Imaginez-vous entrer dans la salle des marchés principale d’une des plus grandes banques de Corée du Sud. Les écrans géants défilent habituellement avec le cours dollar/won, l’indice KOSPI, les taux obligataires… Et soudain, au milieu de tout cela, le prix du Bitcoin en temps réel. Ce n’est plus de la science-fiction : c’est ce qui se passe depuis quelques jours chez Woori Bank à Séoul.
Un symbole fort. Un signal clair. Les cryptomonnaies ne sont plus reléguées dans une catégorie à part : elles font désormais partie intégrante du paysage financier suivi par les traders traditionnels.
Quand Woori Bank fait entrer Bitcoin dans le saint des saints
Woori Bank, quatrième établissement bancaire du pays avec plus de 30 000 milliards de wons d’actifs (environ 21 milliards d’euros), a discrètement activé l’affichage du cours du Bitcoin dans sa dealing room principale du quartier de Myeongdong, au cœur de Séoul.
Le cours apparaît désormais sur les mêmes écrans que les grandes devises fiat et les indices boursiers. Un responsable de la banque a expliqué cette décision de façon limpide :
« Les actifs numériques gagnent en influence dans les marchés financiers mondiaux. Nous avons jugé nécessaire de les suivre comme un indicateur clé pour mieux comprendre les tendances globales. »
Porte-parole de Woori Bank
En clair : Bitcoin n’est plus considéré comme un actif spéculatif marginal, mais comme un baromètre du sentiment de risque mondial, au même titre que le VIX ou le cours de l’or.
Un mouvement qui dépasse Woori Bank
Woori n’est pas la première banque coréenne à se rapprocher du secteur crypto, mais elle est la première à franchir ce cap symbolique dans sa salle des marchés.
Cette semaine même, Hana Financial Group (maison-mère de KEB Hana Bank) a annoncé un partenariat stratégique avec Dunamu, l’opérateur de la plateforme Upbit, la plus grande bourse crypto du pays. Objectif : intégrer la blockchain dans les services de transfert internationaux et de gestion de données financières.
Le PDG de Woori Bank, Jung Jin-wan, avait déjà préparé le terrain en octobre en déclarant que « les systèmes de paiement et les écosystèmes d’actifs numériques deviennent de plus en plus interconnectés » et qu’ils représentaient « de nouvelles opportunités de revenus » pour les banques.
Vers des stablecoins 100 % contrôlés par les banques coréennes
Mais l’histoire ne s’arrête pas à l’affichage d’un cours. Le gouvernement et le parti démocrate au pouvoir étudient actuellement une loi qui réserverait l’émission de stablecoins libellés en won à des consortiums dominés par les banques, avec obligation de détention majoritaire.
Si ce projet aboutit, des géants comme KB Kookmin, Shinhan, Hana et Woori deviendraient les seuls émetteurs légaux de « won numérique » adossé 1:1 aux réserves bancaires. Une façon de garder la main sur la monnaie digitale tout en profitant de l’engouement pour les cryptos.
Ce que cela signifie concrètement :
- Les banques coréennes pourraient lancer leurs propres stablecoins won ultra-fiables
- Les exchanges locaux (Upbit, Bithumb…) seraient obligés de les adopter pour les paires en KRW
- Les utilisateurs garderaient une interface crypto mais avec une garantie bancaire totale
- Le gouvernement garderait un contrôle indirect sur les flux
Régulation : la Corée passe à la vitesse supérieure
Parallèlement à ces rapprochements, Séoul durcit le ton sur la régulation. Le pays, déjà connu pour sa fermeté, prépare plusieurs mesures phares pour 2026 :
- Baisse du seuil de la Travel Rule : toutes les transactions crypto au-dessus de 1 million de wons (environ 680 €) devront transmettre les informations d’identité
- Gel préventif des comptes suspects par la Financial Intelligence Unit avant même une décision de justice
- Alignement total sur les standards du GAFI (FATF)
Ces mesures visent à couper l’herbe sous le pied aux blanchisseurs qui fractionnent leurs transferts pour passer sous les radars actuels.
Pourquoi c’est un tournant majeur pour l’Asie
La Corée du Sud n’est pas n’importe quel pays dans l’univers crypto. C’est le quatrième marché mondial en volume d’échange, avec un « Kimchi Premium » souvent supérieur à 10 % lors des bulles. Les Coréens représentent une part disproportionnée des volumes sur Bitcoin et les altcoins.
Quand une banque de l’importance de Woori décide d’afficher Bitcoin dans sa salle des marchés, cela envoie un message mondial : les institutions financières traditionnelles valident officiellement les cryptomonnaies comme classe d’actifs à part entière.
Et quand le régulateur prépare en parallèle un cadre qui donne aux banques le monopole des stablecoins nationaux, on assiste à une forme d’adoption institutionnelle « à la coréenne » : prudente, contrôlée, mais résolument tournée vers l’avenir.
Et les investisseurs dans tout ça ?
Pendant que les marchés locaux étaient fermés pour les vacances de Chuseok, les investisseurs coréens ont massivement acheté des ETF américains exposés à la tech et aux cryptos. Preuve que l’appétit reste intact.
Avec l’arrivée probable de stablecoins bancaires et une régulation plus claire, on peut s’attendre à une nouvelle vague d’investissements institutionnels locaux dans le Bitcoin et les grandes cryptos.
Le message est clair : en Corée du Sud, la révolution crypto ne se fera pas contre les banques, mais avec elles.
Et quand on voit le prix du Bitcoin s’afficher fièrement aux côtés du dollar dans la salle des marchés de Woori Bank, on comprend que le futur est déjà là.
