Imaginez deux frères jumeaux qui, pendant des années, ont marché main dans la main face aux tempêtes économiques. L’un brille sous le nom d’or, l’autre se fait appeler Bitcoin, surnommé « or numérique ». Pendant longtemps, quand les marchés tremblaient, ils montaient ensemble, rassurants, solides. Et puis, du jour au lendemain, l’un s’envole vers des sommets historiques tandis que l’autre s’écroule de 35 %. Cette scène n’est pas une fiction : elle se déroule sous nos yeux en cette fin novembre 2025.
Quand l’or vole et que Bitcoin s’effondre : la fin d’une corrélation légendaire
Depuis 2020, parler de Bitcoin sans évoquer l’or était presque impoli. Les deux actifs partageaient le même récit : actifs rares, non confiscables, protection contre l’inflation et les crises monétaires. Les graphiques superposés étaient bluffants. Quand l’or grimpait, Bitcoin suivait souvent avec plus de vigueur. Quand l’or corrigeait, Bitcoin faisait de même. Une corrélation qui dépassait parfois 80 % sur des fenêtres de plusieurs mois.
Mais depuis mi-octobre 2025, le lien s’est brisé net.
L’or a gagné plus de 50 % depuis janvier, signant sa meilleure année depuis 1979. Bitcoin, lui, a atteint 126 000 $ début octobre… avant de plonger jusqu’à perdre temporairement 35 % de sa valeur, pour se stabiliser autour de -30 % à l’heure où j’écris ces lignes. Une divergence aussi brutale qu’inattendue.
Les deux moteurs principaux de cette décorrélation
Deux phénomènes majeurs expliquent ce divorce spectaculaire.
- Des sorties massives et historiques sur les ETF Bitcoin spot américains
- L’émergence d’un acheteur colossal d’or physique… venu du monde crypto : Tether
1. Les ETF Bitcoin saignent : 4,3 milliards de dollars partis en fumée
L’arrivée des ETF Bitcoin spot en janvier 2024 avait été célébrée comme l’entrée définitive de Wall Street dans la crypto. Pendant des mois, les entrées nettes ont été folles : plus de 50 milliards de dollars en cumulé. BlackRock, Fidelity, Ark… tout le monde voulait sa part du gâteau.
Puis vint la correction de novembre 2025.
En seulement quatre semaines, 4,3 milliards de dollars se sont évaporés des onze ETF américains. Une hémorragie jamais vue, même pendant le krach de 2022. Les particuliers, premiers acheteurs de 2024, ont été les premiers à vendre selon les analyses flux de JPMorgan. Les institutionnels, eux, ont plutôt tenu bon… pour l’instant.
« Les investisseurs retail qui étaient entrés à 100 000 $ ou plus paniquent et vendent à perte. C’est exactement le comportement qui avait été observé en 2021-2022. »
Analyste senior chez Glassnode, novembre 2025
Cette liquidation en cascade a créé un effet domino : moins de demande sur les ETF → les émetteurs vendent du Bitcoin sur le marché spot → le prix baisse → plus de panique → nouvelles ventes. Un cercle vicieux classique, mais d’une ampleur rarissime.
2. Tether devient l’un des plus gros acheteurs d’or au monde
Pendant que les ETF Bitcoin se vidaient, un acteur inattendu entrait en force… sur le marché de l’or physique.
Tether, émetteur du célèbre stablecoin USDT (120 milliards de dollars de capitalisation), a révélé détenir à fin septembre 2025 pas moins de 116 tonnes d’or dans ses réserves. Cela représente environ 15,5 milliards de dollars au cours actuel. Dit autrement : Tether est devenu le plus gros détenteur privé d’or non-étatique de la planète, devant des pays comme la Corée du Sud ou la Grèce.
Et ils n’ont pas fini.
Le rapport Jefferies de novembre estime que Tether a acheté 26 tonnes rien qu’au troisième trimestre 2025. Cela représente 2 % de la demande mondiale d’or sur la période et 12 % des achats des banques centrales. Autant dire que quand Tether appuie sur le bouton « buy », le marché de l’or le ressent immédiatement.
Pourquoi Tether achète-t-il autant d’or ?
- Renforcer les réserves de l’USDT (qui doit rester surcollatéralisé)
- Alimenter XAUT, son stablecoin adossé à l’once d’or (déjà plusieurs milliards en circulation)
- Se diversifier face à un dollar qui pourrait faiblir sous l’effet des politiques de l’administration Trump 2.0
L’or redevient le roi des valeurs refuges… même pour les cryptos
L’ironie est totale : une partie de l’écosystème crypto, censé ringardiser l’or, finance aujourd’hui la hausse du métal jaune. XAUT gagne des parts de marché face aux stablecoins classiques. Les institutionnels asiatiques et moyen-orientaux, frileux à l’idée d’acheter du Bitcoin directement, se ruent sur les tokens adossés à l’or stocké dans des coffres suisses ou londoniens.
En parallèle, les banques centrales continuent leur frénésie d’achat d’or (plus de 800 tonnes attendues en 2025), poussées par la dédollarisation et les tensions géopolitiques. L’or bénéficie donc d’une demande à la fois traditionnelle et nouvelle venue du monde numérique.
Cette décorrélation est-elle définitive ?
Rien n’est moins sûr.
Historiquement, les périodes de forte corrélation entre Bitcoin et or ont toujours été suivies de phases de décorrélation, avant un retour à la moyenne. En 2018, puis en 2022, on a déjà observé des divergences de plusieurs mois. À chaque fois, le lien s’est reformé lors de la crise suivante.
Plusieurs scénarios sont possibles :
- Scénario 1 – Retour de la corrélation haussière : si la Fed doit relancer la planche à billets face à une récession en 2026, Bitcoin et or pourraient remonter ensemble.
- Scénario 2 – Décorrélation durable : Bitcoin devient un actif risqué classique (comme les tech stocks), tandis que l’or conserve son statut de valeur refuge ultime.
- Scénario 3 – Hybridation : les stablecoins adossés or (XAUT, PAXG…) deviennent le pont entre les deux mondes, et Bitcoin repart seul quand le risque-on revient.
Ce que cela change pour votre portefeuille
Cette rupture force à reposner la question de l’allocation.
Pendant des années, beaucoup d’investisseurs crypto se disaient : « J’ai du Bitcoin, j’ai déjà mon or numérique, pas besoin d’or physique. Aujourd’hui, cette thèse vacille. Posséder les deux actifs peut désormais avoir du sens, précisément parce qu’ils ne bougent plus ensemble.
Les portefeuilles 60/20/20 (60 % stablecoins, 20 % Bitcoin, 20 % or tokenisé) gagnent en popularité chez les whales asiatiques. Une façon de profiter des forces de chaque actif sans subir leurs faiblesses actuelles.
En résumé, non, la corrélation historique entre Bitcoin et or n’est pas morte. Elle est simplement en pause. L’or reprend son trône de valeur refuge absolue, pendant que Bitcoin traverse une crise de croissance classique des actifs risqués. Mais l’histoire nous a appris une chose : quand le prochain grand choc arrivera, ils risquent fort de se retrouver côte à côte une nouvelle fois.
D’ici là, la diversification n’a jamais semblé aussi pertinente.
