Imaginez que vous ayez investi des millions dans des machines ultra-spécialisées, que vous payiez l’électricité au prix fort et que, du jour au lendemain, le réseau vous dise : « Désolé, il faut travailler plus pour gagner la même chose. » C’est exactement ce qui attend les mineurs Bitcoin dans moins de deux semaines.
Après un répit de quelques jours, la difficulté du minage Bitcoin s’apprête à repartir à la hausse. Et cette fois, le timing est particulièrement cruel.
Une hausse modérée… mais au pire moment
Le prochain ajustement est programmé au bloc 927 360, prévu autour du 11 décembre 2025. Selon les estimations de CoinWarz, la difficulté devrait passer de 149,30 billions à environ 149,80 billions. Une augmentation de seulement 0,34 %.
Sur le papier, ça paraît anodin. En réalité, c’est la goutte d’eau qui pourrait faire déborder un vase déjà bien rempli.
Pour comprendre pourquoi, il faut revenir à l’ajustement précédent. Le 28 novembre, la difficulté avait baissé de 152,2 à 149,3 billions, offrant un bol d’air bienvenu. Le temps moyen par bloc était redescendu à 9 minutes 97, presque pile dans la cible des 10 minutes fixée par Satoshi Nakamoto.
Mais ce répit aura duré moins de quinze jours.
Ce que cela signifie concrètement pour les mineurs :
- Plus de calculs nécessaires pour valider le même bloc
- Moins de Bitcoin minés par jour à puissance égale
- Marges qui fondent encore un peu plus
Le hashprice au bord du gouffre
Le hashprice, cet indicateur qui mesure la rémunération quotidienne par pétashash, oscille actuellement autour de 38,3 dollars selon Hashrate Index. C’est mieux que le point bas à 34,8 dollars touché le 21 novembre… mais toujours catastrophique.
Pour rappel, la barre symbolique des 40 dollars est considérée comme le seuil de rentabilité pour la majorité des machines récentes (Antminer S21, Whatsminer M60S, etc.). En dessous, certains mineurs préfèrent éteindre plutôt que de perdre de l’argent chaque jour.
« Quand le hashprice descend sous 40 $, on voit déjà des fermes entières se mettre en veille. Une nouvelle hausse de difficulté, même faible, peut déclencher une capitulation en chaîne. »
Un analyste de Luxor Mining
Et pourtant, le hashrate global du réseau reste étonnamment résilient, autour de 700 EH/s. Cela signifie qu’une partie des mineurs continue de tourner à perte… pour l’instant.
Bitmain dans le viseur américain
Comme si cela ne suffisait pas, le Department of Homeland Security a ouvert une enquête sur Bitmain, le géant chinois qui contrôle encore environ 70-80 % du marché des machines ASIC.
Le motif ? Vérifier si les Antminers intègrent des portes dérobées permettant un contrôle à distance ou de l’espionnage. Une crainte déjà exprimée publiquement par Elizabeth Warren dès 2024.
Si l’enquête aboutit à des sanctions ou à des restrictions d’importation, le marché américain – qui représente une part énorme de la puissance de calcul mondiale depuis l’exode chinois de 2021 – pourrait se retrouver privé de nouvelles machines pendant des mois.
Conséquence : les prix des ASIC d’occasion risquent de flamber, rendant encore plus difficile le renouvellement des fermes vieillissantes.
L’électricité, ce tueur silencieux
Dans certaines régions des États-Unis (Texas, Géorgie), le prix du mégawattheure a dépassé les 100 dollars en heure de pointe cet hiver. Au Kazakhstan, les coupures de courant se multiplient. En Iran, le gouvernement rationne à nouveau l’électricité aux mineurs.
Partout, le principal poste de coût explose au moment où les revenus s’effritent.
Exemples de coûts réels (estimations décembre 2025) :
- Texas (ERCOT) : 0,09 à 0,12 $/kWh en moyenne
- Québec (contrats historiques) : 0,04 $/kWh (mais plus de nouveaux contrats)
- Sibérie (accès illégal) : 0,02 $/kWh (mais risques juridiques élevés)
- Paraguay (Itaipu) : 0,03 $/kWh (capacité saturée)
Qui va craquer en premier ?
Historiquement, les périodes de hashprice très bas déclenchent deux phénomènes :
- Les petits mineurs « hosting » chez des hébergeurs américains jettent l’éponge et revendent leurs machines
- Les grandes fermes cotées (Marathon, Riot, CleanSpark) absorbent le hashrate à bas prix
On assiste déjà à une concentration historique : les dix plus gros pools contrôlent désormais plus de 85 % du hashrate. Foundry USA et AntPool se disputent la première place chaque semaine.
Pour les mineurs indépendants ou les PME, la fenêtre de survie se rétrécit dangereusement.
Et le prix du Bitcoin dans tout ça ?
Paradoxalement, le cours du Bitcoin reste solide au-dessus des 90 000 dollars. Mais les mineurs ne profitent presque plus de cette hausse : entre la dilution post-halving (avril 2024) et la concurrence féroce, la récompense par unité de puissance n’a jamais été aussi faible.
Pour qu’une vraie détente intervienne, il faudrait soit :
- Un rebond du hashprice au-dessus de 60 $ (peu probable sans explosion du cours BTC)
- Une baisse massive du hashrate (capitulation générale)
- L’arrivée de nouveaux mineurs très efficaces (S21 Pro, SealMiner A2)… mais qui accentuerait encore la difficulté
On tourne en rond.
Ce qui pourrait changer la donne
Quelques scénarios plausibles d’ici la fin de l’année :
- Scénario neutre : Le hashrate baisse de 15-20 % après capitulation, la difficulté redescend, équilibre précaire maintenu.
- Scénario baissier : Sanctions sur Bitmain + hiver rigoureux aux USA = chute du hashrate de 40 %, panique sur les actions minières cotées.
Pour l’instant, les mineurs retiennent leur souffle. Le 11 décembre ne sera qu’une étape. La vraie question est de savoir jusqu’à quand les moins solides pourront tenir.
Une chose est sûre : le Bitcoin continue de prouver sa résilience. Même quand miner devient presque impossible, le réseau, lui, tourne toujours à 100 %.
Et c’est peut-être ça, finalement, la vraie force de ce protocole vieux de seize ans.
