Lorsqu’on pense au crime organisé et au blanchiment d’argent, l’image qui vient à l’esprit est celle de gangsters en costumes impeccables, comptant des liasses de billets dans l’arrière-salle enfumée d’un casino. Mais à l’ère du numérique, les malfaiteurs ont troqué les mallettes de cash contre des portefeuilles de cryptomonnaies, comme le montre une récente affaire d’escroquerie liée au bitcoin qui vient d’être jugée au Royaume-Uni.
61 000 BTC saisis, la plus grande saisie de crypto au Royaume-Uni
Le 28 mai 2024, Jian Wen, une ressortissante chinoise de 42 ans résidant en Angleterre, a été condamnée par la cour de Southwark à Londres à 6 ans et 8 mois de prison pour son rôle dans une vaste arnaque crypto et une opération de blanchiment d’argent. La police britannique a saisi dans le cadre de cette affaire la somme colossale de 61 000 bitcoins, soit environ 4,2 milliards de dollars au cours actuel. C’est la plus importante saisie de cryptomonnaie jamais réalisée outre-Manche.
Cette fraude crypto de grande ampleur, qui s’est déroulée entre 2014 et 2017, consistait à arnaquer des investisseurs en Chine via de fausses plateformes d’investissement en ligne. L’argent détourné était ensuite blanchi via le réseau bitcoin, où il est plus facile de brouiller les pistes. C’est là qu’intervient Jian Wen, qui était chargée de réceptionner les fonds en bitcoin avant de les réinjecter dans l’économie réelle.
Un train de vie très au dessus de ses moyens
Lors de son interpellation fin 2018, l’accusée louait une maison de six chambres à près de 20 000 € par mois et roulait en Mercedes classe E. Elle multipliait les voyages de luxe, les dépenses extravagantes en vêtements de grands couturiers, et avait inscrit son fils dans une école prestigieuse à plus de 7000 € le trimestre. Elle était également propriétaire de deux appartements à Dubaï et s’apprêtait à acquérir une villa de 10 millions d’euros en Toscane.
Comment une simple employée de restaurant a-t-elle pu mener un tel train de vie ? C’est la question que s’est posée le fisc britannique en constatant l’écart abyssal entre les 7000 € de revenus annuels qu’elle déclarait et son niveau de dépenses. Lorsque Jian Wen a voulu acheter un ensemble immobilier à Londres pour 42 millions €, les autorités ont décidé de se pencher sérieusement sur l’origine de cette fortune.
Un maillon d’une chaîne criminelle internationale
Devant la justice, Jian Wen a reconnu avoir participé à “un arrangement concernant de la cryptomonnaie”, tout en affirmant qu’elle n’était qu’un rouage d’un système qu’elle ne maîtrisait pas et dont elle ne soupçonnait pas l’ampleur :
Mais la procureure Gillian Jones n’a pas été sensible à ces arguments, soulignant que l’accusée était avant tout “motivée par l’avidité et l’appât du gain” et qu’elle n’était soumise “à aucune coercition, intimidation ou exploitation”. Au-delà de Jian Wen, c’est tout un réseau criminel international qui est dans le collimateur de la justice et qui utilise la crypto, en l’occurrence le bitcoin, pour dissimuler et blanchir des fonds d’origine frauduleuse.
La régulation crypto s’accélère face aux dérives
Cette affaire spectaculaire illustre les défis auxquels sont confrontés les régulateurs du monde entier face à l’utilisation croissante des cryptomonnaies à des fins criminelles. Si le bitcoin et les autres crypto-actifs sont des innovations passionnantes qui ouvrent de nouvelles opportunités, ils peuvent aussi servir de véhicules pour toutes sortes de trafics, de l’évasion fiscale au financement du terrorisme en passant par le blanchiment d’argent.
Pour lutter contre ces dérives sans entraver l’innovation, de nombreux pays mettent en place un cadre légal et fiscal adapté, à l’image des récentes régulations européennes MiCA et TFR. L’objectif est de responsabiliser les acteurs du secteur, d’assainir le marché et de restaurer la confiance, indispensable à l’adoption massive des cryptos. Des affaires comme celle de Jian Wen rappellent l’urgence et la nécessité de cette régulation des cryptomonnaies.
En bref
- 61 000 bitcoins d’une valeur de 4,2 milliards $ ont été saisis au Royaume-Uni dans une affaire de fraude crypto.
- Jian Wen, une ressortissante chinoise, a été condamnée à plus de 6 ans de prison pour blanchiment via le bitcoin.
- Malgré un train de vie luxueux, elle affirme n’avoir été qu’un maillon d’un vaste réseau criminel international.
- Cette affaire montre l’importance d’une régulation adaptée pour lutter contre l’usage illicite des cryptos.
Si cette histoire rocambolesque digne d’un polar peut faire sourire, elle met surtout en lumière les zones d’ombre du monde des cryptomonnaies. Derrière l’image idéalisée d’un Far West numérique qui échappe au contrôle des Etats se cachent parfois de sombres réalités. La blockchain n’est pas l’apanage des geeks libertariens, elle peut aussi servir d’outil aux réseaux mafieux les plus lourdement criminels.
Le défi, pour les pouvoirs publics comme pour la communauté crypto, est de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. De mettre en place des garde-fous sans pour autant étouffer ce formidable écosystème d’innovation qu’incarnent les crypto-actifs et leurs usages vertueux. Un équilibre subtil qui passe par le dialogue, la pédagogie et une volonté commune de construire une économie numérique plus éthique et transparente.