Imaginez un monde où quelques acteurs détiennent les clés d’un réseau censé être libre et décentralisé. Sur Ethereum, ce scénario n’est pas une fiction : environ 80 % des blocs sont aujourd’hui produits par seulement deux entités majeures. À l’origine de ce paradoxe, une pratique controversée : le Maximal Extractable Value, ou MEV. Mais une proposition audacieuse pourrait-elle renverser la table et ramener l’équité dans cet écosystème ? Plongeons dans cette problématique qui secoue la blockchain.
Le MEV : Une Menace Croissante pour Ethereum
Le réseau Ethereum, pilier de la finance décentralisée, repose sur un principe sacré : personne ne devrait dominer les autres. Pourtant, l’émergence du MEV a bouleversé cet idéal. Mais qu’est-ce que le MEV, au juste ? En résumé, il s’agit de la valeur maximale qu’un acteur peut extraire en manipulant l’ordre ou le contenu des transactions dans un bloc. Une pratique qui, si elle semble technique, a des répercussions bien concrètes.
MEV-Boost : L’Outil Qui Centralise
Depuis le passage d’Ethereum à la preuve d’enjeu avec *The Merge*, un logiciel nommé MEV-Boost est devenu incontournable pour les validateurs. Développé par Flashbots, il s’appuie sur une architecture appelée **Proposer-Builder Separation (PBS)**. L’idée ? Séparer les rôles entre ceux qui construisent les blocs (*builders*) et ceux qui les proposent au réseau (*proposers*). Sur le papier, cela devait optimiser la production tout en limitant les abus. Dans les faits, c’est une autre histoire.
Comment fonctionne le duo proposer-builder ?
- Les *builders* trient et ordonnent les transactions pour maximiser leur profit, souvent via le MEV.
- Les *proposers* choisissent parmi les blocs proposés celui qui rapporte le plus.
- Le bloc retenu est ensuite validé et ajouté à la blockchain.
Malheureusement, cette séparation a un effet pervers : une poignée d’acteurs, comme les coalitions de *builders* et de relais (notamment Flashbots), dominent le marché. Aujourd’hui, près de 80 % des blocs passent par ces entités. Un chiffre qui fait grincer des dents dans une communauté attachée à la décentralisation.
Pourquoi Cette Centralisation Pose Problème
Quand quelques joueurs contrôlent la majorité des blocs, le risque est double. D’abord, cela fragilise la résilience du réseau : un point de défaillance unique pourrait être exploité. Ensuite, cela va à l’encontre de l’esprit d’Ethereum, où chaque participant devrait avoir une chance égale de contribuer. Le MEV, en favorisant les acteurs les plus puissants, creuse cet écart.
« La centralisation actuelle est un retour en arrière déguisé en progrès technique. »
Un observateur anonyme de la communauté Ethereum
Et ce n’est pas tout. Les profits générés par le MEV – parfois des millions en une seule journée – attirent des entités prêtes à investir massivement pour garder leur avantage. Résultat : les petits validateurs sont laissés sur le carreau, incapables de rivaliser.
Une Proposition Radicale pour Tout Changer
Face à ce constat, un développeur connu sous le pseudonyme de **malik672** a décidé d’agir. Fin février 2025, il a publié une idée audacieuse sur le forum Ethresearch : repenser totalement la création des blocs pour éradiquer le MEV et décentraliser le processus. Sa solution ? Un système basé sur un algorithme aléatoire partagé par tous les clients Ethereum.
L’objectif est simple mais ambitieux : retirer le pouvoir des mains de quelques *builders* et le redistribuer à l’ensemble du réseau. Comment ? En faisant en sorte que chaque client Ethereum propose un bloc candidat, construit à partir d’un tri aléatoire des transactions. Fini les enchères pour le bloc le plus rentable ; place à l’équité.
Comment Fonctionne Cette Idée
Le système proposé par malik672 repose sur quelques étapes clés. D’abord, chaque client utilise un algorithme commun pour sélectionner et ordonner les transactions de manière aléatoire. Ensuite, ces blocs candidats sont diffusés aux validateurs, qui choisissent collectivement lequel intégrer via un mécanisme de consensus. Simple, mais révolutionnaire.
Les atouts de cette approche :
- Le MEV devient quasi impossible, car l’ordre des transactions est imprévisible.
- Tous les participants peuvent proposer des blocs, pas seulement les gros acteurs.
- Le réseau redevient robuste grâce à une redondance accrue.
En pratique, cela signifie que les validateurs n’ont plus à dépendre des *builders* ou de logiciels comme MEV-Boost. Chaque nœud du réseau devient un contributeur actif, renforçant ainsi l’idée d’une blockchain sans hiérarchie.
PBS vs Proposition Aléatoire : Le Duel
Pour mieux comprendre l’impact de cette proposition, comparons-la au système actuel. Malik672 lui-même a dressé un tableau des différences, et les contrastes sont frappants.
Critère | Proposition Aléatoire | PBS (MEV-Boost) |
---|---|---|
MEV | Supprimé au niveau des blocs | Optimisé et redistribué |
Décentralisation | Maximale (tous proposent) | Moyenne (80 % par 2 entités) |
Vitesse | 6-8 secondes par slot | 12 secondes par slot |
Résilience | Élevée (redondance) | Bonne (mais risques relais) |
Le système aléatoire sacrifie une partie de l’optimisation (comme l’évolutivité des rollups) au profit d’une décentralisation pure. Un choix philosophique autant que technique, qui pourrait séduire les puristes d’Ethereum.
Les Obstacles à Surmonter
Mais cette révolution ne sera pas sans heurts. D’abord, le MEV représente un marché juteux : certains acteurs, qui en tirent des profits colossaux, risquent de s’opposer farouchement à cette réforme. Ensuite, la proposition de malik672 n’a pas encore suscité de réactions majeures dans la communauté. Est-ce un signe d’indifférence ou simplement un manque de visibilité ?
De plus, le réseau Ethereum est déjà en pleine mutation avec le hard fork **Pectra**, prévu pour 2025. Les développeurs sont occupés à peaufiner cette mise à jour, qui a connu des débuts chaotiques sur le testnet Holesky. Ajouter une refonte aussi radicale au programme pourrait compliquer les choses.
Vers un Ethereum Plus Juste ?
La proposition de malik672 soulève une question fondamentale : que vaut la décentralisation si elle est compromise par des outils censés l’améliorer ? En éliminant le MEV et en rendant la création de blocs accessible à tous, ce système pourrait redonner à Ethereum ses lettres de noblesse. Mais entre les résistances économiques et les défis techniques, le chemin sera long.
« C’est un pari sur l’équité, pas sur l’efficacité à tout prix. »
Une voix de la communauté blockchain
Pour l’instant, l’idée reste théorique. Mais si elle gagne du terrain, elle pourrait marquer un tournant dans l’histoire d’Ethereum. À l’heure où le réseau se prépare à des mises à jour cruciales, une chose est sûre : le débat sur la centralisation ne fait que commencer.