Imaginez un monde où le simple fait de coder un smart contract vous transformerait automatiquement en courtier enregistré auprès de la SEC. Un monde où votre wallet de routing, votre interface front-end ou même votre pool de liquidité pourrait vous valoir une amende à huit chiffres. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est exactement ce que Citadel Securities demande aujourd’hui à la puissante autorité américaine des marchés.
Et la réponse ne s’est pas fait attendre.
Hayden Adams, le créateur d’Uniswap, vient de déclencher une tempête sur X en accusant directement Ken Griffin et sa firme d’« attaquer les développeurs DeFi » et de « faire du lobbying en douce depuis des années ». Le ton est donné. On n’est plus dans le débat technique poli : on est en pleine guerre froide entre la finance traditionnelle et la finance décentralisée.
Quand Citadel veut faire rentrer la DeFi dans le moule TradFi
Le 4 décembre 2025, Citadel Securities a déposé une lettre officielle auprès de la Securities and Exchange Commission. Le message est clair : peu importe la technologie utilisée, si votre protocole réunit des acheteurs et des vendeurs, vous êtes un exchange. Point final.
Dans le viseur : absolument tout l’écosystème DeFi.
Qui Citadel veut réguler comme des intermédiaires traditionnels ?
- Les opérateurs d’interfaces front-end (oui, même votre site uniswap.org)
- Les développeurs de smart contracts
- Les validateurs de blocs
- Les fournisseurs de liquidité
- Les wallets qui routent les ordres
- Les DAO qui touchent des frais
Pour Citadel, le fait de collecter des frais proportionnels au volume (les fameux « transaction-based compensation ») suffit à vous transformer en broker-dealer. Et devinez quoi ? C’est exactement le modèle économique de la quasi-totalité des protocoles DeFi.
Le cauchemar de la tokenisation d’actions
Mais le plus explosif se trouve dans la seconde partie de la lettre.
Citadel met en garde contre la création d’un « marché parallèle » si des actions américaines tokenisées venaient à être échangées sur des protocoles DeFi. Selon eux, cela fragmenterait la liquidité, contournerait le National Market System et priverait les investisseurs des protections existantes.
« Autoriser des actions tokenisées sur des plateformes DeFi créerait un shadow equity market hors du système national des marchés. »
Citadel Securities – Lettre à la SEC, décembre 2025
Traduction : pas question de laisser la blockchain concurrencer le NYSE ou le Nasdaq. Même si l’action est tokenisée 1:1 et backed par un dépositaire régulé.
Hayden Adams ne décolère pas
La réponse d’Hayden Adams a été immédiate et sans filtre.
Sur X, il a publié une série de tweets qui ont fait l’effet d’une bombe dans la communauté :
« D’abord Ken Griffin a ruiné Constitution DAO. Maintenant il s’attaque à la DeFi en demandant à la SEC de traiter les développeurs de protocoles décentralisés comme des intermédiaires centralisés. Je parie que Citadel fait du lobbying en douce là-dessus depuis des années. »
Hayden Adams – 4 décembre 2025
Il ira même plus loin en moquant l’argument de Citadel selon lequel la DeFi ne garantirait pas un « accès équitable » aux marchés :
« Venant du roi des market makers opaques qui bloque l’accès aux meilleurs prix pour protéger ses marges… Le culot est monumental. »
Le vieux dossier Constitution DAO ressurgit
Pourquoi reparler de Constitution DAO en 2025 ?
En novembre 2021, cette DAO avait réussi à lever 47 millions de dollars en quelques jours pour acheter une copie originale de la Constitution américaine chez Sotheby’s. À la dernière seconde, Ken Griffin a surenchéri et remporté l’enchère. La DAO a dû rendre l’argent à ses contributeurs, moins les frais de gas astronomiques.
Pour beaucoup dans la crypto, c’est l’exemple parfait du « vieux monde » qui refuse de céder la place au nouveau. Quatre ans plus tard, Hayden Adams ressort l’histoire comme un symbole : Citadel ne supporte pas que la foule organisée puisse concurrencer les milliardaires.
Ce que Citadel demande vraiment à la SEC
Derrière le jargon juridique, les exigences sont limpides :
- Régulation « technologiquement neutre » : même activité = mêmes règles, blockchain ou pas
- Aucune exemption large pour les protocoles open-source
- Refus de créer un régime spécial pour les actifs tokenisés
- Inscription obligatoire comme exchange ou broker-dealer pour toute entité touchant des frais
- Interdiction de fait des actions tokenisées hors circuit traditionnel
En clair : si la SEC suit Citadel, la plupart des équipes DeFi devront soit fermer boutique, soit se transformer en entités régulées à l’américaine. Avec capital minimum, audits permanents, surveillance des ordres et responsabilité personnelle des développeurs.
Les précédents qui font peur
On a déjà vu ce film.
En 2023, la SEC avait déjà tenté de qualifier les pools de liquidité comme des « investment contracts » dans l’affaire LBRY. En 2024, elle avait attaqué Uniswap Labs avec un Wells Notice. En 2025, Consensys, Metamask et plusieurs protocoles de staking sont toujours sous le coup de poursuites.
La lettre de Citadel pourrait être l’arme fatale : une validation par un acteur TradFi majeur de la thèse selon laquelle « DeFi = CeFi mais en pire ».
La communauté crypto se mobilise
En quelques heures, des figures majeures ont pris position :
- Vitalik Buterin a retweeté Hayden avec le commentaire laconique : « This is why we can’t have nice things »
- Le compte officiel de Polygon a répondu : « Ils ont peur de la concurrence »
- Ryan Selkis (Messari) : « Ken Griffin veut juste protéger son monopole sur le PFOF »
- Même des comptes anonymes habituellement discrets sont sortis du bois
Et maintenant ?
La période de consultation publique de la SEC est ouverte jusqu’à début 2026. Chaque commentaire compte. Les associations comme la Blockchain Association et la DeFi Education Fund appellent déjà à la mobilisation générale.
Plusieurs scénarios sont possibles :
- La SEC ignore Citadel et maintient sa position actuelle (peu probable)
- La SEC crée un régime spécifique pour la DeFi (solution de compromis)
- La SEC suit Citadel et lance une vague d’enforcement sans précédent (pire scénario)
- Le Congrès s’en mêle et vote une loi claire (le plus long mais le plus sain)
En attendant, une chose est sûre : la bataille pour l’âme de la finance décentralisée est lancée. Et cette fois, l’adversaire n’est pas un régulateur isolé, mais l’un des plus puissants market makers de Wall Street.
Hayden Adams l’a dit mieux que personne :
Ils veulent nous faire payer le prix de leur propre opacité. Nous ne les laisserons pas faire.
À suivre de très près.
