Saviez-vous que l’Éthiopie, un pays où les cryptomonnaies sont officiellement interdites, se prépare à les réguler ? Cette nouvelle, à première vue paradoxale, illustre les tensions entre innovation technologique et contrôle étatique dans un continent en pleine transformation numérique. Alors que l’Afrique émerge comme un acteur clé du marché crypto mondial, l’Éthiopie semble vouloir équilibrer sécurité financière et adoption des nouvelles technologies. Mais comment un pays peut-il encadrer une pratique qu’il interdit ? Plongeons dans cette démarche surprenante et ses implications.
Un Paradoxe Éthiopien : Réguler l’Interdit
Le Service de Renseignements Financiers éthiopien (FIS) a récemment annoncé des préparatifs pour encadrer les cryptomonnaies, bien que celles-ci restent illégales dans le pays. Cette initiative intervient dans un contexte où l’utilisation des actifs numériques, bien que non autorisée, semble se développer dans l’ombre. L’objectif ? Mettre en place des mécanismes pour surveiller et contrôler ces transactions, tout en luttant contre leur utilisation à des fins criminelles comme le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme.
Les cryptomonnaies, bien qu’interdites, ne peuvent pas être toutes considérées comme illégales à moins d’être liées à des crimes comme le terrorisme ou la fraude.
Muluken Amare, Directeur du FIS
Cette déclaration, prononcée lors d’une réunion régionale à Addis-Abeba, reflète une prise de conscience : interdire ne suffit plus. Le FIS collabore avec des partenaires internationaux, notamment l’ONU et des membres de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG), pour former ses équipes à détecter les usages illicites des cryptos. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Pourquoi l’Éthiopie s’intéresse aux cryptomonnaies ?
Le continent africain connaît une adoption fulgurante des cryptomonnaies. Selon un rapport de Chainalysis, l’Afrique subsaharienne a enregistré une croissance de 1200 % des transactions crypto entre 2020 et 2021. L’Éthiopie, bien qu’en retard par rapport à des pays comme le Nigeria ou le Kenya, ne peut ignorer cette tendance. Plusieurs facteurs expliquent cet intérêt croissant :
Les raisons de l’intérêt éthiopien pour les cryptomonnaies
- Économie numérique émergente : L’Éthiopie investit massivement dans la numérisation, avec des projets comme la digitalisation des services publics.
- Jeunesse connectée : Une population jeune et technophile explore les cryptos comme alternative aux systèmes bancaires traditionnels.
- Risques financiers : Les autorités craignent que les cryptomonnaies servent à contourner les régulations financières, notamment pour le financement de groupes terroristes.
Ces éléments montrent que l’Éthiopie se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, elle souhaite protéger son système financier ; de l’autre, elle reconnaît le potentiel des cryptomonnaies pour stimuler l’innovation. Mais comment concilier ces deux objectifs ?
Les défis de la régulation dans un contexte d’interdiction
Réguler une technologie interdite est un défi de taille. En Éthiopie, la monnaie officielle reste le Birr, et toute transaction en devises virtuelles est considérée comme non autorisée. Pourtant, le FIS admet que des transactions crypto ont lieu, souvent dans l’ombre. Cette situation soulève plusieurs questions :
- Comment identifier les transactions crypto sans infrastructure légale ?
- Quels outils utiliser pour surveiller les blockchains publiques comme celle de Bitcoin ou Ethereum ?
- Comment former les autorités à comprendre une technologie encore nouvelle ?
Pour répondre à ces défis, le FIS s’appuie sur des formations internationales. Lors de la réunion de l’ESAAMLG, des experts ont partagé des techniques pour traquer les flux financiers illicites, notamment ceux liés à des organisations comme Al-Shabaab ou Daesh, qui utilisent les cryptos pour contourner les systèmes bancaires traditionnels.
Les groupes terroristes utilisent les cryptomonnaies pour transférer des fonds sans être détectés par les autorités.
Muluken Yirga, Conseiller juridique ESAAMLG
Cette menace est prise très au sérieux. Les cryptomonnaies, par leur nature décentralisée, offrent un anonymat relatif qui peut être exploité. Cependant, les blockchains publiques permettent aussi de tracer les transactions, à condition de disposer des outils et des compétences nécessaires.
L’Afrique, un terreau fertile pour les cryptomonnaies
L’Éthiopie n’est pas un cas isolé. Le continent africain est devenu un hub pour les cryptomonnaies, porté par une combinaison de facteurs uniques. Parmi ceux-ci :
Pourquoi l’Afrique adopte les cryptos ?
- Inclusion financière : Dans des régions où l’accès aux services bancaires est limité, les cryptos offrent une alternative.
- Transferts transfrontaliers : Les cryptomonnaies permettent des envois d’argent rapides et peu coûteux, cruciaux pour les diasporas.
- Innovation technologique : Les jeunes entrepreneurs africains explorent la blockchain pour des applications variées, de l’agriculture à la santé.
En Éthiopie, cette dynamique est encore naissante, mais les récents investissements dans le minage de Bitcoin montrent que le pays ne veut pas rester à la traîne. Par exemple, des entreprises comme BIT Mining ont récemment établi des opérations en Éthiopie, attirées par l’énergie bon marché et les ambitions numériques du gouvernement.
Les implications pour l’avenir
La démarche de l’Éthiopie pourrait marquer un tournant. En préparant une régulation, le pays anticipe une possible levée de l’interdiction des cryptomonnaies. Mais plusieurs scénarios sont possibles :
- Légalisation partielle : Autoriser certaines cryptos sous conditions strictes.
- Renforcement de l’interdiction : Mettre en place des outils pour mieux sanctionner les usages illégaux.
- Statu quo : Maintenir l’interdiction tout en surveillant discrètement le marché.
Chaque option comporte ses risques et opportunités. Une régulation bien pensée pourrait attirer des investisseurs et stimuler l’innovation, mais un cadre trop strict risque de freiner l’adoption. L’Éthiopie devra trouver un équilibre délicat.
Un modèle pour l’Afrique ?
Si l’Éthiopie parvient à établir un cadre réglementaire efficace, elle pourrait devenir un modèle pour d’autres pays africains confrontés aux mêmes défis. Des nations comme le Nigeria et l’Afrique du Sud ont déjà adopté des approches variées, allant de la régulation stricte à l’acceptation partielle. L’expérience éthiopienne pourrait inspirer une harmonisation régionale, essentielle pour lutter contre les crimes transfrontaliers.
Une régulation efficace des cryptomonnaies pourrait transformer l’Éthiopie en un hub numérique régional.
Expert en blockchain
Pour l’instant, l’Éthiopie avance prudemment. Les formations en cours et les partenariats internationaux montrent une volonté de s’adapter à un monde où les cryptomonnaies sont incontournables. Mais le chemin vers une régulation équilibrée reste semé d’embûches.
Conclusion : Vers une nouvelle ère numérique ?
L’initiative de l’Éthiopie pour réguler les cryptomonnaies, malgré leur interdiction, illustre les contradictions d’un pays en transition. Entre la nécessité de contrôler les risques financiers et l’envie de ne pas rater le train de l’innovation, l’Éthiopie joue une partie complexe. Cette démarche pourrait non seulement redéfinir son propre paysage économique, mais aussi influencer d’autres nations africaines. Une chose est sûre : dans un monde où le numérique redessine les frontières, l’Éthiopie ne peut plus se contenter d’interdire.