Bitcoin au Salvador : Un Bilan Mitigé 4 Ans Après

En 2021, un petit pays d’Amérique centrale a bouleversé le monde de la finance en devenant le premier à adopter le Bitcoin comme monnaie légale. Le Salvador, sous l’impulsion de son président Nayib Bukele, a tenté une expérience audacieuse, suscitant à la fois admiration et scepticisme. Quatre ans plus tard, alors que le pays célèbre cet anniversaire, une question persiste : cette révolution cryptographique a-t-elle tenu ses promesses ? Entre avancées économiques, résistances culturelles et critiques internationales, le bilan est nuancé, mêlant espoirs et désillusions.

Une Expérience Pionnière à l’Épreuve du Temps

Le 7 septembre 2021, le Salvador entrait dans l’histoire en intégrant le Bitcoin à son économie. Ce choix, porté par un président charismatique, visait à moderniser le pays, réduire la dépendance aux devises étrangères et attirer des investisseurs. Mais quatre ans après, les résultats sont loin d’être univoques. Plongeons dans les succès, les échecs et les défis de cette initiative unique.

Un Bilan Économique Contrasté

Sur le plan économique, le Salvador peut se targuer de quelques succès. Le gouvernement a constitué une réserve stratégique de plus de 6 300 BTC, valorisée à environ 700 millions de dollars en 2025. Cette réserve, accumulée grâce à des achats réguliers, positionne le pays comme un acteur audacieux dans le secteur crypto. De plus, une nouvelle législation bancaire a permis aux institutions financières d’investir dans le Bitcoin, attirant ainsi des capitaux étrangers.

Cependant, ces chiffres masquent une réalité plus complexe. Selon la Banque mondiale, la croissance économique du Salvador reste inférieure à celle de ses voisins, avec un PIB en hausse de seulement 2,6 % en 2024, contre 3,2 % pour la région. Le taux de pauvreté, bien qu’en légère baisse (de 26,3 % à 25,7 %), reste élevé, signe que les bénéfices du Bitcoin ne touchent pas encore les populations les plus vulnérables.

Une Adoption Populaire en Demi-Teinte

L’un des objectifs majeurs de cette réforme était de démocratiser l’usage du Bitcoin dans la vie quotidienne. Pourtant, l’adoption par les citoyens reste limitée. Une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie révèle que seules 14 % des entreprises salvadoriennes utilisaient le Bitcoin pour des transactions en 2024. Le portefeuille Chivo, lancé par le gouvernement pour faciliter les paiements en BTC, a été un échec retentissant, largement boudé par la population.

Le Bitcoin, c’est comme une promesse d’avenir, mais pour l’instant, les Salvadoriens continuent de préférer le dollar au quotidien.

Un commerçant local à San Salvador

Plusieurs facteurs expliquent cette réticence. D’abord, la volatilité du Bitcoin effraie les petits commerçants, qui craignent des pertes en cas de chute soudaine du cours. Ensuite, le manque d’éducation financière et l’accès limité aux technologies numériques freinent l’adoption, notamment dans les zones rurales. Enfin, la méfiance envers les institutions, renforcée par des années de corruption, joue un rôle non négligeable.

Le Poker Menteur avec le FMI

Les relations entre le Salvador et le Fonds monétaire international (FMI) ont été tendues depuis le début de l’expérience Bitcoin. En décembre 2024, un prêt de 1,4 milliard de dollars a été accordé au pays, assorti d’une condition : cesser les achats de Bitcoin avec des fonds publics. Officiellement, le gouvernement s’y est plié, allant même jusqu’à abroger la loi sur le cours légal du Bitcoin en janvier 2025. Mais des soupçons persistent.

Des rapports suggèrent que le Bitcoin Office, chargé des acquisitions de cryptomonnaie, aurait continué à acheter du Bitcoin en coulisses. Cette stratégie, qualifiée de « poker menteur » par certains analystes, reflète la détermination du gouvernement à poursuivre son pari, malgré les pressions internationales. Ce jeu d’équilibre délicat montre à quel point l’expérience salvadorienne reste un défi géopolitique autant qu’économique.

Les Bénéficiaires : Grandes Entreprises vs Citoyens

Si le Bitcoin a attiré des investissements étrangers, avec une hausse de 20 % des flux en 2024, ces bénéfices profitent principalement aux grandes entreprises et aux investisseurs internationaux. Selon la Fondation pour le développement économique et social (FUSADES), les petites entreprises locales et les ménages à faible revenu n’ont que marginalement bénéficié de cette révolution. Cette inégalité soulève des questions sur l’impact réel de la politique pro-Bitcoin.

Le Bitcoin a ouvert des portes pour les investisseurs étrangers, mais pour le Salvadorien moyen, c’est encore un concept abstrait.

Analyste économique à FUSADES

Les grandes entreprises technologiques et financières, attirées par un cadre légal favorable, ont investi dans des infrastructures liées à la blockchain. Cependant, les petits commerces, qui représentent l’épine dorsale de l’économie salvadorienne, peinent à intégrer le Bitcoin dans leurs opérations quotidiennes. Cette fracture économique pourrait, à long terme, limiter l’impact positif de l’expérience.

Nayib Bukele : Un Leadership Controversé

Le président Nayib Bukele reste le fer de lance de cette révolution. Avec une popularité écrasante, il continue de défendre le Bitcoin comme une solution d’avenir. Pourtant, ses détracteurs, notamment dans les médias occidentaux et les institutions internationales, critiquent son style autoritaire et son mépris des conventions établies. Ces tensions internationales n’ont toutefois pas entamé son soutien populaire au Salvador.

Bukele a également lancé des initiatives éducatives, comme des programmes de formation pour 80 000 fonctionnaires sur le Bitcoin et l’intelligence artificielle. Ces efforts visent à combler le fossé technologique, mais leur impact reste limité face aux défis structurels du pays, comme l’accès inégal à l’éducation et aux infrastructures numériques.

Les Défis à Venir

Quatre ans après, l’expérience du Bitcoin au Salvador est à la croisée des chemins. Pour que cette initiative réussisse, plusieurs obstacles devront être surmontés :

• Éducation financière : Sensibiliser la population à l’usage des cryptomonnaies.
• Infrastructures technologiques : Améliorer l’accès à Internet et aux smartphones, notamment en zones rurales.
• Stabilité économique : Réduire la dépendance au dollar tout en gérant la volatilité du Bitcoin.
• Dialogue international : Trouver un équilibre avec des institutions comme le FMI.

Le Salvador devra également composer avec la perception internationale. Alors que certains saluent son audace, d’autres y voient une aventure risquée. La réussite de cette expérience dépendra de la capacité du pays à transformer les promesses du Bitcoin en bénéfices tangibles pour tous ses citoyens, et pas seulement pour une élite économique.

Un Pari à Long Terme

L’adoption du Bitcoin par le Salvador reste une expérience fascinante, mais complexe. Si les chiffres montrent des avancées, comme l’augmentation des investissements étrangers, l’impact sur la vie quotidienne des Salvadoriens reste limité. Le gouvernement de Nayib Bukele continue de parier sur le potentiel transformateur du Bitcoin, mais il faudra du temps pour que cette vision devienne réalité.

Le Bitcoin n’est pas une solution miracle, mais un outil qui demande du temps et de la patience pour révéler son potentiel.

Économiste salvadorien anonyme

En conclusion, le bilan des quatre années d’adoption du Bitcoin au Salvador est un mélange de réussites partielles et de défis persistants. Cette expérience, unique en son genre, continue d’alimenter les débats sur l’avenir des cryptomonnaies dans l’économie mondiale. Le Salvador, pionnier malgré lui, pourrait bien tracer la voie pour d’autres nations, à condition de relever les défis qui se dressent sur son chemin.