Imaginez un monde où investir dans les cryptomonnaies devient un peu plus accessible pour le grand public, sans pour autant sacrifier la sécurité. En cette fin d’année 2025, l’Autorité des marchés financiers (AMF) en France fait un pas significatif dans cette direction. Cette évolution, discrète mais lourde de sens, pourrait bien marquer un tournant dans la manière dont les produits liés aux cryptoactifs sont proposés aux investisseurs particuliers.
Depuis des années, l’AMF veillait avec une vigilance accrue sur les instruments financiers complexes, imposant souvent des avertissements dissuasifs pour protéger les épargnants non professionnels. Mais l’essor fulgurant des cryptomonnaies et l’entrée en vigueur du règlement MiCA changent la donne. L’autorité adapte désormais sa doctrine pour intégrer cette nouvelle réalité.
Un assouplissement ciblé pour les produits indexés sur crypto
Le 8 décembre 2025, l’AMF a publié une mise à jour de sa doctrine qui retient l’attention de tout l’écosystème crypto en France. Historiquement, tout instrument financier jugé trop complexe, avec un risque de mauvaise compréhension par le client non professionnel, devait comporter un avertissement clair et dissuasif. Cela freinait notamment la commercialisation de produits comme les Exchange-Traded Notes (ETN) indexés sur des cryptoactifs.
Désormais, sous certaines conditions très strictes, ces produits pourront être proposés sans cet avertissement. L’AMF reconnaît que certains cryptoactifs, lorsqu’ils sont encadrés rigoureusement, ne présentent plus ce caractère “inhabituel” qui justifiait auparavant une mise en garde systématique.
Cette décision n’est pas tombée du ciel. Elle s’inscrit directement dans le sillage du règlement européen sur les Marchés de cryptoactifs (MiCA), appliqué depuis fin 2024. MiCA apporte un cadre harmonisé à l’échelle européenne, avec des exigences élevées en matière de transparence et de protection des investisseurs.
Les quatre conditions cumulatives incontournables
Pour bénéficier de cet assouplissement, les produits financiers concernés doivent respecter quatre exigences cumulatives. L’AMF n’a rien laissé au hasard, privilégiant une approche prudente.
Voici les critères définis par l’AMF :
- Conservation sécurisée : Les cryptoactifs sous-jacents doivent être conservés par un prestataire agréé MiCA. Cette obligation garantit une custody professionnelle et réglementée.
- Qualité des actifs : Seuls les cryptoactifs avec une capitalisation boursière d’au moins 10 milliards d’euros et un volume quotidien moyen de 50 millions d’euros (sur 30 jours) sont éligibles. Ils doivent également être négociables sur une plateforme agréée MiCA.
- Structure simple : Pas d’effet de levier ni de composante discrétionnaire. L’exposition doit rester directe et transparente.
- Exposition réglementée : L’accès aux cryptoactifs se fait soit par détention directe par l’émetteur, soit via des titres émis ou garantis par des entités réglementées.
Ces conditions visent à sélectionner uniquement les cryptoactifs les plus établis et liquides. En pratique, cela concerne principalement le Bitcoin et l’Ethereum, qui dominent largement le marché en termes de capitalisation et de volumes.
MiCA au cœur de la nouvelle doctrine
Le règlement MiCA représente une révolution pour le secteur crypto en Europe. En imposant des agréments stricts aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN avancés), il crée un environnement plus sûr et plus professionnel.
L’AMF s’aligne explicitement sur ce cadre. En exigeant que la conservation et le trading des cryptoactifs sous-jacents passent par des entités agréées MiCA, l’autorité française renforce la protection sans freiner l’innovation.
« Cette adaptation permet de concilier l’intérêt croissant des investisseurs pour les cryptomonnaies avec une protection renforcée des épargnants. »
– Inspiration doctrine AMF, décembre 2025
Cette citation résume parfaitement l’esprit de la mesure : ouvrir la porte, mais avec des garde-fous solides.
Des produits toujours considérés comme complexes
Attention, cet assouplissement ne signifie pas que ces instruments deviennent soudainement “simples”. L’AMF le rappelle clairement : les titres de créance indexés sur cryptoactifs restent des produits complexes.
Ils tombent sous le régime MiFID II, la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers. Cela impose aux distributeurs et conseillers des obligations renforcées : définition d’un marché cible précis, évaluation de l’adéquation avec le profil de l’investisseur, etc.
En d’autres termes, même sans avertissement dissuasif obligatoire, ces produits ne seront pas proposés à n’importe qui. Les professionnels devront toujours s’assurer que le client comprend les risques, notamment la forte volatilité inhérente aux cryptoactifs.
Une vigilance qui reste de mise
L’AMF ne baisse pas la garde. Malgré cette évolution, elle insiste sur le caractère risqué de ces investissements. Les fluctuations de prix peuvent être brutales, et ces produits ne conviennent pas à tous les profils.
Un bilan est d’ailleurs prévu au premier semestre 2027. L’autorité évaluera alors l’impact de cet assouplissement et pourra, si nécessaire, ajuster sa position.
Cette approche pragmatique montre une maturité réglementaire. Plutôt que de bloquer systématiquement l’innovation, l’AMF choisit une surveillance active et adaptative.
Contexte européen et concurrence entre pays
La France n’est pas isolée dans cette évolution. MiCA crée un terrain de jeu nivelé à l’échelle européenne. Des pays comme l’Allemagne ou le Luxembourg, déjà avancés sur certains aspects, pourraient voir la France rattraper son retard en attractivité.
Cet assouplissement pourrait encourager plus d’émetteurs à proposer des ETN ou produits structurés sur crypto en France, bénéficiant aux investisseurs locaux qui auront accès à une offre plus diversifiée, tout en restant dans un cadre protégé.
À l’inverse, une doctrine trop stricte aurait pu pousser les investisseurs français vers des plateformes étrangères moins régulées, augmentant paradoxalement les risques.
Quels cryptoactifs concernés en pratique ?
Avec les seuils fixés (10 milliards de capitalisation et 50 millions de volume quotidien moyen), le champ est restreint. Bitcoin domine largement, suivi par Ethereum. Quelques stablecoins majeurs pourraient aussi entrer dans les critères si leurs volumes le permettent.
La plupart des altcoins, même prometteurs, resteront exclus de cet assouplissement. L’AMF privilégie clairement la stabilité et la liquidité pour minimiser les risques de mauvaise appréhension.
Exemples probables de cryptoactifs éligibles :
- Bitcoin (BTC) – Leader incontesté
- Ethereum (ETH) – Deuxième par capitalisation
- Certaines grandes stablecoins adossées à l’euro ou au dollar, si volumes suffisants
Impact sur les investisseurs particuliers
Pour l’investisseur moyen, cette nouvelle doctrine change potentiellement la donne. Des produits auparavant inaccessibles sans avertissement fort pourraient apparaître dans les offres des banques ou courtiers français.
Cela ne signifie pas une exposition directe aux cryptoactifs, mais une alternative réglementée pour ceux qui souhaitent diversifier leur portefeuille sans passer par des exchanges purement crypto.
Toutefois, la complexité reste. Ces instruments ne remplacent pas une détention directe, et les frais peuvent être plus élevés. Ils offrent en revanche une intégration plus fluide dans des enveloppes fiscales classiques comme le PEA ou l’assurance-vie, selon les structures.
Comparaison avec la situation précédente
Avant cette adaptation, la simple indexation sur un cryptoactif suffisait souvent à déclencher l’avertissement dissuasif. Les émetteurs évitaient parfois le marché français ou structuraient différemment leurs produits.
Aujourd’hui, avec MiCA en place, l’AMF considère que le cadre est suffisamment robuste pour lever cette barrière, à condition que toutes les safeguards soient respectées.
C’est une reconnaissance implicite de la maturité croissante du marché crypto, tout en maintenant une protection élevée.
Perspectives pour 2026 et au-delà
Cette évolution n’est qu’une étape. Avec le bilan prévu en 2027, l’AMF pourrait aller plus loin si les retours sont positifs. On peut imaginer un élargissement progressif à d’autres cryptoactifs ou structures.
En parallèle, l’harmonisation européenne via MiCA continuera d’influencer les doctrines nationales. La France, souvent vue comme prudente, montre ici qu’elle sait s’adapter sans compromettre sa mission de protection.
Pour le secteur crypto français, c’est un signal encourageant. Les entreprises régulées pourront innover plus librement, attirant potentiellement plus de talents et d’investissements.
Cette décision de l’AMF illustre parfaitement le délicat équilibre que doivent trouver les régulateurs : favoriser l’innovation tout en protégeant le public. En s’appuyant sur MiCA et en posant des conditions claires, la France avance résolument vers une intégration plus mature des cryptoactifs dans son paysage financier. Une chose est sûre : le secteur continue d’évoluer rapidement, et cette adaptation n’est probablement que le début d’une série de changements à venir.
