Imaginez un monde où, au début du XXe siècle, les grands indices boursiers avaient décidé d’exclure les compagnies pétrolières sous prétexte qu’elles détenaient trop de réserves de brut. Ou encore, dans les années 2000, bannir les géants de la tech parce que leurs data centers représentaient l’essentiel de leurs actifs. Absurde ? Pourtant, c’est exactement le risque que court aujourd’hui le secteur du Bitcoin avec la consultation lancée par MSCI.
Une consultation qui fait trembler les Bitcoin Treasuries
Le mois dernier, Morgan Stanley Capital International, plus connu sous le nom de MSCI, a ouvert une consultation publique choc. L’organisme, qui gère certains des indices boursiers les plus influents au monde comme le MSCI World, envisage d’exclure purement et simplement les entreprises dont plus de 50 % des actifs sont constitués de cryptomonnaies. Une mesure qui vise directement les sociétés adoptant la stratégie des Digital Asset Treasuries, ou DAT.
En première ligne : Strategy. Avec plus de 660 000 bitcoins dans ses coffres, l’entreprise fondée par Michael Saylor détient la plus grande réserve mondiale de BTC. Une exclusion des indices MSCI représenterait un coup dur, non seulement pour sa valorisation boursière, mais pour l’ensemble de l’écosystème Bitcoin institutionnel.
« Cela reviendrait à restreindre les investissements dans le pétrole et les plateformes pétrolières au début du XXe siècle, dans le spectre radioélectrique et les antennes-relais dans les années 1980, ou encore dans l’informatique et les centres de données dans les années 2000. »
Phong Le, CEO de Strategy
Pourquoi Strategy serait la plus touchée
Strategy n’est pas une entreprise technologique classique. Sa stratégie repose fondamentalement sur l’accumulation de Bitcoin comme actif de réserve principal. Cette approche, popularisée par Michael Saylor, vise à protéger la valeur actionnariale contre l’inflation et à profiter de l’appréciation long terme du BTC.
Avec plus de 660 000 bitcoins, la valeur de ces holdings dépasse largement celle de ses activités historiques de business intelligence. Une exclusion des indices signifierait que des milliers de fonds passifs, qui répliquent mécaniquement le MSCI World ou d’autres indices majeurs, devraient vendre leurs positions Strategy. Un effet domino potentiellement dévastateur.
Mais au-delà de Strategy, c’est toute une nouvelle classe d’entreprises qui pourrait être pénalisée : celles qui choisissent Bitcoin comme réserve de valeur stratégique.
Une décision incohérente face à l’histoire économique
Phong Le, le CEO de Strategy, n’a pas mâché ses mots lors de son intervention sur Schwab Network. Pour lui, exclure les DAT revient à ignorer les leçons du passé. L’histoire économique est remplie d’innovations initialement perçues comme risquées, mais qui ont finalement transformé le monde.
Le pétrole au début du siècle dernier ? Une matière volatile, spéculative, détenue en grandes quantités par quelques compagnies. Pourtant, personne n’a songé à exclure Standard Oil ou ses héritiers des indices sous prétexte de concentration excessive.
Les data centers dans les années 2000 ? Amazon, Google ou Microsoft investissaient massivement dans des infrastructures représentant une part énorme de leurs actifs. Là encore, les indices ont intégré ces entreprises, permettant aux investisseurs de profiter de la révolution internet.
Des parallèles historiques troublants
- Début XXe : réserves pétrolières massives chez les oil companies
- Années 1980 : investissements lourds dans les infrastructures télécoms
- Années 2000 : explosion des data centers chez les géants tech
- 2025 : accumulation de Bitcoin comme réserve de valeur stratégique
Le traitement différencié des actifs : une discrimination assumée ?
Le cœur de l’argument de Phong Le est simple : pourquoi pénaliser uniquement les cryptomonnaies ? De nombreuses entreprises traditionnelles détiennent une part écrasante de leurs actifs dans une seule classe.
Prenez Chevron ou ExxonMobil : leurs réserves prouvées de pétrole représentent une valeur colossale. Weyerhaeuser dans le bois ? Des millions d’hectares de forêts. Simon Property Group dans l’immobilier ? Des centres commerciaux à perte de vue. Aucune de ces sociétés n’a jamais été menacée d’exclusion pour concentration excessive.
Pourtant, dès qu’il s’agit de Bitcoin, la règle change. Comme si l’actif numérique, par nature, était plus risqué ou moins légitime que le pétrole, le bois ou la pierre.
« C’est vouloir étouffer l’innovation que d’agir ainsi avec les sociétés qui détiennent de grandes parts de Bitcoin ou d’autres crypto-actifs. »
Phong Le
L’adoption institutionnelle du Bitcoin en pleine accélération
Le timing de cette consultation apparaît d’autant plus surprenant que 2025 marque un tournant majeur pour l’adoption institutionnelle du Bitcoin. Les ETF spot Bitcoin aux États-Unis accumulent des milliards de dollars d’entrées nettes. BlackRock lui-même détient désormais près de 780 000 BTC via ses produits.
Des entreprises cotées comme Twenty One viennent de faire leurs débuts remarqués à Wall Street avec une stratégie centrée sur Bitcoin. Même des géants traditionnels comme SpaceX déplacent discrètement des millions en BTC, alimentant les spéculations.
Dans ce contexte, exclure les DAT des indices majeurs reviendrait à créer un fossé artificiel entre finance traditionnelle et finance numérique. Un signal négatif envoyé aux investisseurs institutionnels qui hésiteraient encore à allouer une part de leur portefeuille au Bitcoin.
Les conséquences potentielles pour les investisseurs
Si la décision finale du MSCI, attendue pour le 15 janvier 2026, confirmait l’exclusion, les répercussions seraient multiples. D’abord pour Strategy : une pression vendeuse mécanique de la part des fonds indiciels.
Mais aussi pour l’ensemble du marché Bitcoin. Les indices MSCI servent de référence à des trillions de dollars d’investissements passifs. Leur composition influence directement les flux de capitaux. Un biais anti-crypto intégré structurellement dans ces benchmarks freinerait l’arrivée de nouveaux capitaux institutionnels.
À l’inverse, maintenir les DAT dans les indices validerait définitivement Bitcoin comme une classe d’actifs mature, digne de figurer aux côtés des matières premières traditionnelles.
Scénarios possibles post-décision MSCI
- Exclusion confirmée : pression vendeuse sur Strategy, signal négatif pour l’adoption institutionnelle, risque de volatilité accrue
- Maintien des DAT : validation forte de Bitcoin comme réserve de valeur, afflux potentiels de nouveaux capitaux, légitimation définitive
- Seuil relevé ou assoupli : compromis possible, permettant aux grandes Bitcoin Treasuries de rester éligibles
Un parallèle avec la débancarisation du secteur crypto
Phong Le n’est pas le seul à dénoncer un traitement différencié. Récemment, une enquête du Bureau du Contrôleur de la Monnaie (OCC) aux États-Unis a révélé que neuf grandes banques pratiquaient une « débancarisation préjudiciable » envers le secteur crypto.
Ces manœuvres coordonnées visaient à couper l’accès bancaire à de nombreuses entreprises crypto, sous prétexte de risques excessifs. Un comportement discriminatoire qui rappelle étrangement la consultation MSCI : dans les deux cas, le secteur des actifs numériques est traité plus sévèrement que d’autres industries pourtant risquées.
Le parallèle est d’autant plus frappant que l’adoption du Bitcoin progresse à grands pas chez les institutions financières elles-mêmes.
La consultation est encore ouverte : chacun peut participer
Important : la consultation du MSCI reste ouverte jusqu’au 31 décembre 2025. Tout le monde peut y participer et faire entendre sa voix. Les investisseurs, les entreprises, les particuliers : votre avis compte pour influencer cette décision cruciale.
Face à l’argumentation solide de dirigeants comme Phong Le, et compte tenu de l’évolution rapide du marché, MSCI pourrait revoir sa position. Refuser l’innovation sous prétexte de prudence excessive reviendrait à prendre du retard sur l’histoire.
Car Bitcoin n’est plus une expérience marginale. C’est une réserve de valeur adoptée par des entreprises cotées, des États (pensez aux réserves stratégiques envisagées), et des millions d’investisseurs. L’exclure des grands indices serait non seulement incohérent, mais potentiellement une erreur historique dont les marchés financiers mettraient des années à se remettre.
L’année 2025 pourrait marquer l’entrée définitive du Bitcoin dans la finance traditionnelle. Ou au contraire, un recul regrettable. Tout dépendra de cette décision MSCI. À suivre de très près.
