Imaginez que vous receviez un message d’une personne charmante sur WhatsApp ou Telegram. Quelques jours plus tard, cette nouvelle « amie » vous conseille une plateforme de trading crypto « révolutionnaire » où elle gagne des milliers de dollars par mois. L’interface est magnifique, les graphiques bougent en temps réel, les dépôts sont instantanés… Tout semble parfait. Et puis un matin, votre compte affiche zéro. Plus rien. Votre argent a disparu. Ce scénario, des milliers de personnes l’ont vécu ces dernières semaines à cause d’un seul domaine : tickmilleas.com.
Le 2 décembre 2025, le Département de la Justice américain (DOJ) a annoncé la saisie de ce site frauduleux. Et derrière cette simple URL se cache une réalité terrifiante : un compound criminel ultra-organisé en Birmanie, des interfaces indistinguables des vraies plateformes, et des victimes à travers le monde entier.
Le coup de filet américain qui révèle l’industrialisation du scam crypto
Le domaine tickmilleas.com n’avait pourtant que quelques semaines d’existence. Enregistré en novembre 2025, il imitait à la perfection les grandes plateformes de trading. Tableaux de bord fluides, historiques de transactions crédibles, support client réactif : tout était là pour endormir la vigilance.
Mais derrière l’écran, la réalité était bien plus sombre. Le site était directement lié au Tai Chang compound, aussi connu sous le nom de Casino Kosai, situé dans le village de Kyaukhat en Birmanie. Ce complexe fermé, gardé par des milices armées, abrite des centaines de personnes – souvent réduites en esclavage – qui passent leurs journées à arnaquer des victimes à l’étranger.
« Le domaine était utilisé par des escrocs localisés dans le compound Tai Chang (aussi appelé Casino Kosai) situé à Kyaukhat, en Birmanie. Cette saisie intervient moins de trois semaines après le lancement du Scam Center Strike Force. »
U.S. Attorney’s Office, District of Columbia – 2 décembre 2025
Comment fonctionnait cette arnaque ultra-sophistiquée ?
Le schéma est désormais bien rodé, mais il atteint ici un niveau de professionnalisme rarement vu.
- Phase 1 : Contact froid via WhatsApp, Telegram, LinkedIn ou même des applications de rencontre
- Phase 2 : Construction de la confiance pendant plusieurs jours, voire semaines (on appelle ça le « pig butchering »)
- Phase 3 : Orientation vers la fausse plateforme avec des captures d’écran de gains impressionnants
- Phase 4 : Dépôts progressifs encouragés par des « conseillers » disponibles 24/7
- Phase 5 : Simulation de gains pour pousser à investir plus (parfois jusqu’à plusieurs centaines de milliers de dollars)
- Phase 6 : Disparition totale du solde et blocage du compte
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la qualité technique des faux sites. Les escrocs ne se contentent plus de pages mal traduites ou de designs amateurs. Ils créent des clones quasi-parfaits de plateformes réelles, avec des fonctionnalités qui fonctionnent… jusqu’au moment où vous voulez retirer votre argent.
Le rôle central des compounds asiatiques
Le Tai Chang compound n’est pas un cas isolé. La Birmanie, le Cambodge et le Laos sont devenus les nouveaux paradis des organisations criminelles chinoises spécialisées dans la fraude en ligne. Ces zones grises, souvent sous contrôle de milices locales, offrent une impunité presque totale.
Ce que l’on sait du Tai Chang compound :
- Situé à la frontière thaïlandaise, dans une zone contrôlée par la Democratic Karen Benevolent Army
- Des centaines de travailleurs forcés (souvent des victimes de traite humaine)
- Des infrastructures ultra-modernes : fibre optique, serveurs dédiés, formation continue des escrocs
- Des liens directs avec des organisations sanctionnées par les États-Unis
- Un chiffre d’affaires estimé à plusieurs centaines de millions de dollars par an
Ces compounds fonctionnent comme de véritables entreprises criminelles. Les « employés » reçoivent des formations, des scripts précis, des objectifs quotidiens. Certains témoignages d’anciens travailleurs forcés décrivent des journées de 16 heures avec des quotas de victimes à « convertir ».
La réponse coordonnée des géants du web et des autorités
Dès l’alerte lancée par le FBI, la réaction a été immédiate et massive.
- Google et Apple ont supprimé toutes les applications liées aux domaines frauduleux
- Meta a fermé plus de 2 000 comptes Facebook et Instagram utilisés pour le recrutement
- Le DOJ a saisi le domaine tickmilleas.com et plusieurs autres
- Le Scam Center Strike Force, créé il y a moins d’un mois, coordonne désormais toutes les agences fédérales
Cette opération montre une nouvelle stratégie américaine : frapper l’infrastructure numérique avant que les dégâts ne deviennent irréversibles. Car une fois l’argent transféré en crypto vers des portefeuilles contrôlés par les escrocs, il est presque impossible de le récupérer.
Pourquoi ces arnaques deviennent-elles impossibles à repérer ?
En 2020, un faux site de trading faisait encore sourire par son amateurisme. En 2025, la donne a complètement changé.
Les criminels ont accès aux mêmes outils que les startups légitimes : frameworks React, WebSocket pour les graphiques en temps réel, design system inspirés de Binance ou Coinbase. Certains vont jusqu’à copier le code source de plateformes open-source pour le modifier légèrement.
Résultat ? Même des investisseurs expérimentés se font avoir. Le DOJ rapporte que parmi les victimes de tickmilleas.com figurent des médecins, des ingénieurs, des retraités aisés… personne n’est à l’abri quand l’arnaque est aussi bien exécutée.
Les chiffres qui font peur
Les pertes liées aux scams crypto en 2024-2025 :
- Plus de 5,8 milliards de dollars perdus rien qu’en 2024 (FBI)
- Une augmentation de 45 % par rapport à 2023
- Le « pig butchering » représente désormais 68 % des fraudes crypto
- Près de 90 % des fonds volés transitent par des mixers ou des bridges cross-chain
Comment se protéger concrètement en 2025 ?
Face à cette menace industrielle, les anciennes règles ne suffisent plus. Voici ce qu’il faut vérifier absolument avant tout investissement :
- Vérifiez l’âge du domaine (via whois.domaintools.com)
- Méfiez-vous des plateformes qui ne sont pas régulées (pas de licence FCA, CySEC, etc.)
- Ne jamais cliquer sur un lien reçu par message privé
- Faire un petit dépôt test et essayer de le retirer immédiatement
- Utiliser uniquement des plateformes connues et établies depuis plusieurs années
- Activer l’authentification à deux facteurs partout
- Conserver ses cryptos sur un wallet personnel, jamais sur une plateforme
Et surtout : si ça semble trop beau pour être vrai… c’est que ça ne l’est probablement pas.
Cette affaire tickmilleas.com n’est qu’un épisode parmi des centaines. Mais elle marque peut-être un tournant : les autorités passent à l’offensive, et les géants du web commencent à coopérer massivement. Reste à savoir si cela suffira à endiguer une industrie du scam qui pèse désormais des milliards et qui ne cesse de se professionnaliser.
Une chose est sûre : en 2025, la plus grande menace pour vos cryptos n’est plus la volatilité du marché. C’est l’ingénierie sociale made in Asie du Sud-Est.
