Imaginez un petit pays d’Amérique centrale qui défie les institutions financières mondiales en adoptant le Bitcoin comme monnaie légale. Quatre ans plus tard, il négocie toujours âprement un prêt vital tout en continuant d’acheter massivement du BTC. Cette histoire, c’est celle d’El Salvador, et elle vient de connaître un nouveau tournant décisif.
El Salvador et le FMI : des négociations qui avancent enfin
Le 23 décembre 2025, une annonce conjointe a marqué un pas important dans les relations tendues entre le Fonds monétaire international et le gouvernement salvadorien. Les discussions sur la cession du wallet gouvernemental Chivo sont désormais bien avancées, et les échanges autour du projet Bitcoin se poursuivent avec un objectif clair : renforcer la transparence et limiter les risques financiers.
Cette avancée n’est pas anodine. Elle conditionne l’accès à un programme de financement de 1,4 milliard de dollars dont le pays a cruellement besoin pour soutenir son économie. Après des années de blocage, les deux parties semblent enfin trouver un terrain d’entente.
Les négociations pour la vente du portefeuille électronique gouvernemental Chivo sont bien avancées, et les discussions concernant le projet Bitcoin se poursuivent, centrées sur le renforcement de la transparence, la protection des ressources publiques et l’atténuation des risques.
Mission du FMI pour El Salvador
Retour sur une relation conflictuelle
Tout a commencé en septembre 2021. Nayib Bukele, président charismatique et adepte des réseaux sociaux, annonçait que le Bitcoin devenait monnaie légale aux côtés du dollar américain. La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe dans le monde financier.
Le FMI n’avait pas tardé à réagir. Dès les premiers jours, l’institution mettait en garde contre les risques majeurs pour la stabilité financière, la santé budgétaire et la protection des consommateurs. Les négociations pour un prêt de plusieurs milliards, entamées plus tôt dans l’année, se sont alors brutalement interrompues.
Pendant près de quatre ans, le dialogue est resté au point mort. Le FMI conditionnait toute aide à un recul significatif de la stratégie Bitcoin du gouvernement. El Salvador, de son côté, multipliait les initiatives pro-crypto : lancement du wallet Chivo, achats réguliers de Bitcoin pour les réserves nationales, projets de Bitcoin City…
Le compromis de fin 2024
Le tournant est survenu fin 2024. Après d’intenses tractations, un accord de principe a été trouvé au niveau des équipes techniques. El Salvador acceptait de modérer son engagement public dans le Bitcoin en échange de l’accès au financement du FMI.
Les principales concessions salvadoriennes :
- Rendre l’acceptation du Bitcoin volontaire pour les entreprises (plus obligatoire)
- Retirer le secteur public de certaines infrastructures crypto
- Limiter l’utilisation du Bitcoin pour les paiements fiscaux
- Engager la vente du wallet gouvernemental Chivo
Ces mesures visent à réduire l’exposition directe de l’État aux fluctuations du marché crypto. Le FMI, de son côté, reconnaît les progrès réalisés et projette une croissance de 4 % du PIB pour El Salvador en 2025, portée par la confiance retrouvée et les investissements.
La vente du wallet Chivo : un symbole fort
Le wallet Chivo, lancé en grande pompe en 2021, incarnait la volonté du gouvernement de faciliter l’adoption massive du Bitcoin. Distribué gratuitement avec 30 dollars en BTC à chaque citoyen, il devait devenir l’outil central de la révolution crypto salvadorienne.
Aujourd’hui, sa mise en vente marque un recul symbolique important. Elle répond directement aux critiques du FMI sur l’implication excessive de l’État dans le secteur privé des cryptomonnaies.
Cette opération pourrait intéresser des acteurs privés du secteur crypto désireux de s’implanter dans un pays encore officiellement pro-Bitcoin. Elle permettrait aussi au gouvernement de récupérer des fonds tout en se conformant aux exigences internationales.
El Salvador continue d’acheter du Bitcoin
Paradoxalement, alors que les négociations avec le FMI avancent sur la base d’un désengagement partiel, le gouvernement salvadorien n’a jamais autant acheté de Bitcoin.
Récemment, le pays a réalisé sa plus grosse acquisition jamais enregistrée : 1 090 BTC en une seule journée. À ce rythme, les réserves nationales atteignent désormais 7 475,4 BTC, pour une valeur d’environ 653 millions de dollars au cours actuel.
Cette stratégie d’accumulation régulière, souvent annoncée directement par Nayib Bukele sur les réseaux sociaux, montre que le pays ne renonce pas à sa vision long terme. Le Bitcoin reste perçu comme une réserve de valeur stratégique face à l’inflation et aux dettes en dollars.
Un écosystème crypto qui se développe
Malgré les concessions au FMI, El Salvador continue d’attirer les entreprises crypto. L’adoption récente d’une nouvelle loi sur les banques d’investissement ouvre la voie à des services financiers spécialisés en actifs numériques.
Le cas le plus marquant reste celui de Tether, émetteur du plus grand stablecoin mondial (USDT), qui a récemment transféré son siège social à San Salvador. Cette implantation renforce l’image du pays comme hub crypto émergent.
D’autres projets, comme les obligations volcaniques initialement prévues pour financer Bitcoin City, restent dans les cartons même s’ils ont été mis en sourdine pour ne pas froisser le FMI.
Les arguments du FMI restent inchangés
De son côté, le Fonds monétaire international maintient sa position prudente. La volatilité du Bitcoin continue d’être vue comme une menace pour la stabilité macroéconomique d’un petit pays fortement dollarisé.
Les risques identifiés dès 2021 restent d’actualité : exposition budgétaire, blanchiment d’argent potentiel, impact sur les consommateurs peu protégés. Le FMI demande donc des garde-fous renforcés en matière de transparence et de régulation.
L’économie se développe plus rapidement que prévu grâce à une confiance améliorée, des transferts de fonds records et des investissements dynamiques.
Rapport du FMI sur El Salvador
Cependant, le ton s’est adouci. L’institution reconnaît les efforts du gouvernement Bukele et les résultats économiques positifs. La croissance de 4 % prévue pour 2025 dépasse les attentes initiales.
Quelle issue pour ce bras de fer ?
La situation actuelle illustre parfaitement la complexité des relations entre un État souverain et les institutions financières internationales. El Salvador marche sur une corde raide : obtenir le financement dont il a besoin tout en préservant sa vision crypto.
La vente du wallet Chivo pourrait être finalisée dans les prochains mois, débloquant ainsi une nouvelle tranche du prêt. Mais rien n’indique que le pays cessera ses achats de Bitcoin ou renoncera à son statut pionnier.
Au contraire, le gouvernement semble vouloir démontrer qu’il est possible de concilier prudence macroéconomique et innovation crypto. Une approche pragmatique qui pourrait inspirer d’autres nations émergentes.
Vers une normalisation de la stratégie Bitcoin salvadorienne
Quatre ans après l’annonce choc, la stratégie Bitcoin d’El Salvador entre dans une phase de maturation. Le pays conserve son statut unique de première nation à avoir adopté le BTC comme monnaie légale, mais avec des ajustements significatifs.
Cette évolution montre qu’une adoption massive du Bitcoin par un État nécessite des compromis. Entre idéal révolutionnaire et réalités économiques, le gouvernement Bukele choisit une voie médiane.
L’avenir dira si ce modèle hybride peut servir d’exemple. Pour l’instant, El Salvador continue de tracer sa route, entre négociations internationales et accumulation silencieuse de Bitcoin. Une histoire fascinante qui n’a pas fini de faire parler.
Le petit pays d’Amérique centrale reste plus que jamais au centre de l’attention mondiale dans le débat sur l’avenir des cryptomonnaies comme outil de souveraineté économique.
