Imaginez que demain matin, l’AMF en France, la BaFin en Allemagne ou la CONSOB en Italie n’aient plus leur mot à dire sur les plateformes crypto qui opèrent chez eux. Tout remonte à Paris… non, pas à Paris, mais à un bureau unique à Paris où siège l’ESMA. C’est exactement ce que prépare la Commission européenne en ce début décembre 2025 : une centralisation totale de la supervision des actifs numériques au niveau européen. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça fait grincer des dents, très fort.

L’ESMA, futur grand shérif unique des cryptomonnaies en Europe

Jeudi 4 décembre 2025, la Commission a sorti l’artillerie lourde. Dans un communiqué qui n’a pas fait les gros titres des médias généralistes mais qui a mis le secteur crypto en ébullition, elle réaffirme son intention d’étendre massivement les pouvoirs de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA). Objectif affiché : faire de l’ESMA le superviseur direct et exclusif des infrastructures de marché les plus sensibles, y compris les gros prestataires de services sur actifs numériques (les fameux PSAN sous MiCA).

Concrètement, cela signifie que les dossiers d’agrément, les enquêtes, les sanctions, tout passerait par l’ESMA. Les autorités nationales deviendraient de simples boîtes aux lettres ou, pire, des sous-traitants.

« Centraliser entièrement l’autorisation et la supervision au sein de l’ESMA nécessiterait d’importantes ressources humaines et financières. Cela ralentirait la prise de décision et l’innovation, en particulier pour les nouveaux acteurs. »

Faustine Fleuret, responsable des affaires publiques de Morpho Labs

Pourquoi maintenant ? Le calendrier caché derrière cette offensive

MiCA est entré en application pleine et entière depuis presque un an. Les premiers bilans tombent : certains pays (France, Allemagne, Irlande, Luxembourg) ont délivré des agréments relativement vite. D’autres traînent des pieds. Bruxelles déteste l’asymétrie. Pour la Commission, laisser 27 régulateurs nationaux garder la main, c’est accepter que l’Union ne parle pas d’une seule voix face aux géants américains ou asiatiques.

Le prétexte officiel ? Renforcer la « compétitivité » du marché unique des capitaux (le grand projet Capital Markets Union cher à Ursula von der Leyen). Le sous-texte réel ? Accélérer la construction d’un superviseur européen aussi puissant que la SEC aux États-Unis.

Les infrastructures visées en priorité par cette centralisation

  • Les grandes plateformes d’échange opérant dans plusieurs pays
  • Les émetteurs de stablecoins système (genre USDC, futur EURC ou euro-stables bancaires)
  • Les dépositaires centraux de crypto-actifs
  • Les opérateurs de systèmes de règlement-livraison sur blockchain

Les petits acteurs vont-ils se faire écraser ?

C’est la grande peur exprimée par quasiment toutes les associations professionnelles. Aujourd’hui, une startup française qui veut un agrément PSAN dépose son dossier à l’AMF. L’autorité connaît le tissu local, les équipes parlent français, les échanges sont rapides. Demain ? Il faudra tout traduire en anglais, envoyer à Paris (siège ESMA), et attendre que des fonctionnaires surchargés, qui traitent déjà les dossiers des 27 pays, daignent regarder le dossier.

Le résultat prévisible : des délais multipliés par trois ou quatre, des coûts de conformité qui explosent, et surtout un effet dissuasif colossal pour les nouvelles pousses.

Une source interne à une fintech parisienne me confiait hier : « On avait prévu de lever 8 millions début 2026 pour lancer notre produit DeFi sous licence MiCA. Si tout passe par l’ESMA, on reporte sine die ou on va à Dubaï. »

Qui soutient ce projet (et pourquoi ça ne surprend personne)

La France, évidemment. Paris rêve depuis toujours d’être la capitale financière de l’Europe post-Brexit et voit dans l’ESMA (dont le siège est dans la tour Ariane à La Défense) un moyen de capter la valeur ajoutée réglementaire.

L’Autriche et l’Italie suivent le mouvement, notamment parce qu’elles veulent durcir encore MiCA sur les services crypto non-européens (les fameux « reverse solicitation » très restrictifs que la France pousse déjà).

À l’inverse, les pays baltes, Malte, le Portugal ou Chypre (qui ont misé sur une régulation attractive) risquent de perdre gros en attractivité.

Comparaison avec les États-Unis : l’ironie est cruelle

Pendant que l’Europe s’acharne à centraliser encore plus, les États-Unis font exactement l’inverse depuis l’élection de Donald Trump. La nouvelle administration pousse la décentralisation réglementaire : la SEC lâche du lest, la CFTC prend le lead sur le spot trading, les États (Texas, Wyoming, Floride) font la course à l’attractivité crypto.

Résultat ? Les capitaux et les talents risquent de fuir encore plus vite vers l’ouest… ou vers Dubaï, Singapour, les Îles Caïmans.

Ce que ça change concrètement pour vous, utilisateur ou investisseur

  • Moins de nouvelles plateformes européennes innovantes
  • Probablement des frais plus élevés (les coûts de conformité se répercutent toujours)
  • Une uniformisation par le bas des services (l’ESMA risque de calquer les règles sur les pays les plus stricts)
  • Un risque systémique plus élevé : un seul point de défaillance réglementaire pour tout le continent

Le calendrier : ça va aller très vite

La proposition doit encore passer au Parlement européen et au Conseil. Mais avec la France, l’Autriche et l’Italie qui poussent, et une Commission en fin de mandat qui veut laisser sa marque, les paris sont ouverts pour une adoption dès le premier semestre 2026.

Ensuite ? L’ESMA aura 12 à 18 mois pour se doter des moyens humains (on parle de plusieurs centaines de postes supplémentaires). Les premiers transferts de supervision pourraient intervenir dès 2027-2028 pour les acteurs les plus systémiques.

Et si c’était le début de la fin pour l’Europe crypto ?

Beaucoup dans le secteur le pensent. Entre DAC8 (fiscalité), MiCA déjà très lourde, et maintenant cette centralisation, l’Europe semble avoir choisi la voie de la forteresse réglementaire plutôt que celle du terrain de jeu innovant.

Le paradoxe est saisissant : pendant que BlackRock, Fidelity et les grandes banques américaines se lancent à fond dans les ETF et les services crypto, l’Europe construit patiemment un mur administratif qui risque d’étouffer ses propres champions.

Comme le résumait hier un VC européen spécialisé crypto : « On avait une chance unique avec MiCA de devenir le hub mondial. On est en train de la transformer en cimetière. »

À suivre de très près. Car si ce texte passe tel quel, il pourrait bien signer l’acte de décès de la plupart des startups crypto européennes qui rêvaient encore de conquérir le monde depuis Paris, Berlin ou Lisbonne.

Et vous, qu’en pensez-vous ? L’Europe doit-elle tout centraliser pour être forte, ou est-ce précisément cette centralisation qui va la rendre faible face à la concurrence mondiale ? Les commentaires sont ouverts.

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