Imaginez un monde où transférer de l’argent d’un continent à l’autre prendrait quelques secondes, sans frais exorbitants ni délais interminables. Ce monde existe déjà dans l’univers crypto, mais pas dans les grandes banques traditionnelles. Pourtant, elles ont eu plus d’une décennie pour s’y préparer.
Depuis l’émergence de Bitcoin en 2009 et l’explosion des blockchains publiques, les institutions financières disposaient d’un temps précieux pour expérimenter, tester et déployer des solutions de règlement basées sur cette technologie. Elles ne l’ont pas fait massivement. Et aujourd’hui, c’est l’économie globale qui en paie le prix fort.
Le coût caché de l’immobilisme bancaire
Les systèmes de paiement traditionnels fonctionnent encore comme au siècle dernier. Les règlements de titres, les virements internationaux ou même les simples conversions de devises prennent des jours. Chaque heure d’attente représente du capital immobilisé, des opportunités perdues et des frais supplémentaires.
Dans les marchés émergents, ces frictions sont particulièrement douloureuses. Prenez l’exemple du Brésil : pour envoyer de l’argent vers l’Europe ou même un pays voisin, les fonds passent souvent par des comptes offshore, multipliant les intermédiaires. Résultat ? Des coûts plus élevés et des délais qui freinent le commerce et l’investissement.
Chaque délai dans les règlements est une taxe invisible sur le capital. Plus on attend, plus quelqu’un paie la note, que ce soit en frais ou en rendement perdu.
Pourquoi les banques ont-elles attendu ?
La réponse est complexe, mais elle mêle inertie organisationnelle, peur du risque et attachement aux systèmes existants. Les grandes banques génèrent des milliards grâce aux spreads et aux frais sur ces délais. Changer le modèle reviendrait à scier la branche sur laquelle elles sont assises.
Quelques initiatives ont vu le jour. JPMorgan a développé Onyx, rebaptisé depuis Kinexys, une plateforme blockchain privée pour les règlements interbancaires. Mais ces projets restent isolés. Ils prouvent que la technologie fonctionne, pourtant ils n’ont pas contaminé l’ensemble du secteur.
Lorsque les régulateurs ont commencé à clarifier le cadre légal, notamment aux États-Unis et en Europe, les banques auraient pu déployer des solutions prêtes à l’emploi. Au lieu de cela, beaucoup ont préféré observer de loin, laissant le terrain libre aux acteurs crypto natifs.
La révolution de la liquidité en temps réel
La blockchain change fondamentalement la notion de liquidité. Dans la finance traditionnelle, les actifs sont souvent bloqués pendant des années. En private equity ou venture capital, les investisseurs attendent dix à vingt ans avant de récupérer leur mise.
Dans l’écosystème crypto, les tokens se déverrouillent progressivement et deviennent immédiatement négociables sur des marchés mondiaux 24/7. Même les tokens encore verrouillés peuvent être stakés ou utilisés comme collatéral. Le capital ne dort jamais.
Les avantages concrets de la vitesse blockchain
- Règlements en secondes au lieu de jours
- Accès 24/7 sans coupures horaires
- Réduction drastique des intermédiaires
- Possibilité de réhypothéquer instantanément les actifs
- Accrual de rendement en continu, bloc par bloc
Ces mécanismes érodent la prime de liquidité traditionnelle. Les investisseurs exigent moins de rendement supplémentaire pour compenser l’illiquidité, car celle-ci disparaît progressivement.
L’impact disproportionné sur les économies émergentes
Les pays en développement subissent de plein fouet ces inefficacités. En Amérique latine, convertir des reais brésiliens en pesos chiliens nécessite souvent deux transactions via le dollar américain. Chaque étape ajoute spread et délai.
Les horaires bancaires stricts compliquent encore les choses. Au Brésil, les opérations de change same-day doivent être conclues avant 13h. Manquer cette fenêtre augmente les coûts. Avec la blockchain, ces contraintes temporelles disparaissent complètement.
Les stablecoins permettent déjà des échanges directs entre devises émergentes. Un transfert BRL-CLP peut s’effectuer on-chain sans passer par USD. Mais tant que les banques traditionnelles n’intègrent pas ces rails, la majorité des utilisateurs reste prisonnière des anciens systèmes.
La blockchain ne sera bientôt plus vue comme un risque, mais comme l’infrastructure qui réduit les risques existants.
Le risque smart contract : un frein temporaire
Dans les années 2000, les analystes intégraient un “risque internet” dans leurs modèles. Aujourd’hui, personne n’imagine un monde sans connexion permanente. Il en ira de même pour les smart contracts.
Les audits de sécurité se professionnalisent. Les assurances spécifiques émergent. Les standards de redondance se renforcent. Dans quelques années, intégrer une prime de risque smart contract paraîtra aussi archaïque que craindre une panne d’email.
Les crises crypto l’ont déjà prouvé. Lors des plus gros événements de liquidation en 2025, des milliards ont été réglés automatiquement en quelques heures. Comparez cela aux semaines nécessaires dans la finance traditionnelle lors de crises similaires.
Les exceptions qui confirment la règle
Certaines institutions ont pris les devants. Outre Kinexys de JPMorgan, des projets comme Partior (DBS, Standard Chartered, Temasek) ou les expérimentations de la Banque des Règlements Internationaux montrent que le règlement blockchain interbancaire fonctionne à grande échelle.
Mais ces initiatives restent marginales. La majorité des grandes banques préfèrent moderniser progressivement leurs systèmes legacy plutôt que d’opérer une migration profonde vers des rails blockchain publics ou permissionnés.
Cette approche incrémentale coûte cher. Elle maintient des doublons technologiques, complexifie la gouvernance et retarde les bénéfices à l’échelle systémique.
Vers une adoption inévitable ?
La pression monte. Les stablecoins émetteurs comme Circle ou Tether traitent déjà des volumes comparables à certains réseaux de paiement traditionnels. Les entreprises commencent à exiger des règlements plus rapides de leurs partenaires bancaires.
Les régulateurs facilitent progressivement l’intégration. MiCA en Europe, les clarifications de la SEC aux États-Unis, les cadres favorables à Singapour ou Dubaï créent un environnement plus prévisible.
Le point de bascule approche. Quand une grande banque annoncera un déploiement massif de règlements on-chain pour ses clients corporate, les autres suivront rapidement pour ne pas perdre de parts de marché.
Facteurs qui accéléreront l’adoption
- Pression concurrentielle des fintechs et crypto natives
- Demandes croissantes des clients corporate
- Clarification réglementaire mondiale
- Maturation des outils d’interopérabilité
- Preuves répétées de résilience en conditions extrêmes
Conclusion : le temps joue contre les retardataires
Tant que les grandes banques refuseront d’embrasser pleinement les rails blockchain, l’économie mondiale continuera de subir des frictions inutiles. Des milliards de dollars restent immobilisés, des opportunités s’évaporent, et les marchés émergents souffrent le plus.
La technologie est prête. Les cas d’usage sont prouvés. Les régulateurs ouvrent la voie. Il ne manque plus que la volonté des institutions traditionnelles de franchir le pas décisif.
Dans un monde où le temps génère du rendement, chaque jour de retard compounde les pertes. La question n’est plus de savoir si la blockchain s’imposera dans les règlements, mais qui en récoltera les bénéfices : les pionniers ou ceux qui auront enfin décidé de bouger.

