Imaginez la scène : en plein cœur de Washington, une poignée de PDG parmi les plus puissants du monde crypto vont bientôt s’asseoir à la même table que les régulateurs américains. Et pas n’importe quels régulateurs : ceux de la CFTC, l’agence qui revendique de plus en plus la supervision des actifs numériques. C’est exactement ce qui se prépare en ce moment même, et ça pourrait bien redessiner complètement la carte réglementaire des cryptomonnaies aux États-Unis.
Ce mardi 26 novembre 2025, la Commodity Futures Trading Commission a officiellement ouvert les candidatures pour son tout nouveau CEO Innovation Council. Objectif affiché : faire entrer les voix les plus influentes de l’industrie directement dans le processus décisionnel sur la crypto, les marchés de prédiction et l’évolution des produits dérivés. Et le timing est tout sauf anodin.
Un Conseil taillé pour l’ère Trump 2.0
Caroline Pham, la commissaire par intérim qui dirige actuellement seule la CFTC, n’a pas caché son ambition : « Nous devons être prêts à courir dès le premier jour ». Traduction : l’agence anticipe une extension massive de ses pouvoirs sous la nouvelle administration Trump, notamment avec l’arrivée probable de Michael Selig à sa tête.
« La CFTC est prête à accomplir sa mission sur des marchés et produits élargis, y compris la crypto et les actifs numériques, tout en protégeant tous les participants. »
Caroline Pham, commissaire par intérim de la CFTC
Ce conseil ne sort pas de nulle part. Il s’inscrit dans une longue série d’initiatives : Crypto Sprints, forums publics, discussions avec le Congrès sur le Digital Asset Market Structure Bill… Mais cette fois, la CFTC passe à la vitesse supérieure en créant un organe consultatif composé exclusivement de PDG et dirigeants de haut niveau.
Pourquoi maintenant ? Le calendrier parle de lui-même
Les nominations ferment le 8 décembre 2025. Autrement dit : juste avant que le Sénat ne confirme (ou non) Michael Selig comme nouveau président de la CFTC. Le message est clair : l’agence veut avoir son conseil prêt à fonctionner dès janvier 2026, jour où la nouvelle administration prendra officiellement ses fonctions.
Et ce n’est pas un détail. Michael Selig, actuellement à la SEC, s’est montré particulièrement offensif lors de son audition au Sénat la semaine dernière. Il a qualifié la présence réglementaire sur les marchés spot de commodities numériques d’« absolument vitale » pour protéger les consommateurs et garantir des conditions de trading ordonnées.
Les grandes lignes du CEO Innovation Council
- Candidatures ouvertes jusqu’au 8 décembre 2025
- Réservé aux PDG et dirigeants seniors du secteur
- Mission : conseiller sur les actifs numériques, l’innovation boursière et la structure des marchés dérivés
- Focus particulier sur la crypto et les marchés de prédiction
- Signal fort : la CFTC considère ces domaines comme relevant de sa juridiction
La guerre CFTC vs SEC entre dans une nouvelle phase
Depuis des années, les deux grandes agences financières américaines se disputent la supervision des cryptomonnaies. La SEC de Gary Gensler considère la plupart des tokens comme des titres (securities). La CFTC, elle, défend que Bitcoin, Ethereum et d’autres sont des commodities – donc sous sa coupe.
Avec l’arrivée probable de Michael Selig, ancien de la SEC mais nommé par Trump à la tête de la CFTC, ce bras de fer pourrait prendre une tournure inattendue. Selig a déjà montré qu’il était prêt à défendre une présence forte de la CFTC sur les marchés spot de commodities numériques – un terrain que la SEC revendiquait jusqu’ici presque exclusivement.
Le CEO Innovation Council apparaît alors comme une arme stratégique : en intégrant directement les leaders de l’industrie, la CFTC se positionne comme l’interlocuteur légitime et pragmatique du secteur crypto.
Qui va siéger dans ce conseil ultra-puissant ?
La question brûle toutes les lèvres dans les couloirs de Washington et de San Francisco. Officiellement, aucune liste n’a fuité. Mais les paris vont bon train.
On imagine mal Brian Armstrong (Coinbase), Michael Saylor (MicroStrategy), les jumeaux Winklevoss (Gemini) ou encore Sam Bankman-Fried… euh non, lui c’est fini. Plus sérieusement, des figures comme Brad Garlinghouse (Ripple), Charles Hoskinson (Cardano) ou même des représentants de Kraken, Binance.US ou des géants de la finance traditionnelle désormais très impliqués dans la crypto (Fidelity, BlackRock ?) ont toutes les chances d’être approchés.
Les plateformes de prédiction comme Polymarket, Kalshi ou PredictIt seront également dans le viseur, surtout après l’explosion d’intérêt pendant la campagne présidentielle américaine.
Ce que ça change concrètement pour l’industrie
Beaucoup plus qu’un simple comité consultatif. Ce conseil pourrait :
- Accélérer l’autorisation des stablecoins comme collatéral dans les marchés dérivés (un sujet déjà sur la table)
- Influencer directement la rédaction du futur Digital Asset Market Structure Act
- Définir les contours de la régulation des marchés de prédiction (élections, événements sportifs, climat…)
- Créer un canal privilégié entre l’industrie et le régulateur, court-circuitant partiellement le Congrès
- Donner à la CFTC un avantage décisif face à la SEC dans la bataille juridictionnelle
En clair : les PDG qui décrocheront un siège auront une influence directe sur les règles qui régiront des milliers de milliards de dollars de valeur dans les années à venir.
Un contexte politique explosif
Il faut le rappeler : la CFTC fonctionne actuellement avec une seule commissaire, Caroline Pham, depuis des mois. Une situation inédite qui a paralysé partiellement l’agence. L’arrivée de Selig, si elle est confirmée, marquera la fin de cette période de vacance du pouvoir.
Mais surtout, elle s’inscrit dans une vague pro-crypto très nette de l’administration Trump 2.0. Entre la réserve stratégique Bitcoin du Texas, les déclarations de plus en plus favorables de certains sénateurs, et la volonté affichée de faire des États-Unis la « capitale mondiale de la crypto », tous les voyants sont au vert pour une régulation plus légère… mais surtout plus claire.
« Une présence réglementaire sur les marchés spot de commodities numériques est absolument vitale. »
Michael Selig, audition au Sénat, novembre 2025
Et l’Europe dans tout ça ?
Pendant que les États-Unis avancent leurs pions à vitesse grand V, l’Europe regarde avec une certaine inquiétude. MiCA est entré en application, mais reste très prudent sur les dérivés crypto et les marchés de prédiction. Résultat : de nombreux acteurs envisagent sérieusement de déplacer leurs activités réglementées aux USA si la CFTC parvient à créer un cadre attractif et pragmatique.
Le CEO Innovation Council pourrait bien être le catalyseur de ce basculement.
Conclusion : le compte à rebours est lancé
Nous sommes à moins de deux semaines de la clôture des candidatures. Dans moins de deux mois, Michael Selig pourrait prendre les rênes de la CFTC. Et dans moins de six mois, ce conseil pourrait commencer à façonner concrètement l’avenir réglementaire des cryptomonnaies aux États-Unis.
Une chose est sûre : ceux qui seront à cette table écriront une partie de l’histoire de la finance décentralisée. Et ceux qui n’y seront pas… risquent de la subir.
Le 8 décembre 2025 marquera peut-être le vrai début de l’ère institutionnelle de la crypto américaine.
