Dans les recoins de la communauté crypto, certains décomptent fébrilement les jours jusqu’à la potentielle libération de Ross Ulbricht, fondateur du tristement célèbre marché noir en ligne Silk Road. Condamné en 2015 à une double peine de prison à vie plus 40 ans sans possibilité de libération conditionnelle, Ulbricht est devenu malgré lui une figure emblématique pour de nombreux crypto-enthousiastes. Mais pourquoi sa cause suscite-t-elle une telle mobilisation ?
Silk Road, bien plus qu’un “eBay de la drogue”
Si pour le grand public, Silk Road n’évoque qu’une plateforme facilitant le trafic de stupéfiants, pour beaucoup dans la communauté crypto, le site incarnait bien plus que cela. Certes, durant ses 2 ans et demi d’existence, Silk Road a généré un chiffre d’affaires estimé entre 200 millions et 1 milliard de dollars, principalement grâce à la vente de drogues. Mais le site se voulait avant tout un espace de liberté, où les idées libertariennes pouvaient s’exprimer loin de la coercition étatique.
Silk Road se targuait d’interdire les biens et services destinés à nuire à ses utilisateurs, comme les armes, les faux papiers ou la pédopornographie. L’ambition était de créer un marché libre mais éthique. Et si la vente de drogues y était tolérée, c’est parce que les partisans de la harm reduction y voyaient un moyen de réduire les risques liés aux substances en fournissant un cadre plus sûr et informé que le trafic de rue.
Ross Ulbricht, idéaliste ou cyber-criminel ?
Difficile de savoir dans quelle mesure Ross Ulbricht partageait cette vision prônée par certains modérateurs du site. Libertarien convaincu, il ambitionnait en créant Silk Road d’utiliser la théorie économique pour “abolir l’usage de la coercition et de l’agression”. Beaucoup le considèrent comme un idéaliste non-violent plus qu’un vulgaire trafiquant. L’influent investisseur Tim Draper a même déclaré : “L’Amérique a besoin de ce type de gars pour dynamiser l’économie.”
Pourtant, Ulbricht a été reconnu coupable et lourdement condamné pour une longue liste de chefs d’accusation, dont association de malfaiteurs en vue de blanchiment d’argent et distribution de stupéfiants. Et ce malgré l’abandon des charges les plus graves initialement retenues contre lui, comme des tentatives d’assassinats commandités.
Les 5 chefs d’accusation retenus contre Ross Ulbricht :
- Trafic de stupéfiants et blanchiment d’argent en bande organisée
- Piratage informatique
- Trafic de faux papiers d’identité
- Blanchiment d’argent
- Distribution de stupéfiants
Une condamnation démesurée ?
Ce que contestent les soutiens d’Ulbricht, c’est le caractère totalement disproportionné de sa peine. Deux perpétuités plus 40 ans pour un délit non violent commis par un homme sans antécédents, voilà qui semble excessif pour avoir uniquement “créé un site web où les gens vendaient des choses que d’autres ne voulaient pas qu’ils vendent”, selon les mots d’Alex Winter, réalisateur du documentaire Deep Web consacré à l’affaire Silk Road.
Nombre d’entre eux pointent aussi du doigt les zones d’ombre entourant sa condamnation. Accusations douteuses finalement abandonnées, refus d’examiner la possible implication d’autres personnes, méthodes discutables du FBI pour localiser les serveurs de Silk Road… Le procès Ulbricht a été entaché de multiples controverses qui font douter de son équité.
Une figure malgré lui
Qu’on le veuille ou non, Ross Ulbricht est devenu un symbole, presque un martyr, pour une frange de la communauté crypto. Ses prises de position libertariennes entrent en résonance avec la philosophie des cypherpunks et des premiers adoptants du Bitcoin. Beaucoup estiment que les 11 années déjà passées derrière les barreaux sont une punition plus que suffisante au regard de ses actes.
C’est pourquoi nombre de crypto-enthousiastes guettent fébrilement une éventuelle grâce présidentielle. Ils y voient non seulement la libération d’un des leurs, mais aussi le début d’une nouvelle ère, où les précurseurs incompris d’hier façonneront le monde de demain. Utopie ou prémonition ? L’avenir nous le dira. En attendant, le compte à rebours continue.