Imaginez que vous soyez un fonds de plusieurs milliards de dollars et que vous vouliez couvrir votre exposition au Bitcoin. Vous avez enfin un produit parfait : l’ETF spot IBIT de BlackRock, ultra-liquide et régulé. Tout va bien… jusqu’à ce que vous atteigniez la limite légale de 250 000 contrats d’options. À ce moment-là, vous êtes bloqué. C’est exactement ce qui arrive aujourd’hui à des dizaines d’acteurs institutionnels.
Et c’est précisément pour régler ce problème que le Nasdaq, via sa plateforme Nasdaq ISE, vient de déposer une demande officielle auprès de la SEC : quadrupler purement et simplement ces plafonds pour les faire passer à 1 000 000 de contrats. Un changement qui semble technique, mais qui pourrait débloquer des flux colossaux.
Une demande historique qui révèle l’appétit institutionnel
Le document déposé le 26 novembre 2025 est clair : les limites actuelles, héritées des règles classiques sur les options actions, ne sont plus adaptées à la réalité du marché de l’ETF Bitcoin de BlackRock.
IBIT est devenu en moins d’un an le troisième ETF le plus échangé aux États-Unis, tous actifs confondus. Ses volumes quotidiens dépassent régulièrement plusieurs milliards de dollars, et ses options représentent déjà l’une des classes de dérivés crypto les plus liquides au monde.
« Les limites de position et d’exercice actuelles de 250 000 contrats sont devenues excessivement restrictives et empêchent les participants de marché de répondre efficacement à la demande des clients. »
Nasdaq ISE – Proposition de règle à la SEC, novembre 2025
Pourquoi 250 000 contrats ne suffisent plus
Pour comprendre l’ampleur du problème, prenons un exemple concret.
Un teneur de marché (market maker) qui assure la liquidité sur les options IBIT doit pouvoir acheter et vendre simultanément des centaines de milliers de contrats pour maintenir des écarts bid-ask serrés. Avec la limite actuelle, il atteint rapidement le plafond et doit soit arrêter de coter, soit répartir ses positions sur plusieurs entités – ce qui augmente les coûts et les risques opérationnels.
Résultat : les spreads s’élargissent, la profondeur du carnet diminue, et les institutionnels hésitent à entrer en masse.
Conséquences concrètes de la limite actuelle :
- Les market makers réduisent leurs cotations sur les strikes éloignés
- Les fonds macro fragmentent leurs positions sur plusieurs brokers
- Les stratégies de couverture complexes deviennent trop coûteuses
- La liquidité réelle du marché est artificiellement bridée
Que représente 1 million de contrats en valeur ?
Faisons le calcul rapidement.
À l’heure où j’écris ces lignes, le Bitcoin oscille autour de 96 000 $. Un contrat d’option IBIT représente 100 parts de l’ETF, donc environ 0,001 BTC par contrat (en valeur actuelle).
Un million de contrats = environ 100 000 BTC de notionnel, soit plus de 9,6 milliards de dollars d’exposition potentielle par côté du marché (long ou short).
En passant de 250 000 à 1 000 000 contrats, le Nasdaq propose donc de multiplier par 4 la capacité d’absorption du marché des options – ce qui correspond exactement à la croissance explosive observée depuis le lancement des ETF spot en janvier 2024.
Les arguments du Nasdaq face à la SEC
La bourse ne s’est pas contentée de demander. Elle a apporté un dossier en béton.
- IBIT fait partie des 15 ETF les plus échangés aux États-Unis
- Les volumes moyens quotidiens sur les options dépassent ceux de nombreux ETF actions matures
- Les limites proposées (1 million) sont déjà appliquées à des ETF comme SPY, QQQ ou IWM
- Aucune manipulation significative n’a été observée malgré la croissance fulgurante
Le message est clair : IBIT mérite le même traitement que les grands ETF actions. Point final.
La position délicate de la SEC
La Securities and Exchange Commission se retrouve dans une position inconfortable.
D’un côté, elle a validé les ETF spot Bitcoin en janvier 2024, puis les options sur ces ETF en octobre 2024. Refuser maintenant une simple adaptation des limites de position pourrait être perçu comme un signal négatif envoyé aux marchés.
De l’autre, la SEC reste traumatisée par les manipulations historiques sur le Bitcoin (Bitfinex/Tether 2017-2018, pump & dump 2021, etc.). Augmenter les plafonds, c’est accepter qu’un acteur puisse théoriquement influencer le prix avec une position massive.
« Une bourse régulée américaine avec surveillance en temps réel est infiniment plus sûre qu’un exchange offshore non régulé. »
Un gérant de hedge fund crypto, novembre 2025
Mais les partisans de la réforme ont un argument massue : aujourd’hui, les gros acteurs qui veulent une exposition importante passent déjà par des plateformes offshore ou des produits OTC non régulés. Augmenter les limites sur un marché surveillé par la SEC, c’est justement réduire le risque systémique.
Les précédents historiques
Ce n’est pas la première fois qu’une limite de position est relevée pour un produit devenu systémique.
En 2012, la CFTC avait ainsi relevé les limites sur les futures Bitcoin de 1 000 à 5 000 contrats par participant. Résultat ? La liquidité a explosé et les manipulations ont… diminué, grâce à une meilleure profondeur de marché.
En 2023, le CME a fait passer les limites sur les options Micro Bitcoin de 10 000 à 100 000 contrats. Même effet.
L’histoire montre que des limites adaptées à la taille réelle du marché améliorent la stabilité, pas l’inverse.
Ce que cela change pour le marché Bitcoin
Si la SEC valide la demande (et la majorité des analystes parient sur un oui d’ici février 2026), les conséquences seront multiples.
Scénarios possibles après validation :
- Entrée massive de nouveaux hedge funds sur les stratégies options (straddles, iron condors, etc.)
- Amélioration spectaculaire de la liquidité sur les strikes extrêmes (80k, 120k, 150k)
- Réduction des primes de volatilité implicite grâce à une meilleure concurrence entre market makers
- Effet domino : autres ETF (FBTC, BITB, ARKB…) demanderont le même traitement
- Possible extension aux ETF Ethereum spot dans la foulée
L’effet BlackRock : un cercle vertueux
Il faut le dire clairement : sans BlackRock, nous n’en serions pas là.
L’entrée du géant de la gestion d’actifs avec IBIT a changé la perception du Bitcoin chez les institutionnels. Aujourd’hui, plus de 650 institutions américaines déclarent une exposition à IBIT dans leurs documents 13F. Parmi elles : Millennium, Citadel Advisors, Jane Street, Susquehanna… les plus gros traders de la planète.
Et ces acteurs ne veulent plus se contenter d’acheter des parts d’ETF. Ils veulent pouvoir hedger, arbitrager, structurer des produits complexes. Pour cela, il faut des options profondes et liquides – exactement ce que propose cette réforme du Nasdaq.
Et pour l’investisseur particulier ?
Vous pensez que cela ne vous concerne pas ? Détrompez-vous.
Une meilleure liquidité sur les options = des prix plus justes = moins de dérapages quand vous tradez IBIT ou les autres ETF Bitcoin sur votre broker habituel.
Des market makers plus à l’aise = des spreads plus serrés = des stratégies de rendement (covered calls, cash-secured puts) plus rentables pour le retail.
En résumé : tout le monde y gagne, du petit porteur au méga-fonds.
Conclusion : un pas de plus vers la maturité
Cette demande du Nasdaq n’est pas une simple formalité administrative.
C’est la reconnaissance officielle que le Bitcoin, via les ETF spot et leurs dérivés, est devenu un actif financier comme les autres. Plus spéculatif, plus volatile, mais intégré au système.
Quand la plus grande bourse technologique mondiale se bat pour offrir plus de place aux institutionnels sur un produit Bitcoin, on n’est plus dans la crypto « alternative ». On est dans la finance traditionnelle, point.
Et quelque chose me dit que ce n’est que le début.
Les cryptoactifs représentent un investissement risqué. Cet article ne constitue pas un conseil en investissement.
