Imaginez un instant : il y a encore un an, les autorités américaines pointaient du doigt les cryptomonnaies comme une menace potentielle pour la stabilité financière du pays. Aujourd’hui, le ton a radicalement changé. Le Conseil de surveillance de la stabilité financière, plus connu sous son acronyme FSOC, vient de publier son rapport annuel et, surprise, les actifs numériques n’y figurent plus parmi les risques systémiques. Ce simple retrait marque-t-il le début d’une nouvelle ère pour la crypto aux États-Unis ?
Cette évolution n’est pas anodine. Elle reflète un basculement progressif des institutions américaines vers une approche plus constructive vis-à-vis de la blockchain et des cryptomonnaies. Dans un contexte où l’innovation financière mondiale s’accélère, les États-Unis semblent vouloir reprendre la main plutôt que de laisser le leadership à d’autres nations.
Un tournant réglementaire inattendu pour les cryptomonnaies américaines
Le FSOC a été créé en 2010, juste après la crise des subprimes, pour surveiller les risques qui pourraient déstabiliser l’ensemble du système financier américain. Chaque année, son rapport annuel passe en revue les menaces potentielles : dettes souveraines, bulles immobilières, cyberattaques… et, jusqu’à récemment, les cryptomonnaies.
En 2024, le ton était encore très prudent. Le document soulignait explicitement que les crypto-actifs, en particulier les stablecoins, représentaient un danger pour la stabilité économique. On y appelait même le Congrès à légiférer rapidement pour encadrer ces instruments.
Mais le rapport publié le 11 décembre 2025 change complètement la donne. Les cryptomonnaies ne sont plus qualifiées de risque. À la place, on y vante les progrès réalisés par les différentes agences fédérales dans la mise en œuvre des recommandations précédentes.
« Les agences membres du Conseil ont continué à progresser dans la mise en œuvre des recommandations du Conseil contenues dans le rapport de 2021 sur les actifs numériques. »
Extrait du rapport annuel 2025 du FSOC
Cette citation illustre parfaitement le changement de perspective. On passe d’une posture défensive à une reconnaissance des efforts accomplis pour encadrer le secteur tout en favorisant l’innovation.
Pourquoi ce revirement maintenant ?
Plusieurs facteurs expliquent ce changement de cap. D’abord, l’arrivée d’une nouvelle administration plus favorable aux cryptomonnaies joue un rôle clé. Même si le rapport est rédigé par des experts indépendants, l’ombre d’une politique pro-innovation plane clairement sur les institutions.
Ensuite, les régulateurs ont constaté que le secteur a mûri. Les grandes plateformes respectent de plus en plus les règles anti-blanchiment, les réserves des stablecoins sont mieux auditées, et les produits réglementés comme les ETF Bitcoin ont attiré des milliards de dollars institutionnels sans provoquer de chaos.
Enfin, la concurrence internationale pousse les États-Unis à agir. La Chine, les Émirats arabes unis, Singapour ou encore l’Europe avancent rapidement sur les monnaies numériques. Rester en retrait risquerait de faire perdre aux Américains leur domination financière mondiale.
Les stablecoins, un atout stratégique pour le dollar
Le point le plus intéressant du rapport concerne les stablecoins libellés en dollar. Loin de les voir uniquement comme un danger, le FSOC souligne leur potentiel pour renforcer la position du billet vert dans le monde.
En effet, l’USDT de Tether et l’USDC de Circle dominent largement le marché des stablecoins. Chaque transaction effectuée avec ces actifs renforce l’utilisation du dollar dans les échanges internationaux, même dans des zones où la monnaie américaine était moins présente.
« L’utilisation continue de stablecoins libellés en USD devrait soutenir le rôle du dollar américain dans le système financier international au cours de la prochaine décennie. »
Rapport annuel FSOC 2025
Cette phrase est historique. Pour la première fois, une institution aussi sérieuse que le FSOC reconnaît publiquement que les cryptomonnaies peuvent servir les intérêts géopolitiques et économiques des États-Unis.
Concrètement, cela signifie que les stablecoins agissent comme une sorte de dollar numérique privé, accessible 24h/24, transferable instantanément à l’autre bout du monde, sans passer par les circuits bancaires traditionnels. Un avantage considérable dans un monde où les paiements transfrontaliers restent souvent lents et coûteux.
Les principaux stablecoins en dollar actuellement :
- USDT (Tether) – Capitalisation supérieure à 120 milliards de dollars
- USDC (Circle) – Environ 40 milliards, avec une transparence accrue
- USDP (Paxos) – Réserves entièrement auditées
- Dai (MakerDAO) – Stablecoin décentralisé surcollateralisé
- PYUSD (PayPal) – Lancé par le géant des paiements
Ces instruments permettent aux populations de pays à monnaie instable de se protéger de l’inflation en détenant des dollars numériques. Ils facilitent aussi le commerce international et les transferts de fonds pour les migrants. Autant d’usages qui étendent l’influence du dollar sans coût supplémentaire pour le Trésor américain.
Des risques toujours présents, mais maîtrisés
Le rapport n’ignore pas complètement les dangers. Il mentionne notamment le risque que certains stablecoins soient utilisés pour des transactions illicites. Cependant, ce point est traité avec mesure, sans dramatisation excessive.
Les régulateurs savent que les dollars physiques et les virements bancaires traditionnels sont également utilisés à des fins illégales. L’important est de disposer d’outils de surveillance adaptés. Et sur ce plan, les blockchains publiques offrent paradoxalement plus de transparence que les circuits offshore classiques.
De nombreuses entreprises du secteur ont d’ailleurs intégré des solutions de traçabilité avancées. Chainalysis, Elliptic ou TRM Labs fournissent aux autorités des outils puissants pour suivre les flux suspects. Un partenariat public-privé qui semble porter ses fruits.
Vers un cadre réglementaire équilibré
Même si les cryptomonnaies ne sont plus considérées comme un risque systémique, le FSOC continue de plaider pour un cadre législatif clair, particulièrement pour les stablecoins. L’objectif n’est plus de freiner le secteur, mais de l’encadrer pour protéger les consommateurs tout en favorisant l’innovation.
Plusieurs projets de loi circulent actuellement au Congrès. Le plus attendu est probablement le Clarity for Payment Stablecoins Act, qui vise à définir précisément les règles d’émission et de réserve pour ces actifs. Une adoption de ce texte serait un signal fort pour l’ensemble de l’industrie.
Par ailleurs, la SEC et la CFTC continuent de clarifier leurs champs de compétence respectifs. Les produits purement spéculatifs relèvent de la CFTC, tandis que ceux présentés comme des titres financiers restent sous la supervision de la SEC. Cette division du travail commence à porter ses fruits.
- Approbation des ETF Bitcoin spot en janvier 2024
- Lancement réussi des ETF Ethereum spot en 2025
- Clarification progressive sur la classification des altcoins
- Partenariats entre banques traditionnelles et entreprises crypto
Ces avancées montrent que le secteur américain mûrit rapidement. Les investisseurs institutionnels affluent, les grandes banques proposent des services de custody, et les fintechs intègrent la blockchain dans leurs offres.
Les implications pour le marché crypto mondial
Ce rapport du FSOC a des répercussions bien au-delà des frontières américaines. Les États-Unis restant le principal marché pour les cryptomonnaies, une posture plus favorable des régulateurs entraîne souvent un effet domino positif.
Les entreprises du secteur peuvent désormais lever des fonds plus facilement, attirer les talents, et développer des produits innovants sans craindre une répression brutale. C’est particulièrement vrai pour les projets liés aux stablecoins et à la tokenisation d’actifs réels (RWA).
BlackRock, Fidelity, JPMorgan ou encore Goldman Sachs ont tous lancé ou annoncé des initiatives dans ce domaine. La tokenisation des obligations, des fonds monétaires ou même de l’immobilier pourrait représenter des milliers de milliards de dollars dans les prochaines années.
Quelques exemples récents de tokenisation institutionnelle :
- JPMorgan tokenise des obligations sur Solana avec Galaxy et Coinbase
- BlackRock lance BUIDL, un fonds monétaire tokenisé
- Franklin Templeton propose des parts de fonds sur blockchain
- Société Générale émet des obligations vertes tokenisées
Ces initiatives montrent que la finance traditionnelle voit dans la blockchain un outil d’efficacité et de réduction des coûts, plutôt qu’une menace.
Et la France dans tout ça ?
En Europe, et particulièrement en France, le cadre réglementaire MiCA est déjà en place depuis 2024. Il offre une certaine clarté, mais reste plus strict que ce qui semble se dessiner aux États-Unis.
L’assouplissement américain pourrait pousser l’Europe à revoir certains aspects de sa régulation pour rester compétitive. Sinon, une partie de l’innovation risque de migrer outre-Atlantique.
En France, l’AMF a récemment montré des signes d’ouverture, mais le chemin reste long. Les acteurs locaux espèrent que ce signal américain influencera positivement les décideurs européens.
Conclusion : vers une adoption massive ?
Le retrait des cryptomonnaies de la liste des risques systémiques par le FSOC marque un tournant majeur. Il valide des années d’efforts du secteur pour se professionnaliser et collaborer avec les régulateurs.
Les stablecoins, en particulier, passent du statut de menace à celui d’opportunité stratégique pour maintenir la domination du dollar. Ce positionnement pourrait accélérer l’adoption institutionnelle et ouvrir la voie à des innovations financières majeures.
Bien sûr, des défis restent à relever : protection des consommateurs, lutte contre les usages illicites, gestion des risques techniques. Mais le ton général est désormais à la construction plutôt qu’à la confrontation.
Pour les investisseurs, les entrepreneurs et les passionnés de cryptomonnaies, ce rapport est une excellente nouvelle. Il confirme que les États-Unis choisissent l’innovation responsable plutôt que l’interdiction. Et dans ce domaine, celui qui pose les règles domine souvent le jeu.
Le futur des cryptomonnaies américaines s’annonce plus radieux que jamais. Reste à voir comment le Congrès et les autres institutions transformeront ces recommandations en lois concrètes. Une chose est sûre : 2026 pourrait être l’année de l’adoption massive.
