Imaginez un opérateur mobile qui, au lieu de louer éternellement les réseaux de ses concurrents, décide de tout contrôler : les antennes, les fréquences, et surtout les milliers de kilomètres de fibre qui transportent les données jusqu’à vos smartphones. C’est exactement ce qui est en train de se passer en Allemagne, et l’histoire commence par un chèque de 1,3 milliard d’euros.
Jeudi 4 décembre 2025, 1&1, le quatrième opérateur mobile allemand créé de toutes pièces, a annoncé le rachat complet de Versatel, un spécialiste historique de la fibre optique outre-Rhin. Une opération qui ne fait pas la une des journaux crypto… et pourtant, elle pourrait bien préfigurer le futur des infrastructures qui porteront la prochaine génération de blockchains et de finance décentralisée en Europe.
Pourquoi ce rachat change tout pour le paysage télécom allemand
Pour comprendre l’ampleur du coup, il faut remonter quelques années en arrière. Depuis 2014, Versatel appartient déjà au groupe United Internet, la maison-mère de 1&1. Mais jusqu’à présent, les deux entités restaient séparées. Avec cette transaction, 1&1 récupère directement la totalité des actifs fibre, du backhaul mobile et du segment B2B de Versatel.
Concrètement ? Plus de 67 000 kilomètres de fibre optique déployés dans 350 villes allemandes, contre seulement 37 000 km dans 226 villes en 2014. Le réseau dessert aujourd’hui plus de 27 700 sites. C’est tout simplement l’un des plus grands réseaux neutres d’Allemagne.
Les chiffres clés de l’opération
- Prix d’acquisition : 1,3 milliard d’euros
- Longueur du réseau fibre : 67 000 km (+81 % en 10 ans)
- Villes couvertes : 350 (contre 226 en 2014)
- Sites connectés : plus de 27 700
- Prêt existant de 950 millions € conservé par Versatel mais garanti par 1&1
- Ajustement possible du prix jusqu’à ±300 millions € selon performances 2027-2029
Open RAN + fibre propriétaire : le cocktail gagnant
1&1 n’est pas un opérateur comme les autres. Lancé en 2019, il est le premier opérateur mobile européen à avoir déployé un réseau 100 % Open RAN à l’échelle nationale. Fin 2025, les 12 millions de clients de l’opérateur ont déjà migré vers ce réseau nouvelle génération.
Mais un réseau mobile, aussi moderne soit-il, a besoin d’une artère principale pour transporter les données : la fibre optique. Jusqu’à présent, 1&1 louait une partie de ces capacités. Désormais, il possède l’une des plus grandes dorsales du pays.
Posséder à la fois le réseau radio et la fibre qui l’alimente, c’est comme avoir la voiture et l’autoroute. Plus personne ne peut vous ralentir.
Un analyste télécom allemand sous couvert d’anonymat
Pourquoi l’Allemagne accuse un retard historique sur la fibre
Pendant que la France dépassait les 70 % de foyers éligibles à la fibre, l’Allemagne traînait à moins de 25 % il y a encore deux ans. La raison ? Un marché historiquement dominé par Deutsche Telekom et son réseau cuivre ultra-déprécié.
Mais les choses bougent enfin. Le gouvernement allemand a fixé l’objectif de 100 % de fibre d’ici 2030. Les investissements explosent. Et dans ce contexte, celui qui contrôle déjà des dizaines de milliers de kilomètres de fibre a une longueur d’avance colossale.
Les conséquences directes pour le marché B2B et les opérateurs alternatifs
Versatel était jusqu’à présent un opérateur neutre, louant sa fibre à tout le monde : opérateurs mobiles, fournisseurs d’accès internet, grandes entreprises. Avec le rachat par 1&1, la question se pose : le réseau restera-t-il ouvert à la concurrence ?
Rien n’est moins sûr. 1&1 a tout intérêt à privilégier son propre trafic mobile, surtout aux heures de pointe. Les autres opérateurs risquent de voir leurs coûts exploser… ou de devoir investir massivement eux-mêmes.
Et la crypto dans tout ça ?
À première vue, aucune. Et pourtant…
Les blockchains de demain, surtout celles qui viseront des transactions à très haute fréquence (paiements instantanés, DeFi à grande échelle, oracles ultra-rapides), auront besoin d’une chose : une latence réseau proche de zéro.
Un opérateur qui contrôle à la fois le réseau mobile 5G/6G et la fibre qui le relie aux datacenters devient soudain un acteur stratégique pour le Web3 européen. Imaginez des nœuds validators directement connectés en fibre dédiée, des oracles temps réel, des exchanges décentralisés avec exécution quasi-instantanée…
L’Allemagne, souvent moquée pour son retard numérique, pourrait paradoxalement devenir un hub inattendu pour les infrastructures blockchain grâce à ce type de consolidation.
Ce que ça nous dit sur la consolidation européenne
Le mouvement de 1&1 n’est pas isolé. En Espagne, MásMóvil a racheté des réseaux fibre. En Italie, Fastweb et Wind Tre discutent fusion. En France, Free continue d’étendre son empire fibre tout en étant opérateur mobile intégré.
Le modèle gagnant semble clair : celui qui possède à la fois le dernier kilomètre (fibre ou câble) et le réseau mobile national écrase la concurrence sur les prix et la qualité de service.
Et quand on sait que ces mêmes infrastructures serviront demain aux applications blockchain à forte valeur ajoutée (tokenisation d’actifs réels, identité décentralisée, etc.), on comprend mieux pourquoi les grands groupes télécoms se battent aujourd’hui pour chaque kilomètre de fibre.
Conclusion : un mouvement à suivre de très près
Le rachat de Versatel par 1&1 pour 1,3 milliard d’euros n’est pas seulement une opération financière classique. C’est la démonstration qu’en Europe, la guerre des infrastructures est entrée dans une phase décisive.
Celui qui contrôlera la fibre et le spectre mobile dans les cinq prochaines années contrôlera aussi, indirectement, une partie du futur de la finance décentralisée sur le vieux continent.
Et quelque part, derrière ces tuyaux de verre et de lumière, il y a peut-être déjà les premiers bits des blockchains qui changeront la donne.
À suivre. De très près.
