L’avenir de la finance décentralisée est en jeu. Coinbase, le géant des exchanges centralisés, vient de prendre fait et cause pour ses concurrents décentralisés face aux velléités de régulation de la SEC américaine. Un combat de titans dont l’issue façonnera le futur de la cryptosphère.
Le bras de fer entre les acteurs crypto et le gendarme boursier américain n’est pas nouveau. Mais il vient de prendre une tournure étonnante avec l’entrée en scène de Coinbase pour défendre bec et ongles les intérêts de ses rivaux “décentralisés”. Pourquoi un tel revirement ? Quels sont les enjeux ? Décryptage.
La SEC part en croisade contre les exchanges décentralisés
Gary Gensler, le président de la Securities and Exchange Commission, ne cache pas son intention de mettre au pas l’industrie des cryptomonnaies. Après avoir longtemps concentré ses efforts sur les plateformes centralisées comme Binance ou Coinbase justement, l’autorité de régulation a décidé de s’attaquer également aux exchanges décentralisés (DEX).
Pour la SEC, peu importe le degré de décentralisation, la plupart des cryptoactifs sont des titres financiers non enregistrés. A ce titre, les plateformes qui permettent de les échanger doivent se plier aux mêmes exigences que les bourses traditionnelles en termes d’enregistrement, de transparence et de protection des investisseurs.
C’est dans ce contexte que le principal DEX, Uniswap, a reçu au printemps dernier un avis Wells, première étape vers des poursuites pour exercice illégal d’activité de courtier. Une menace existentielle pour un protocole qui revendique son caractère décentralisé et ouvert.
Coinbase prend la défense des DEX
C’est peu dire que l’initiative de la SEC a fait bondir les partisans de la finance décentralisée. Mais le soutien le plus inattendu est venu de Coinbase en personne, qui a pourtant tout d’un exchange centralisé traditionnel.
Dans une lettre publiée le 12 août, le directeur juridique de la firme, Paul Grewal, a vertement critiqué la position de la SEC. Vouloir soumettre les DEX aux mêmes règles que les plateformes centralisées est selon lui “totalement irrationnel” :
Les DEX ne peuvent pas se conformer aux exigences d’enregistrement et de divulgation conçues pour les échanges financiers hérités gérés par des sociétés centralisées. Et même s’ils le pouvaient en quelque sorte, la Commission n’explique pas comment des DEX enregistrés auprès de la SEC pourraient faciliter la négociation d’actifs numériques.
Paul Grewal, directeur juridique de Coinbase
En clair, Coinbase estime qu’appliquer un cadre réglementaire pensé pour des entités centralisées à des protocoles décentralisés n’a aucun sens et ne ferait que les empêcher de fonctionner. Un argumentaire complet et musclé de 13 pages que ne renieraient pas les avocats d’Uniswap !
Pourquoi Coinbase s’engage dans cette bataille ?
Au delà de la solidarité entre acteurs crypto, on peut s’interroger sur les motivations de Coinbase à s’impliquer ainsi dans ce dossier brûlant. L’explication la plus probable est que la plateforme dirigée par Brian Armstrong a bien compris que son avenir était intrinsèquement lié à celui de la finance décentralisée.
Si la SEC parvenait à tuer dans l’œuf les protocoles DeFi en leur imposant un carcan réglementaire intenable, cela signerait la fin des velléités de décentralisation de toute l’industrie. Même les plateformes historiques comme Coinbase seraient condamnées à moyen terme face à la pression des régulateurs.
En prenant publiquement position en faveur des DEX, Coinbase fait d’une pierre deux coups : elle affiche son attachement aux valeurs fondatrices des cryptomonnaies et elle affaiblit son principal adversaire, la SEC de Gary Gensler.
La doctrine Chevron en question
Paul Grewal souligne d’ailleurs un point crucial dans son argumentaire : la disparition récente de la doctrine Chevron qui donnait un large pouvoir d’interprétation aux agences fédérales en cas de litige. Avec ce revirement de jurisprudence, la SEC ne serait plus légitime pour décider seule du sort des acteurs crypto.
C’est sur ce terrain hautement technique du droit constitutionnel que se jouera en grande partie la bataille entre la Securities and Exchange Commission et les tenants de la décentralisation. Avec le renfort de poids de Coinbase, les DEX ont peut-être une chance d’échapper aux griffes du régulateur. Affaire à suivre de très près !
Le futur de la finance décentralisée en jeu
Au delà du cas particulier d’Uniswap, c’est bien tout l’écosystème DeFi qui est dans le viseur de la SEC. De l’issue de ce bras de fer dépendra la capacité des protocoles décentralisés à continuer d’innover et de proposer une alternative aux circuits financiers traditionnels.
Si la SEC l’emportait et parvenait à imposer ses règles aux DEX, cela signerait la fin de l’expérimentation DeFi et un retour en force de la centralisation. Un scénario cauchemardesque pour les partisans de la décentralisation qui y voient la promesse d’un système financier plus ouvert, transparent et résilient.
À l’inverse, si Coinbase et les autres acteurs crypto parviennent à faire reculer le régulateur, cela ouvrirait la voie à une cohabitation entre finance traditionnelle et décentralisée. Un équilibre délicat à trouver mais qui semble le seul à même de favoriser l’innovation tout en protégeant les investisseurs.
Une chose est sûre, la bataille ne fait que commencer et elle sera longue et complexe. Mais avec l’entrée en scène fracassante de Coinbase, elle prend une tournure passionnante pour l’avenir de la finance décentralisée et des cryptomonnaies en général. Keep calm & stack sats !