Dans un marché des cryptomonnaies en ébullition, où Bitcoin et Ethereum atteignent de nouveaux sommets, une ombre plane : celle de la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine. Le régulateur vient en effet de reporter sa décision très attendue concernant l’ETF combinant Bitcoin et Ethereum proposé par le géant de la gestion d’actifs Franklin Templeton. Une annonce qui provoque frustration et interrogations dans l’écosystème crypto.
Franklin Templeton à la conquête des cryptos
Lorsque Franklin Templeton, mastodonte de la finance traditionnelle gérant plus de 1500 milliards de dollars d’actifs, a déposé en août dernier une demande d’approbation pour un ETF révolutionnaire combinant exposition à Bitcoin et Ethereum, le monde de la crypto a retenu son souffle. Baptisé sobrement “EZPZ”, ce produit promettait d’ouvrir les vannes de l’adoption institutionnelle en permettant d’investir simplement sur les deux plus grandes cryptomonnaies.
Mais c’était sans compter sur la frilosité légendaire de la SEC en matière de crypto-actifs. Après avoir déjà approuvé du bout des lèvres les premiers ETF Bitcoin puis Ethereum l’an dernier, voilà que le gendarme financier traîne à nouveau des pieds. Sa décision très attendue sur l’ETF de Franklin Templeton, qui devait tomber hier, est repoussée à une date ultérieure. Motif invoqué : “un délai supplémentaire est nécessaire pour examiner plus en détail les questions soulevées par cette proposition innovante”.
Le grand écart de la SEC
Un report qui passe d’autant plus mal qu’il survient au lendemain de l’ouverture en grande pompe des options sur les ETF Bitcoin au comptant. Après des années d’attente, les investisseurs institutionnels américains peuvent enfin utiliser cet instrument financier dérivé pour s’exposer à la volatilité de la crypto-star. Un tournant majeur visant à attirer toujours plus de capitaux.
Mais pendant ce temps, la SEC continue à freiner des quatre fers dès qu’il s’agit de produits plus complexes, comme cet ETF donnant accès en un seul click à un panier des deux plus grosses crypto-monnaies. Une position schizophrénique qui fait grincer bien des dents dans l’écosystème. Beaucoup y voient une politique de retardement volontaire pour laisser le temps à Wall Street de prendre position, au détriment des petits porteurs.
Le paradoxe des 100 000 dollars
Cette énième tergiversation de la SEC intervient paradoxalement au moment où l’euphorie est à son comble sur les marchés crypto. La faute au franchissement tant attendu des 100 000 dollars par Bitcoin qui galvanise les investisseurs. Un record qui semblait inatteignable il y a quelques mois encore lorsque le marché baignait dans un “crypto-winter” sans fin.
- Bitcoin (BTC) : 97 800 $ (+6% sur 24h)
- Ethereum (ETH) : 3 486 $ (+13% sur 24h)
Avec de tels chiffres, les analystes voient déjà Bitcoin atteindre la barre symbolique des 100K$ d’ici la fin de la semaine. Un optimisme décuplé par les bons résultats des géants du mining comme Riot Blockchain ou Marathon qui croulent sous les bénéfices. Sans compter la ruée des investisseurs particuliers, galvanisés par la perspective d’un nouveau bull run après une année 2023 en demi-teinte.
La SEC au pied du mur
Dans ce contexte d’euphorie généralisée, le report de la décision de la SEC sur l’ETF de Franklin Templeton fait figure de douche froide. De quoi instiller le doute : et si le gendarme boursier, échaudé par les errements passés, l’affaire FTX et les pitreries d’Elon Musk, était tenté par un tour de vis réglementaire ? Une hypothèse jugée peu crédible par la plupart des observateurs, mais qui en dit long sur la défiance vis à vis du régulateur.
Les étapes clés de la réglementation crypto par la SEC :
- 2021 : Premières mises en garde sur les risques des crypto-actifs
- 2022 : Rejet de plusieurs demandes d’ETF Bitcoin
- 2024 : Approbation des premiers ETF Bitcoin & Ethereum spot
- 2024 : Procès retentissant contre Ripple (XRP)
Quoi qu’il en soit, cette énième hésitation apparaît de plus en plus anachronique à mesure que la crypto rentre dans le quotidien de monsieur tout-le-monde. Aujourd’hui des géants comme BlackRock ou Fidelity proposent d’investir en Bitcoin à leurs clients fortunés et certains fonds de pension commencent même à ajouter des cryptos à leurs portefeuilles. Une dynamique qui rend chaque jour plus inéluctable l’adoption de véhicules d’investissement grand public de type ETF mixant différents crypto-actifs.
Dans ce bras de fer, la SEC apparaît bien seule et semble ne pas avoir tiré les leçons de l’histoire. En voulant jouer les gardiens du temple et freiner le déploiement des cryptos, elle risque surtout d’affaiblir la place financière américaine au profit de pays plus avant-gardistes. Une partie de poker menteur qui pourrait coûter cher à l’oncle Sam…
Quel avenir pour les ETF crypto ?
Malgré ces atermoiements, il ne fait guère de doute que l’avenir appartient à ce genre de produits financiers mixant crypto-actifs et fonctionnant de manière décentralisée. Même si la SEC met aujourd’hui des bâtons dans les roues de Franklin Templeton, ce n’est sans doute que partie remise. Le potentiel est trop important et les investisseurs ne se contenteront plus longtemps de simples ETF mono-crypto.
- Plus de 60 demandes d’ETF crypto déposées auprès de la SEC depuis 2018
- 100 milliards $ : estimation des flux entrants en cas d’approbation des ETF
- 31 milliards $ : encours du plus gros ETF Bitcoin du marché (BITO)
D’autant que la concurrence est rude sur le marché des ETF crypto et que de nouveaux acteurs ambitieux se pressent au portillon. Des poids lourds comme Invesco, ARK Invest ou WisdomTree ont déjà déposé des demandes d’agrément auprès du gendarme boursier pour des ETF couplant différents crypto-actifs (Bitcoin, Ethereum, Solana, Cardano…). Chacun espère être le premier à décrocher le jackpot avec un produit révolutionnaire.
Sans compter la concurrence des ETF crypto off-shore, comme ceux approuvés en Suisse, au Canada, au Brésil ou à Singapour, qui ne demandent qu’à capter les capitaux déçus par l’attentisme américain. Certains proposent même déjà des stratégies d’investissement variées comme de l’arbitrage ou du staking pour maximiser les rendements.
Face à cette effervescence, la SEC semble bien mal embarquée dans sa logique de cantonnement et d’atermoiements forcenés. En voulant se poser en rempart contre un supposé far-west financier, le régulateur, malgré ses louables intentions, risque surtout de se mettre à contre-courant de l’histoire. Celle d’une démocratisation inexorable des cryptos et d’une recomposition en profondeur de l’industrie financière mondiale dont les États-Unis pourraient être les grands perdants s’ils manquent le tournant.
Un immobilisme qui tranche avec l’esprit pionnier ayant fait le succès de la première économie mondiale. Comme dirait Benjamin Franklin, génie visionnaire et père fondateur des États-Unis dont le nom inspire aujourd’hui la firme bâillonnée par la SEC : “Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends.” Une maxime que la SEC serait bien inspirée de méditer pour ne pas passer à côté du train de la révolution crypto en marche.