Imaginez un instant : un stablecoin censé valoir toujours un dollar vacille dangereusement, perd son ancrage, et menace d’entraîner tout un écosystème dans l’abîme. Puis, comme par magie, il retrouve son équilibre. Tout le monde applaudit le génie algorithmique du projet. Mais si, derrière cette « magie », se cachait une intervention massive et secrète d’un géant du trading ? C’est exactement ce que révèle aujourd’hui une procédure judiciaire explosive dans l’univers crypto.
Le 18 décembre 2025, l’administrateur chargé de la liquidation de Terraform Labs a déposé une plainte de 4 milliards de dollars contre Jump Trading. Cette affaire rouvre en grand les plaies jamais vraiment cicatrisées de l’effondrement de Terra en mai 2022, l’un des plus grands désastres de l’histoire des cryptomonnaies.
Une plainte à 4 milliards qui relance le dossier Terra
Le dépôt de plainte a eu lieu devant le tribunal fédéral du district nord de l’Illinois. Todd Snyder, administrateur du plan de faillite de Terraform Labs, cible directement Jump Trading LLC, son cofondateur William DiSomma et l’ancien président de Jump Crypto, Kanav Kariya.
Les accusations sont lourdes : manipulation de marché, accords secrets avec Do Kwon dès 2019, achat massif de LUNA à prix cassés, intervention dissimulée pour restaurer le peg de TerraUSD en 2021, et enfin, profits colossaux réalisés au détriment des investisseurs ordinaires.
Cette procédure pourrait bien devenir le chaînon manquant qui explique comment Terra a pu sembler si solide pendant si longtemps… avant de s’effondrer brutalement et d’effacer plus de 40 milliards de dollars de valeur.
Les accords secrets dès 2019
Tout aurait commencé bien avant que Terra ne devienne un nom connu du grand public. Selon la plainte, Jump Trading aurait conclu des arrangements confidentiels avec Do Kwon dès 2019. Ces accords auraient permis à la firme de trading d’acquérir d’importantes quantités de tokens LUNA à des prix largement inférieurs au marché.
Pendant ce temps, Jump se présentait publiquement comme un acteur neutre, un simple market maker. Cette double posture aurait permis à l’entreprise de profiter pleinement de la montée en puissance de l’écosystème Terra sans jamais révéler ses véritables intérêts.
En échange, Jump aurait apporté un soutien crucial lors des moments de crise, notamment lors du premier dépeg majeur de TerraUSD.
L’intervention cachée de mai 2021
En mai 2021, TerraUSD (UST) perd brièvement son ancrage au dollar. La panique commence à gagner les investisseurs. À l’époque, tout le monde attribue la rapide restauration du peg à la robustesse du mécanisme algorithmique conçu par Terraform Labs.
Mais selon la plainte, la réalité serait toute autre. Jump Trading serait intervenu massivement en achetant des quantités considérables d’UST pour ramener artificiellement le cours à 1 dollar. Cette opération aurait été menée dans l’ombre, sans aucune communication publique.
Ce sauvetage discret a renforcé la confiance des investisseurs dans le système tout en aidant Terraform à éviter un examen réglementaire prématuré.
Cette action aurait non seulement sauvé Terra à court terme, mais aussi permis à Jump de consolider sa position privilégiée au sein de l’écosystème.
Des profits colossaux grâce à la levée des restrictions
Autre accusation majeure : Jump aurait obtenu de Terraform Labs la suppression des périodes de vesting sur ses tokens LUNA. Cela lui aurait permis de vendre rapidement ses positions à des prix très élevés, générant des profits estimés à près d’un milliard de dollars.
Ces ventes massives auraient eu lieu alors que le cours de LUNA atteignait des sommets historiques, juste avant l’effondrement final. Pendant ce temps, les investisseurs particuliers, eux, restaient souvent bloqués par ces mêmes restrictions de vesting.
Cette asymétrie d’information et de traitement constitue l’un des piliers de l’accusation de manipulation et d’enrichissement indu.
Le transfert mystérieux de bitcoins en 2022
Lors de la phase terminale de l’effondrement de Terra en mai 2022, la Luna Foundation Guard (LFG) a transféré près de 50 000 bitcoins vers des adresses associées à Jump Trading. La plainte souligne l’absence totale d’accord formel encadrant cette opération.
Ces transferts massifs étaient censés défendre le peg d’UST, mais ils se sont révélés inefficaces. Pire : ils auraient surtout bénéficié à Jump, qui aurait pu utiliser ces BTC comme couverture ou pour d’autres opérations spéculatives.
Cet épisode illustre, selon l’administrateur, une forme de self-dealing particulièrement grave dans un contexte de crise extrême.
Les principaux griefs retenus contre Jump Trading
- Accords secrets avec Do Kwon dès 2019 pour acheter du LUNA à prix réduit
- Intervention massive et dissimulée pour restaurer le peg d’UST en mai 2021
- Obtention de la levée des restrictions de vesting sur ses tokens
- Ventes massives générant près d’un milliard de dollars de profits
- Réception de 50 000 BTC de la LFG sans accord formel en mai 2022
- Présentation publique trompeuse comme acteur neutre
Le contexte judiciaire plus large
Cette nouvelle plainte s’inscrit dans une série de procédures liées à l’affaire Terra. Récemment, une filiale de Jump a accepté de payer 123 millions de dollars à la SEC pour régler des accusations portant sur des déclarations trompeuses concernant la stabilité de TerraUSD.
Terraform Labs, de son côté, a conclu un accord à environ 4,5 milliards de dollars avec les autorités américaines, accord intégré dans sa procédure de faillite. Do Kwon, fondateur de l’entreprise, a été condamné à 15 ans de prison pour fraude dans son pays d’origine.
William DiSomma et Kanav Kariya, nommément cités dans la plainte, ont déjà invoqué leur droit au silence (Fifth Amendment) lors d’enquêtes précédentes. Kanav Kariya a quitté Jump l’année dernière.
Pourquoi cette affaire pourrait tout changer
Au-delà de la somme astronomique réclamée, c’est surtout la phase de discovery qui fait trembler les observateurs. Si le dossier avance, des milliers de communications internes, des historiques de trading et des contrats confidentiels pourraient être rendus publics.
Ces éléments pourraient profondément modifier la compréhension collective de l’effondrement de Terra. Ils pourraient aussi mettre en lumière le rôle souvent opaque des grandes firmes de trading traditionnel dans l’écosystème crypto.
De nombreuses questions resteraient alors en suspens : combien d’autres projets ont bénéficié (ou souffert) d’interventions similaires ? Les stablecoins algorithmiques sont-ils viables sans soutien externe massif ? Les régulateurs vont-ils renforcer leur surveillance des market makers ?
L’effondrement de Terra n’était pas seulement une faillite technique, mais aussi le résultat d’arrangements opaques entre acteurs majeurs.
Cette affaire rappelle cruellement que derrière les discours décentralisés et les promesses de transparence, des jeux d’influence très classiques peuvent se jouer.
Les leçons à tirer pour l’industrie crypto
L’histoire de Terra et de ses relations présumées avec Jump Trading met en évidence plusieurs failles structurelles du secteur.
D’abord, la dépendance excessive à quelques acteurs majeurs pour maintenir la liquidité et la stabilité. Ensuite, le manque de transparence sur les interventions de market making. Enfin, les risques liés aux incitations mal alignées entre projets et partenaires privilégiés.
Ces éléments soulignent l’urgence d’une régulation plus claire, notamment sur les stablecoins et les pratiques des grandes firmes de trading quantique entrant dans la crypto.
Même si Jump Trading n’a pas encore répondu publiquement à ces accusations, cette procédure risque de marquer un tournant. Elle pourrait inciter d’autres administrateurs de faillite à poursuivre des acteurs tiers ayant profité de situations similaires.
En définitive, l’affaire Terraform Labs contre Jump Trading n’est pas qu’une simple bataille juridique pour 4 milliards de dollars. C’est une fenêtre ouverte sur les coulisses d’un des plus grands scandales crypto, avec des répercussions potentielles durables sur tout l’écosystème.
Restez attentifs : les prochaines étapes de cette procédure risquent de révéler bien plus que ce que nous imaginons aujourd’hui.
