Quand on pense à Tucker Carlson, on s’attend à des interviews musclées qui font des étincelles. Mais son dernier entretien avec Nayib Bukele, le président du Salvador connu pour son adoption audacieuse du Bitcoin, est étonnamment sage. Pas un mot sur les cryptomonnaies! Comment expliquer ce choix éditorial intrigant?
Tucker Carlson, maître de l’interview orientée
Depuis son départ fracassant de Fox News, Tucker Carlson enchaîne les entretiens complaisants avec les dirigeants les plus controversés de la planète. Vladimir Poutine, Viktor Orban… Nayib Bukele vient compléter ce palmarès des “bad boys” de la politique mondiale.
Mais contrairement à ses habitudes, le polémiste s’est montré étonnamment tendre avec le dirigeant salvadorien. Louant son “leadership visionnaire”, il n’a pas cherché à le challenging sur ses dérives autoritaires. Une complaisance d’autant plus surprenante que Bukele est loin de faire l’unanimité dans son pays et au-delà.
Le grand absent de l’interview: le Bitcoin
Mais le plus étonnant dans cet entretien fleuve d’une heure, c’est l’absence totale de référence au Bitcoin. Pourtant, l’adoption de la cryptomonnaie comme monnaie légale en septembre 2021 a propulsé Bukele sous le feu des projecteurs. Le Salvador est devenu le premier pays au monde à franchir ce pas révolutionnaire.
Depuis, le bilan est mitigé. Seuls 12% des Salvadoriens ont effectivement utilisé le Bitcoin l’année dernière selon un sondage. Le taux d’adoption pour les transferts d’argent des travailleurs émigrés est encore plus faible, à 1% seulement. Et la ville futuriste “Bitcoin City”, annoncée en grande pompe fin 2021, n’a toujours pas vu le jour…
Les achats de Bitcoin du Salvador en quelques chiffres:
- Stock actuel : 5 777 BTC d’une valeur de 379,9 millions de dollars
- Plus-value latente : 69 millions de dollars
- Petits achats quotidiens d’1 BTC depuis novembre 2022
Alors pourquoi ce silence assourdissant sur le sujet? Bukele et Carlson auraient-ils peur d’aborder les zones d’ombre de cette expérience risquée? Ou bien le Bitcoin ne serait-il finalement qu’un détail dans la success story que le président veut raconter au monde?
Une mise en scène soignée
En zoomant, on comprend mieux les non-dits de cette interview. Plus qu’une discussion franche, il s’agit d’une savante opération de communication pour redorer le blason terni de Bukele.
Le président a ainsi pu vanter les chiffres officiels montrant une chute spectaculaire du taux d’homicides, passé sous celui des États-Unis. Mais ces données sont contestées par des observateurs indépendants qui dénoncent une sous-estimation des morts violentes.
Bukele s’est aussi félicité de sa politique sécuritaire musclée. Mais là encore, l’envers du décor est passé sous silence : Amnesty International documente des arrestations arbitraires massives et des actes de torture sur les détenus.
Bukele, un “cool dictateur” qui divise
Malgré sa popularité apparente, l’auto-proclamé “dirigeant le plus cool du monde” ne fait pas l’unanimité. Loin de là. Son bras de fer avec la constitution pour briguer un 2ème mandat, sa mainmise sur la justice, ses penchants autoritaires…autant d’angles morts de l’interview.
Même dans la sphère crypto, normalement acquise à sa cause, le soutien n’est plus aussi inconditionnel. La hype du Bitcoin Nation peine à masquer la réalité d’un pays encore enlisé dans la pauvreté.
Alors non, Tucker Carlson et Nayib Bukele n’ont pas parlé crypto. Est-ce par pudeur face à un bilan en demi-teinte? Ou par calcul, pour recentrer le récit sur un “sauveur providentiel” qui aurait remis son pays sur les rails? Une chose est sûre: en évitant le sujet, ils en disent long sur les non-dits de l’expérience Bitcoin. Comme dirait un cryptophile : il faut zoomer pour voir l’ensemble du tableau.