Imaginez : vous vous levez tranquillement un matin, vous ouvrez votre Ledger ou votre MetaMask pour vérifier vos avoirs, et là… vous vous souvenez que dans quelques mois, vous devrez déclarer à Bercy la valeur exacte de ce portefeuille. Pas parce que vous avez vendu, pas parce que vous avez touché un euro, mais simplement parce que vous détenez plus de 5 000 € en cryptomonnaies en self-custody. Bienvenue dans la France de 2025.
Le 11 décembre 2025, en commission des finances à l’Assemblée nationale, un amendement discret mais explosif a été adopté. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le secteur crypto français n’a pas apprécié la surprise.
Un amendement qui change tout pour les détenteurs de wallets crypto
L’amendement, déposé dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, modifie l’article 1649 AC bis du Code général des impôts en ajoutant un paragraphe III qui instaure une obligation totalement inédite.
En clair : toute personne physique ou morale résidente fiscale française qui détient directement sur la blockchain (sans passer par un PSAN enregistré) un ou plusieurs portefeuilles d’actifs numériques dont la valeur vénale totale dépasse 5 000 € devra déclarer annuellement cette valeur à l’administration fiscale.
Peu importe que vous ayez acheté vos bitcoins en 2017 et que vous les conserviez religieusement. Peu importe que vous n’ayez jamais réalisé la moindre plus-value taxable. Vous devrez quand même remplir une nouvelle case dans votre déclaration d’impôt.
« Les détenteurs de portefeuilles d’actifs numériques auto-hébergés […] doivent notifier chaque année à l’administration fiscale la valeur vénale de leur portefeuille, dès que le montant total des actifs qu’il contient est supérieur à 5 000 euros ».
Extrait de l’amendement adopté – Assemblée nationale, décembre 2025
Pourquoi maintenant ? La justification officielle
Les auteurs de l’amendement s’appuient sur le rapport 2023 de la Cour des comptes qui pointait un « manque de lisibilité » sur les avoirs détenus en dehors des plateformes régulées (Binance, Coinbase, Kraken, etc.).
Pour l’administration fiscale, les wallets self-custody représentent aujourd’hui le trou noir de la lutte contre la fraude. On estime que des dizaines de milliards d’euros de cryptomonnaies dorment tranquillement sur des clés privées françaises, hors de tout radar.
L’objectif affiché est donc simple : combler ce vide juridique et permettre à Bercy d’avoir une vision à 360° du patrimoine crypto des Français.
Une mesure qui crée un précédent historique
Ce qui choque le plus le secteur, c’est que cette obligation de déclaration annuelle sans fait générateur taxable (c’est-à-dire sans vente) n’existe pour aucun autre type d’actif.
Aucun équivalent dans le droit commun :
- Vous avez 200 000 € en or physique dans un coffre ? Pas de déclaration annuelle.
- Vous possédez des tableaux de maître ou des bijoux pour 1 million d’euros ? Rien à signaler.
- Vous détenez des actions au porteur ou des obligations anonymes ? Aucune obligation.
- Mais vous avez 5 001 € en Bitcoin sur un Ledger ? Bienvenue dans le fichier des riches crypto !
Claire Balva, directrice générale de l’ADAN (Association pour le développement des actifs numériques), n’a pas mâché ses mots sur X :
« On instaure une surveillance patrimoniale généralisée qui n’existe pour aucun autre actif détenu sans intermédiaire. C’est un régime d’exception liberticide. »
Claire Balva – 11 décembre 2025
Les risques de sécurité qui font frémir
Au-delà du principe, c’est la mise en œuvre qui terrifie. Car cette déclaration va nécessairement créer une base de données centralisée contenant :
- L’identité complète du déclarant
- Son adresse fiscale
- La valeur déclarée de son portefeuille crypto
- Et potentiellement l’adresse publique du wallet (si décret futur l’exige)
Or, la France a un passif plutôt chargé en matière de fuites de données publiques. Petit rappel non exhaustif des dernières années :
| Organisme | Incident | Personnes touchées |
| France Travail (ex-Pôle emploi) | Fuite massive | 43 millions |
| Viamedis / Almerys | Piratage tiers payant | 33 millions |
| AP-HP | Vol données tests Covid | 1,4 million |
| Assurance retraite (CNAV) | Consultations illégitimes | 370 000 |
Dans un contexte où les agressions à domicile pour vol de cryptomonnaies se multiplient (affaire du fils du maire ukrainien en Autriche, affaires françaises récentes), créer un annuaire des détenteurs crypto français protégé par… Bercy, c’est prendre un risque énorme.
Une mesure techniquement inapplicable ?
Autre problème de taille : comment l’administration va-t-elle vérifier la sincérité des déclarations ?
Impossible de savoir si vous avez oublié un vieux wallet de 2013 contenant 2 BTC. Impossible de vérifier la valorisation exacte déclarée (surtout avec les NFT ou les tokens peu liquides). Tout repose sur la bonne foi du contribuable.
Comme le résume un avocat fiscaliste spécialisé crypto : « C’est une usine à gaz qui va générer plus de contentieux administratifs que de recettes fiscales. »
Et maintenant ? Les scénarios possibles
L’amendement a été adopté en commission, mais il reste plusieurs étapes :
- Vote en séance publique à l’Assemblée (probable adoption vu le soutien transpartisan)
- Passage au Sénat
- Eventuelle commission mixte paritaire
- Publication du décret d’application (qui précisera les modalités précises)
Le secteur crypto français s’organise déjà. L’ADAN prépare une campagne massive d’opposition et réfléchit à un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel pour atteinte disproportionnée aux libertés.
Certains députés, même dans la majorité, commencent à douter et parlent d’un possible retrait ou d’une forte amendmentation en séance.
Ce que ça change concrètement pour vous
Si la mesure entre en vigueur (probable dès la déclaration 2026 sur les revenus 2025), voici ce qui vous attend :
- Obligation de valoriser tous vos wallets self-custody au 31 décembre
- Déclaration via un nouveau formulaire (probablement le 2086 bis ou une nouvelle annexe)
- Sanctions en cas de non-déclaration (amende forfaitaire + majorations possibles)
- Conservation des justificatifs de valorisation pendant 6 ans
En résumé, la France franchit un cap symbolique : elle devient le premier pays au monde à imposer une surveillance patrimoniale annuelle sur les cryptomonnaies détenues en autonomie, créant un précédent qui pourrait inspirer d’autres États… ou au contraire servir d’exemple à ne pas suivre.
Entre la volonté légitime de lutter contre la fraude et le risque réel d’une dérive sécuritaire, le débat ne fait que commencer. Et vous, de quel côté êtes-vous ?
