Imaginez un monde où votre maison, votre obligation d’État ou même votre compte bancaire existent sous forme de token sur une blockchain, transférables en quelques secondes, 24h/24, à l’autre bout de la planète, avec une transparence totale. En 2024, cela ressemblait encore à de la science-fiction pour la plupart des institutions financières. En 2025 ? C’est devenu la nouvelle norme.
Cette année restera dans l’histoire de la finance comme celle où la tokenisation est passée du statut de buzzword à celui de réalité industrielle massive. Et le déclencheur ? Une loi américaine inattendue, votée sous l’impulsion d’un Congrès enfin aligné sur l’innovation.
2025, l’année où tout a basculé grâce au GENIUS Act
Le GENIUS Act (Generating Engagement in New Innovative Utility for Stablecoins) a été promulgué en début d’année 2025. Cette loi impose aux émetteurs de stablecoins d’être 100 % adossés à des actifs liquides (cash, Treasuries à court terme), de publier mensuellement leurs réserves et d’être supervisés par les autorités bancaires fédérales.
Ce qui aurait pu être perçu comme une contrainte réglementaire lourde s’est révélé être le plus grand catalyseur jamais vu pour l’adoption institutionnelle. Pourquoi ? Parce qu’elle a donné aux grandes entreprises la certitude juridique qu’elles attendaient depuis 2017.
« Le GENIUS Act a fait pour les stablecoins ce que la loi sur les fonds monétaires de 1970 a fait pour les money market funds : il a transformé un produit risqué en un actif sûr et institutionnel. »
William Quigley, cofondateur de Tether (USDT)
Les géants américains montrent l’exemple
PayPal avait ouvert la voie dès 2023 avec PayPal USD (PYUSD). Mais 2025 a vu une accélération fulgurante.
- World Liberty Financial, la société crypto de la famille Trump, lance USD1, un stablecoin adossé à 100 % aux Treasuries américains.
- Walmart et Amazon déposent des demandes auprès de l’OCC pour émettre leurs propres stablecoins corporate.
- Google Cloud commence à accepter les paiements en USDC et USDT pour ses services entreprise.
- Meta, après l’échec de Libra/Diem, intègre discrètement USDC et Tether pour payer les paiements créateurs sur Instagram et WhatsApp.
Résultat ? Le volume quotidien de transactions en stablecoins réglementés a été multiplié par six en un an, dépassant les 2 000 milliards de dollars par jour en novembre 2025.
L’Europe et l’Asie ne veulent pas rester à la traîne
Dès l’adoption du GENIUS Act, les grandes banques mondiales ont compris que le train était en marche.
Les initiatives bancaires majeures lancées en 2025
- 10 banques américaines (Bank of America, Citi, Goldman Sachs…) créent le consortium « US Stablecoin Alliance »
- 9 grandes banques européennes (ING, Barclays, Santander…) lancent le projet « Euro Stablecoin Initiative »
- Les trois mégabanques japonaises (MUFG, SMFG, Mizuho) annoncent un yen stablecoin commun pour 2026
- Sony Bank (via Sony Bank) et Deutsche Telekom entrent directement dans l’arène
- AllUnity (DWS + Flow Traders + Galaxy) obtient l’approbation BaFin pour un stablecoin euro
Même les pays émergents se lancent : l’Inde prépare son Asset Reserve Certificate, les Émirats et l’Arabie Saoudite avancent sur le projet conjoint ABER, et la Russie utilise déjà le stablecoin rouble A7A5 pour contourner certaines sanctions.
La tokenisation des actifs réels (RWA) explose
Au-delà des stablecoins, 2025 a vu la tokenisation des Real World Assets devenir mainstream.
BlackRock, Fidelity et Franklin Templeton ont tous lancé des fonds tokenisés sur Ethereum et Solana, représentant plus de 450 milliards de dollars d’actifs sous gestion tokenisés à fin 2025. Les obligations du Trésor américain tokenisées (via des plateformes comme Ondo Finance ou Figure) atteignent 800 milliards de dollars – soit plus que la capitalisation totale du Bitcoin en 2023 !
« Nous sommes en train de vivre la plus grande transformation de la structure du capital depuis l’invention des actions au XVIIe siècle. »
Larry Fink, PDG de BlackRock, novembre 2025
Les paiements transfrontaliers : la killer app
41 % des entreprises utilisant des stablecoins réglementés déclarent avoir réduit leurs coûts de paiement international de plus de 10 %. Certaines multinationales annoncent jusqu’à 80 % d’économies sur les transferts Asie-Europe.
Exemple concret : une PME française qui payait 7 % de frais + 3 jours de délai pour envoyer de l’argent en Chine passe à 0,1 % et 8 secondes avec USDC sur Stellar ou Solana. L’effet est immédiat sur les marges.
Le grand frein : la fragmentation réglementaire et fiscale
Malgré l’euphorie, un obstacle majeur demeure : il n’existe toujours pas de cadre réglementaire et fiscal mondial harmonisé.
- Le CARF (Crypto-Asset Reporting Framework) de l’OCDE entre en vigueur en 2027-2028, mais chaque pays l’implémente à sa sauce
- Les États-Unis imposent le Form 1099-DA aux brokers centralisés dès 2025, mais les plateformes DeFi échappent (pour l’instant) grâce à l’annulation de la règle par le Congrès
- L’Europe avance avec MiCA, mais l’Asie et l’Amérique latine restent très hétérogènes
- Plus de 15 pays ont mis en place des taxes unilatérales sur les services numériques, créant un risque de double imposition
Résultat ? Une entreprise qui tokenise un actif aux États-Unis peut se retrouver avec des obligations fiscales différentes dans 180 pays. Cela freine encore l’adoption totale.
Pourquoi un système mondial unique reste (pour l’instant) impossible
Trois raisons fondamentales expliquent cette fragmentation :
- Souveraineté monétaire – Aucun État n’est prêt à céder le contrôle de sa politique monétaire à un système supranational
- Différences de lutte anti-blanchiment – La règle du voyage (Travel Rule) est appliquée strictement en Occident, mais très partiellement ailleurs
- Enjeux géopolitiques – La Chine, la Russie ou l’Inde développent des systèmes parallèles pour réduire leur dépendance au dollar
Le rêve d’un « WorldCoin » unique ou d’un stablecoin mondial accepté partout reste donc, pour l’instant, une utopie.
Et demain ? Vers une tokenisation inéluctable, pas à pas
Malgré ces obstacles, la dynamique est lancée. Chaque mois, de nouveaux actifs sont tokenisés : immobilier fractionné à Dubaï, obligations vertes en Europe, royalties musicales aux États-Unis, crédits carbone en Afrique.
Les experts s’accordent : d’ici 2030, entre 10 et 20 % des actifs financiers mondiaux pourraient être tokenisés. Cela représente entre 15 000 et 30 000 milliards de dollars.
La révolution ne se fera pas en un jour, ni par un big bang réglementaire mondial. Elle avance nation par nation, banque par banque, entreprise par entreprise. Mais elle avance inexorablement.
2025 n’était pas la fin du chemin. C’était le début de l’âge d’or de la tokenisation.
Et vous, avez-vous déjà utilisé un stablecoin réglementé cette année ? Ou possédez-vous des actifs tokenisés ? La finance de demain se construit aujourd’hui, sous nos yeux.

