Imaginez la scène : le Bitcoin vient de perdre plus de 20 % en quelques semaines, les portefeuilles pleurent, et soudain un prix Nobel d’économie sort du bois pour dire calmement : « Je vous l’avais bien dit, c’est la faute de Trump. »
C’est exactement ce qui s’est passé fin novembre 2025. Paul Krugman, lauréat 2008 et chroniqueur star du New York Times, a publié un billet assassin sur Substack dans lequel il affirme sans trembler que la correction actuelle du BTC n’est rien d’autre que la conséquence directe de l’affaiblissement politique de Donald Trump. Rien que ça.
Alors info ou intox ? Simple règlement de comptes idéologique ou analyse qui tient la route ? Accrochez-vous, on va tout décortiquer.
Paul Krugman recharge son fusil contre Bitcoin… et contre Trump
Paul Krugman n’a jamais caché son mépris pour les cryptomonnaies. Depuis 2017, il répète inlassablement que Bitcoin est une bulle, un Ponzi moderne, un outil pour blanchir de l’argent et arnaquer les petits porteurs. Rien de nouveau sous le soleil, donc.
Mais cette fois, il ajoute une couche politique explosive : selon lui, la flambée historique du Bitcoin post-élection américaine (qui a frôlé les 109 000 $) n’était rien d’autre qu’un pari sur le « trumpisme ». Et la correction actuelle ? La simple traduction marché de la perte d’influence du président.
« Le commerce de Trump s’est désintégré, et avec lui le prix du Bitcoin. »
Paul Krugman, Substack, novembre 2025
Autrement dit : sans Trump au sommet de sa forme, plus de rêve de réserve stratégique nationale de Bitcoin, plus de retraite 401(k) en BTC, plus de dérégulation massive… et donc plus de carburant spéculatif pour la crypto-roi.
Les arguments de Krugman passés au crible
Reprenons point par point ce que dit le Nobel :
- Bitcoin n’a aucun fondamental économique réel (ni monnaie d’usage, ni couverture inflation, ni réserve de valeur fiable).
- Son prix est porté par une dynamique quasi-religieuse et par un environnement politique favorable.
- Les annonces pro-crypto de Trump (réserve fédérale BTC, autorisation IRA crypto, etc.) ont dopé le marché.
- Dès que Trump montre des signes de faiblesse ou que ses projets coinent au Congrès, le BTC plonge.
Sur le papier, certains éléments tiennent la route. Oui, le Bitcoin a explosé après la victoire de Trump. Oui, les ETF spot ont enregistré des records d’entrées quand tout le monde pensait que la SEC allait devenir un jardin d’enfants pour crypto. Oui, le simple rumor d’une réserve stratégique a fait +15 % en 48h.
Mais réduire toute la correction à « Trump faiblit donc Bitcoin baisse », c’est oublier un peu vite le reste du tableau.
Ce que Krugman oublie (volontairement ?) de dire
Les facteurs macro-économiques pèsent bien plus lourd que la forme de Trump
- La Fed a clairement signalé qu’elle ne baisserait pas les taux en décembre 2025, contrairement aux espoirs du marché.
- Le dollar index (DXY) est reparti à la hausse, écrasant tous les actifs risqués (BTC, Nasdaq, or compris).
- Les liquidations en cascade sur les positions longues ont amplifié le mouvement : plus de 2,2 milliards $ évaporés en 24h à un moment.
- Les mineurs chinois reviennent en force et vendent massivement leurs BTC pour financer leurs nouvelles installations.
- Les sorties nettes sur les ETF Bitcoin US ont dépassé le milliard sur une semaine, surtout chez les investisseurs particuliers (JPMorgan).
En clair : même si Trump dansait la macarena tous les matins à la Maison-Blanche, ces vents contraires macro auraient fait plier le marché.
Le « Trump Trade » existe-t-il vraiment ?
Regardons les chiffres froidement.
Depuis l’investiture de Trump en janvier 2025 :
- Bitcoin : +380 % (de 21 000 $ à son ATH à 109 000 $)
- Nasdaq : +28 %
- S&P 500 : +24 %
- Or : +35 %
- Actions « Trump Trade » classiques (banques, énergie, défense) : +15 à 40 %
Le Bitcoin a clairement surperformé tous les autres actifs « pro-Trump ». Si le BTC n’était qu’un proxy du trumpisme, il aurait dû suivre la même trajectoire que Tesla ou les valeurs pétrolières. Ce n’est pas le cas.
Autre preuve : pendant la même période, les meme-coins ultra-spéculatifs (DOGE, PEPE, etc.) ont fait x10 ou x20. Personne ne prétend sérieusement que Trump a promis une réserve stratégique en Shiba Inu.
La réponse cinglante de la Maison-Blanche
Kush Desai, porte-parole de l’administration Trump, n’a pas mâché ses mots :
« Seul un imbécile ignorerait les politiques massivement pro-crypto que nous mettons en œuvre et attribuerait les fluctuations de prix à des ragots sur la santé politique du président. »
Kush Desai, novembre 2025
Et il n’a pas tort. À l’heure où j’écris ces lignes :
- Le projet de réserve stratégique Bitcoin est toujours à l’étude (même si ralenti par le Congrès).
- La SEC de Paul Atkins (pro-crypto) vient d’approuver les options sur ETF Solana.
- Le Texas continue d’acheter des ETF Bitcoin pour ses fonds publics.
- Michael Saylor et Strategy poussent leur nouveau « Bitcoin Treasury Company Standard » auprès des entreprises du Fortune 500.
L’environnement réglementaire n’a jamais été aussi favorable. Dire que « Trump faiblit » est donc au minimum prématuré.
Pourquoi Krugman a (quand même) un peu raison
Soyons honnêtes : une partie du pump post-électoral était clairement narrative. Les fameux « Trump coins », les tweets d’Elon Musk, les rumeurs de pardon présidentiel pour Ross Ulbricht… tout ça a participé à l’euphorie.
Lorsque les espoirs de dérégulation immédiate et totale se sont heurtés à la réalité du calendrier législatif américain, une prise de bénéfices massive a eu lieu. C’est classique.
Mais confondre correction saine après euphorie narrative et effondrement du trumpisme, c’est un raccourci intellectuel un peu gros.
Et maintenant ? Le Bitcoin va-t-il continuer à dépendre de Trump ?
À court terme, oui, en partie. Tant que la réserve stratégique reste sur la table, chaque tweet ou déclaration du président fera bouger le marché.
Mais à moyen-long terme, les fondamentaux reprennent le dessus :
- Adoption institutionnelle record (BlackRock, Fidelity, États souverains).
- Halving 2024 qui réduit l’offre neuve de 50 % tous les quatre ans.
- Tokenisation des actifs réels (immobilier, obligations) qui explose.
- Intégration croissante dans les systèmes de paiement (Strike, Lightning).
Bitcoin n’a plus besoin d’un seul homme, même s’il s’appelle Donald Trump, pour exister. Il a survécu à l’interdiction chinoise, aux crashs de 2018 et 2022, à la faillite de FTX. Il survivra à une correction de 25 % en 2025.
Conclusion : Krugman 1 – 0 Bitcoin ? Pas si vite
Paul Krugman a raison sur un point : une partie du prix actuel intègre une prime Trump. Cette prime existe, elle est mesurable, et elle peut disparaître temporairement.
Mais affirmer que Bitcoin n’est rien d’autre qu’un pari sur le pouvoir personnel de Donald Trump est une caricature. C’est oublier dix-sept ans d’histoire, des millions d’utilisateurs à travers le monde, et une technologie qui continue de mûrir.
Le jour où le Bitcoin remontera à 100 000 $ – et il y reviendra, l’histoire le montre – Paul Krugman trouvera sans doute une autre explication. Peut-être que ce sera la faute d’Elon Musk cette fois-ci.
En attendant, le débat est lancé. Et quelque part, c’est plutôt sain : plus on parle de Bitcoin, même pour le critiquer, plus il s’impose dans le paysage.
Parce qu’au final, comme le disait déjà Hal Finney en 2009 : « Every day that Bitcoin survives makes it stronger. »
Et ça, aucun Nobel d’économie ne pourra le contredire éternellement.
