Imaginez : vous lancez enfin votre token après deux ans de travail acharné. L’équipe est soudée, la communauté bouillonne, les VC ont mis quelques millions. Le jour J, le prix explose de 10× en quelques heures. Tout le monde crie au moon. Et puis, sans prévenir, un mur de vente de 38 millions de dollars fait tout s’écrouler en 30 minutes. C’est exactement ce qui est arrivé au token MOVE cette année. Et le pire ? Ce n’était ni un hack, ni une attaque de baleine ordinaire. C’était le market maker qui respectait simplement… son contrat.
Cette histoire n’a rien d’exceptionnel. Elle se répète des centaines de fois chaque mois dans l’ombre. Le market making, ce service censé apporter de la liquidité et de la stabilité, est devenu l’une des armes les plus destructrices de l’écosystème crypto. Et personne n’en parle vraiment.
Le market making actuel est une machine à broyer les projets
Derrière les beaux discours sur la « liquidité profonde » et les « spreads serrés » se cache une réalité bien plus sombre. Les market makers ont transformé leur métier en un business modèle quasi-parfaitement risqueless… pour eux. Et c’est vous, fondateur ou investisseur retail, qui payez la facture.
Le contrat « prêt + call option » : l’arme fatale déguisée en partenariat
Voici comment ça fonctionne en pratique, étape par étape.
Vous avez besoin de liquidité pour votre token tout neuf. Votre trésorerie est vide après les audits, les KYC, les frais juridiques offshore. Le market maker vous propose l’offre standard du marché : « On vous prête rien, vous nous prêtez vos tokens, on fait le marché, et si jamais le prix monte beaucoup, on a le droit de vous les racheter en cash à un prix fixe. » Sur le papier, tout le monde gagne.
En réalité, les termes sont rédigés par… le market maker lui-même. Et ils sont terrifiants :
- Strike price des options souvent à 5× ou 10× le prix de lancement
- Vesting back-loaded sur 12-24 mois
- Aucune obligation réelle de soutenir le prix
- Droit total de shorter ou de hedger comme bon leur semble
Résultat ? Le market maker sait dès la signature que ces options ont très peu de chances d’être in-the-money. Il vend donc immédiatement une partie des tokens prêtés pour se couvrir. Parfois même plus que ce qu’il a reçu. C’est légal. C’est dans le contrat que vous avez signé.
Ils nous ont dit : « Ne vous inquiétez pas, on est là pour soutenir le projet ». Trois semaines après le lancement, ils avaient déjà vendu 40 % du flottant. Quand on a protesté, ils nous ont montré le contrat : tout était autorisé.
Un fondateur ayant requis l’anonymat, 2025
Pourquoi les fondateurs signent quand même ?
La réponse est brutale : ils n’ont pas le choix.
Le modèle alternatif – le retainer avec paiement en stablecoins – nécessite 500 000 à 2 millions de dollars cash pour 3-6 mois de liquidité correcte. La très grande majorité des équipes n’a plus un centime après le raise. Elles sont donc obligées d’accepter le deal « prêt de tokens ».
Les deux modèles de market making en 2025
| Retainer (stablecoins) | Prêt + call option | |
| Coût pour le projet | 500k-2M$ cash | 0$ cash |
| Alignement d’intérêts | Élevé | Quasi nul |
| Risque de dump massif | Faible | Très élevé |
| Adopté par | <5 % des projets | >90 % des projets |
Les conséquences concrètes : des projets viables transformés en cadavres
Prenez le cas Movement (MOVE). Token prometteur, technologie intéressante, communauté solide. Le market maker a reçu des tokens à 0,05 $. Options avec strike à 0,50 $. Quand le prix a atteint 0,65 $, le market maker a purement et simplement vendu 38 millions de dollars de tokens en quelques heures pour couvrir ses positions. Le prix s’est effondré à 0,053 $. Coinbase a delisté. Binance a gelé les profits. Fin de l’histoire.
Mais MOVE n’est que la partie visible de l’iceberg. En 2025, plus de 1,8 million de tokens ont été lancés. Combien sont encore au-dessus de leur prix de listing trois mois après ? Moins de 3 %.
Et quand on creuse, on retrouve presque toujours le même schéma : un market maker qui a vendu plus de tokens qu’il n’en avait reçu, grâce aux clauses de hedging illimitées.
L’asymétrie d’information : le vrai poison
Le pire n’est même pas le contrat lui-même. C’est que les deux parties ne jouent pas dans la même catégorie.
- Le market maker : ex-trader dérivés de chez Jane Street ou Citadel, 15 ans d’expérience sur les options exotiques
- Le fondateur : souvent un développeur brillant de 27 ans qui découvre le mot « delta hedging » au moment de signer
Le market maker sait exactement comment va se comporter son portefeuille d’options dans tous les scénarios de prix. Le fondateur, lui, croit dur comme fer que « si le projet est bon, le prix montera et tout le monde sera content ».
Cette asymétrie est tellement énorme qu’on pourrait presque parler d’escroquerie légale.
Vers des solutions concrètes : comment sortir de l’impasse ?
Il est temps que l’écosystème prenne le problème à bras-le-corps. Voici les pistes sérieuses qui émergent :
- Divulgation obligatoire : strike prices, vesting, politiques de hedging publiés on-chain ou sur le site du projet
- Outils open-source de simulation : pour que chaque fondateur puisse voir ce qui arrive à son token si le market maker hedge à 100 %
- Market makers communautaires : des pools de liquidité gérés par les holders eux-mêmes (ex : modèles type Balancer ou Uniswap v4)
- Retainer fractionné : des fonds spécialisés qui avancent les stablecoins contre une part du raise
Certaines équipes commencent à montrer l’exemple. En 2025, plusieurs projets refusent désormais tout contrat contenant des call options non-symétriques. Ils préfèrent lancer avec moins de liquidité mais garder le contrôle. Et surprise : certains s’en sortent très bien.
Le jour où on a décidé de dire non aux call options, tout le monde nous a pris pour des fous. Six mois plus tard, on est dans le top 50 des tokens par capitalisation réelle. Et on dort la nuit.
Fondateur d’un projet ayant passé 100M$ de MC en 2025
Ce que vous pouvez faire dès aujourd’hui
Si vous êtes investisseur : demandez systématiquement les termes du market making avant d’acheter un token. S’ils refusent de les publier, passez votre chemin.
Si vous êtes fondateur : refusez tout contrat que vous ne comprenez pas à 100 %. Payez un avocat spécialisé en dérivés crypto (oui, ça existe maintenant). Votre projet vous en sera éternellement reconnaissant.
Le marché crypto a beau se vanter d’être décentralisé, la liquidité reste aujourd’hui le point le plus centralisé et le plus dangereux de tout l’écosystème. Tant que ces contrats opaques existeront, des milliers de projets solides continueront de mourir pour enrichir une poignée d’intermédiaires.
Il est temps que ça change.
Et ça commence par en parler. Sans filtre.
