Vous êtes au Tadjikistan, il fait –20 °C dehors, et depuis trois jours votre quartier est plongé dans le noir. Pas de chauffage, pas de lumière, les enfants font leurs devoirs à la bougie. Et pendant ce temps, à quelques kilomètres, des hangars clandestins bourdonnent 24 h/24, remplis de cartes graphiques et d’ASIC qui engloutissent l’électricité du pays pour miner du Bitcoin. Cette scène n’est plus une hypothèse : elle est devenue le cauchemar quotidien de millions de Tadjiks… et le gouvernement vient de déclarer la guerre totale.

Le Tadjikistan passe à l’offensive : jusqu’à 8 ans de prison pour minage illégal

Le 10 décembre 2025, le parlement tadjik a adopté des amendements au Code pénal qui font trembler toute la communauté crypto d’Asie centrale. Désormais, utiliser de l’électricité volée ou détournée pour miner des cryptomonnaies est un délit pénal lourdement sanctionné.

Les peines prévues sont sans appel :

  • Amende de 15 000 à 37 000 somoni (environ 1 300 à 3 200 euros) pour un particulier pris en flagrant délit
  • Jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 somoni d’amende pour les groupes organisés
  • De 5 à 8 ans de prison ferme en cas de vol « particulièrement important » d’électricité

Le texte attend désormais la signature du président Emomali Rahmon, une formalité. Dès sa publication au journal officiel, la loi entrera en vigueur.

« Le minage illégal crée des conditions favorables à la commission de divers crimes : vol d’électricité, dommages matériels à l’État, blanchiment d’argent… »

Habibullo Vohidzoda, Procureur général du Tadjikistan

Pourquoi une telle sévérité ? La crise énergétique au cœur du problème

Le Tadjikistan est un paradoxe énergétique. Le pays produit 98 % de son électricité grâce à l’hydroélectricité, notamment le gigantesque barrage de Nurek. Pourtant, chaque hiver, des millions de citoyens subissent des coupures de courant qui peuvent durer jusqu’à 18 heures par jour.

La raison ? Une consommation explosive, en grande partie due aux mines de Bitcoin clandestines.

Les chiffres officiels font froid dans le dos :

  • Plus de 32 millions de somoni (près de 3 millions d’euros) de pertes pour l’État
  • Des centaines de fermes illégales découvertes, certaines consommant autant qu’une ville moyenne
  • Des branchements sauvages directement sur les lignes haute tension
  • Importation massive d’équipements en contournant les douanes

Dans certaines régions comme Soughd ou Khatlon, les autorités ont dû imposer des rationnements drastiques : écoles fermées, hôpitaux sur groupes électrogènes, usines à l’arrêt. Et pendant ce temps, les mineurs clandestins continuaient de tourner à plein régime.

Comment en est-on arrivé là ? L’âge d’or du minage légal… puis la dérive

Retour en 2018-2021. À cette époque, le Tadjikistan était un Eldorado du minage. Électricité parmi les moins chères du monde (moins de 2 centimes le kWh), climat frais en altitude, connexion internet correcte : tous les ingrédients étaient réunis.

Le gouvernement avait même créé des zones économiques spéciales avec des tarifs préférentiels. Des investisseurs chinois, russes, et même européens s’étaient rués sur l’opportunité.

Mais plusieurs phénomènes ont tout fait basculer :

  • L’explosion du cours du Bitcoin en 2021
  • Le grand exode des mineurs chinois après l’interdiction en Chine
  • La cupidité : beaucoup ont préféré le minage clandestin pour éviter taxes et régulations
  • La corruption locale qui fermait les yeux contre bakchich

Résultat : des villages entiers se sont retrouvés sans électricité parce qu’un hangar voisin consommait 10 MW pour faire tourner 3 000 Antminers.

Le profil des mineurs clandestins : des locaux aux mafias étrangères

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, tous les mineurs illégaux ne sont pas des barons étrangers. Beaucoup sont des Tadjiks ordinaires qui ont vu dans le Bitcoin une opportunité de survie.

Un enseignant de Douchanbé m’expliquait (sous couvert d’anonymat) : « Avec mon salaire de 150 euros par mois, impossible de faire vivre ma famille. J’ai investi toutes mes économies dans 5 ASIC. En trois mois, j’avais remboursé et gagné 4 000 dollars. Mais maintenant… je démonte tout. 8 ans de prison, c’est ma vie entière. »

Mais les gros poissons sont ailleurs. Les autorités ont démantelé des fermes appartenant à des réseaux chinois et russes, parfois protégées par des fonctionnaires corrompus. Certaines installations comptaient plus de 10 000 machines et étaient alimentées directement depuis les barrages sans passer par les compteurs.

Que risque vraiment un mineur pris la main dans le sac ?

Théoriquement, tout. Confiscation du matériel, amendes exorbitantes, prison ferme. Dans la pratique, les premiers mois risquent d’être chaotiques.

Les autorités ont annoncé une grande campagne de répression dès janvier 2026 : perquisitions, drones thermiques pour repérer les hangars surchauffés, collaboration avec les fournisseurs d’électricité pour détecter les consommations anormales.

Les nouvelles méthodes de traque :

  • Analyse des données de consommation électrique en temps réel
  • Survols par drone avec caméras infrarouges (les mines dégagent une chaleur énorme)
  • Dénonciations anonymes récompensées
  • Contrôles renforcés aux frontières sur les importations d’ASIC

Et le minage légal ? Existe-t-il encore un avenir ?

Officiellement, oui. Le gouvernement ne ferme pas la porte à une activité régulée. Mais les conditions sont devenues draconiennes :

  • Licence obligatoire (coût : plusieurs dizaines de milliers d’euros)
  • Tarif électrique spécial « minage » : 5 fois plus cher que le tarif domestique
  • Installation uniquement dans des zones industrielles désignées
  • Contrôles mensuels et taxes sur les bénéfices

En clair : le minage légal n’est plus rentable au Tadjikistan. La plupart des grandes fermes encore en activité envisagent de délocaliser vers le Kazakhstan voisin ou l’Ouzbékistan, où les règles sont (pour l’instant) plus souples.

Une loi qui pourrait faire école en Asie centrale

Le Tadjikistan n’est pas un cas isolé. Le Kazakhstan a déjà fortement restreint le minage en 2022. Le Kirghizstan a imposé des taxes exorbitantes. L’Ouzbékistan alterne entre ouverture et répression.

Mais la loi tadjike va plus loin que toutes les autres : c’est la première fois qu’un pays prévoit des peines de prison aussi longues uniquement pour l’usage illégal d’électricité dans le minage.

Des experts estiment que cette législation pourrait inspirer d’autres États confrontés à la même problématique : comment concilier développement crypto et souveraineté énergétique ?

Que retenir de cette affaire ?

Le rêve d’un minage bon marché et libre en Asie centrale semble appartenir au passé. Le Tadjikistan envoie un message clair : l’électricité n’est pas une ressource infinie, et l’État est prêt à tout pour la protéger.

Pour les mineurs, c’est la fin d’une époque. Pour les citoyens ordinaires, c’est peut-être le début d’hivers moins noirs. Et pour le reste du monde crypto, un rappel brutal : même dans les coins les plus reculés de la planète, le Bitcoin n’échappe plus à la réalité physique de l’énergie.

La décentralisation a ses limites quand il s’agit de brancher des milliers de machines sur le réseau d’un petit pays de 10 millions d’habitants.

Fin de l’histoire ? Probablement pas. Mais le chapitre « minage paradisiaque au Tadjikistan » est bel et bien fermé.

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