rappel des défis inhérents à l’adoption des stablecoins. Entre l’enthousiasme des investisseurs et la prudence des régulateurs, la Corée du Sud cherche un équilibre délicat. Les mois à venir seront cruciaux pour déterminer si Kakaopay peut rebondir et concrétiser ses ambitions dans le domaine des actifs numériques.
Récapitulatif des enjeux :
- Régulation stricte : Les stablecoins seront limités aux banques dans un premier temps.
- Volatilité boursière : Kakaopay doit regagner la confiance des investisseurs.
- Concurrence : Les grandes banques et autres fintechs entrent dans la course.
En attendant, la Corée du Sud reste un marché à surveiller. Son ambition de devenir un leader des stablecoins pourrait transformer non seulement son économie, mais aussi le paysage mondial des cryptomonnaies.