Imaginez un monde où les stablecoins, ces cryptomonnaies arrimées au dollar, deviennent le pivot de la finance numérique mondiale. Avec le vote imminent du Genius Act au Sénat américain, ce scénario pourrait bientôt devenir réalité. Mais à quel prix, et pour qui ? Ce projet de loi, qui promet de réguler les stablecoins aux États-Unis, divise les acteurs du secteur : certains y voient une aubaine, d’autres une menace. Plongeons dans les méandres de cette législation pour comprendre qui en sortira gagnant, et qui pourrait y laisser des plumes.
Le Genius Act : Un Tournant pour les Stablecoins
Le Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins Act, ou Genius Act, est sur le point de franchir une étape décisive. Après des mois de débats houleux, le Sénat américain a voté le 19 mai 2025 en faveur de la clôture des débats, avec 66 voix contre 32. Ce vote ouvre la voie à une adoption finale imminente, prévue dans les prochains jours. Mais que change vraiment ce texte, et pourquoi suscite-t-il autant de passions ?
Une Régulation Claire pour les Stablecoins
Le Genius Act ambitionne de poser les bases d’un cadre fédéral pour les stablecoins de paiement. Ces cryptomonnaies, conçues pour maintenir une valeur stable, ne seront plus considérées comme des titres ou des matières premières. Elles échapperont ainsi à la juridiction de la SEC ou de la CFTC, pour être régulées comme des instruments de paiement. Ce changement est monumental : il clarifie le statut juridique des stablecoins et ouvre la porte à une adoption massive par les institutions financières.
Les trois piliers de l’éligibilité des émetteurs
- Filiales de banques assurées, approuvées par la Réserve fédérale.
- Entités non bancaires supervisées par l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC).
- Émetteurs régulés par les États, sous réserve d’un alignement avec les normes fédérales.
Ce cadre, supervisé par un nouveau Comité de certification des stablecoins, impose des règles strictes : les émetteurs devront détenir des réserves en actifs liquides, comme des bons du Trésor à court terme ou des dépôts bancaires assurés. De plus, des mesures anti-blanchiment renforcées, incluant des analyses blockchain et des outils d’intelligence artificielle, seront obligatoires.
Les stablecoins doivent être un pilier de la finance numérique, mais sans compromettre la stabilité du système.
David Sacks, responsable crypto et IA à la Maison Blanche
Le texte protège également les consommateurs. En cas de faillite d’un émetteur, les détenteurs de stablecoins seront prioritaires pour récupérer leurs fonds. Les pratiques marketing trompeuses, comme les promesses de rendements pour les investisseurs particuliers, seront interdites. Enfin, un moratoire temporaire sur les stablecoins algorithmiques vise à limiter les risques systémiques, en attendant une étude approfondie du Trésor américain d’ici fin 2025.
Les Gagnants : Les Géants Bien Préparés
Certains acteurs du marché crypto sont prêts à tirer leur épingle du jeu. Les grandes entreprises comme Circle, émetteur de l’USD Coin (USDC), sont en pole position. Leurs pratiques, déjà alignées sur des normes strictes de transparence et de conformité, leur permettront de s’adapter rapidement. Circle pourrait même renforcer sa part de marché, estimée à environ 20 % des 250 milliards de dollars de stablecoins en circulation.
Les institutions financières traditionnelles bénéficieront également. En supprimant les contraintes comptables héritées du SAB 121, le Genius Act permet aux banques de détenir des stablecoins sans les comptabiliser comme des passifs. Cela pourrait encourager des géants comme JPMorgan ou Goldman Sachs à se lancer dans l’émission de stablecoins, renforçant leur présence dans la finance numérique.
Pourquoi les grandes institutions gagnent
- Moins de contraintes comptables pour les banques.
- Accès facilité au marché des stablecoins.
- Capacité à absorber les coûts de conformité, estimés entre 5 et 10 millions de dollars par an.
Enfin, le dollar américain lui-même pourrait sortir renforcé. En imposant un cadre strict pour les stablecoins adossés au dollar, les États-Unis consolident leur influence dans la finance mondiale, face à des concurrents comme la Chine ou l’Union européenne.
Les Perdants : Petits Acteurs et Émetteurs Offshore
Si les géants s’en sortent bien, les petits émetteurs risquent de souffrir. Les coûts de conformité, pouvant atteindre 10 millions de dollars par an pour les entreprises de taille moyenne, pourraient les pousser hors du marché. Cette pression pourrait conduire à une consolidation, où seuls les acteurs dominants survivront.
Le Genius Act risque de créer un oligopole où seuls les plus gros joueurs prospèrent.
Analyste du marché crypto
Les émetteurs étrangers, comme Tether (USDT), font face à des défis encore plus grands. Avec une part de marché de plus de 143 milliards de dollars, Tether est critiqué pour son manque de transparence sur ses réserves. Le Genius Act pourrait les obliger à se restructurer ou à quitter le marché américain, à moins qu’ils ne créent une filiale conforme aux normes fédérales. Les amendes, pouvant atteindre 1 million de dollars par infraction, ajoutent une pression supplémentaire.
Les acteurs de la finance décentralisée (DeFi) ne sont pas épargnés. Le moratoire sur les stablecoins algorithmiques, perçu comme une réponse au fiasco de TerraUSD, limite l’innovation dans ce secteur. Les développeurs DeFi craignent que cette restriction freine l’adoption de solutions décentralisées, au profit de modèles centralisés.
Les Critiques : Un Équilibre Précaire
Le Genius Act n’échappe pas aux critiques. Certains, comme la sénatrice Elizabeth Warren, dénoncent un texte trop permissif envers les grandes entreprises technologiques. Elle craint que des géants comme Meta ou X puissent exploiter des failles pour émettre des stablecoins sous une supervision laxiste, menaçant ainsi les consommateurs.
Ce projet de loi pourrait ouvrir la voie à une corruption crypto sous l’égide de l’administration Trump.
Elizabeth Warren, sénatrice
Le Tether loophole, pointé par le GeoEconomics Center de l’Atlantic Council, est une autre source d’inquiétude. Ce vide juridique permettrait à des émetteurs étrangers de continuer à opérer aux États-Unis sans se conformer pleinement aux exigences de réserves. Cela pourrait créer une concurrence déloyale, au détriment des émetteurs locaux.
Enfin, le modèle de double régulation (fédéral et étatique) soulève des questions. Si les petits émetteurs peuvent opérer sous des régimes étatiques pour des capitalisations inférieures à 10 milliards de dollars, cette flexibilité pourrait engendrer des incohérences. Les critiques appellent à une harmonisation internationale, similaire au cadre MiCA en Europe.
Perspectives : Un Marché en Mutation
Le marché des stablecoins, évalué à 250 milliards de dollars en 2025, pourrait atteindre 400 milliards d’ici 2030. Le Genius Act pourrait accélérer cette croissance, mais à quel coût ? Les grandes institutions, bien équipées pour répondre aux exigences, devraient dominer. En revanche, les petits acteurs et les émetteurs offshore risquent de perdre du terrain, tandis que la DeFi pourrait voir son innovation freinée.
Les impacts clés du Genius Act
- Croissance du marché : Les stablecoins pourraient devenir un pilier de la finance numérique.
- Consolidation : Les petits émetteurs risquent de disparaître face aux coûts de conformité.
- Influence du dollar : Les USA renforcent leur emprise sur la finance mondiale.
- Frein à l’innovation : Le moratoire sur les stablecoins algorithmiques limite la DeFi.
En conclusion, le Genius Act marque un tournant pour les stablecoins et la finance numérique. S’il offre des opportunités aux acteurs bien établis, il impose des défis majeurs aux petits émetteurs et à la DeFi. À l’heure où le vote final approche, une question demeure : ce cadre renforcera-t-il la stabilité financière, ou creusera-t-il les inégalités dans le monde crypto ?